Polémique Spotify : les artistes franco-ontariens réagissent
Spotify est sous le feu des critiques en raison de la libre diffusion de podcasts à saveur anti-vaccins et des redevances infimes versées aux créateurs culturels. Alors que de grandes figures culturelles comme Neil Young, Joni Mitchell et Gilles Vigneault ont récemment invité les artistes à retirer leurs contenus de la plateforme, la scène franco-ontarienne n’est pas prête à les imiter pour le moment.
« Le statut culturel et la situation financière facilitent ce genre de décision », explique le chanteur expérimental Mehdi Cayenne en entrevue avec ONFR+.
La chanteuse Vivianne Roy du groupe de country-folk acadien Les Hay Babies a également appelé ses collègues de la scène artistique à quitter Spotify afin de protester contre la sous-rémunération des créateurs. « Comme artiste, nous fournissons le contenu de cette plateforme et nous sommes les derniers payés. La plupart des gens profitent de décennies de création et de propriété intellectuelle, comme si la musique tombait du ciel. Il faut marquer la fin de cette époque », a-t-elle déclaré en entrevue avec Radio-Canada.
La question des redevances
Il va sans dire que ce point de vue est largement partagé dans la communauté artistique bien que certains abordent l’enjeu avec un brin de cynisme. « Spotify est très à l’image de ce qu’à toujours été le monde de la musique. Il y avait d’autres instances avant qui s’occupait de faire les poches aux artistes », affirme Mehdi Cayenne.
« L’industrie a fait un virage qui ne donne plus de valeur à la création », déplore quant à lui Michel Bénac, chanteur du groupe swing LGS. Présent sur la scène culturelle depuis les années 1990, le chanteur dit se souvenir d’une époque où les artistes recevaient une rémunération plus juste pour leur travail créatif alors que les amateurs achetaient des albums après les spectacles.
« On pouvait vendre un album 20 $ avec dix chansons ce qui revenait à 2 $ la chanson. Lors de l’arrivée d’Itune, on était à 99 sous la chanson, ce qui était raisonnable. Cette plateforme permettait aux gens qui vivaient dans les endroits sans disquaire de se procurer des chansons. Avec Spotify et YouTube, c’est moins d’un sous par écoute. Il faut la jouer en maudit la chanson pour arriver au 20 $ qu’on recevait avec l’album », renchérit-il.
Une plateforme incontournable
Fondé en 2006, Spotify s’est progressivement imposé dans le marché des plateformes musicales avec près de 180 millions d’utilisateurs en 2021.
Alors que plusieurs se demandent pourquoi les artistes continuent de publier leur contenu sur Spotify si ce site internet contribue à leur précarisation, la réponse se trouve dans la recherche du public.
« Des gens m’écrivent du Mexique et de pays francophones à travers le monde. Je n’aurais pas eu de contact avec ce public si ce n’était pas de la plateforme », raconte Joanie Charron du duo country Sugar Crush qui utilise Spotify depuis la parution de son album En français s’il vous plaît en 2017.
En plus de permettre aux artistes de rejoindre un nombre inespéré d’amateurs de musique, Spotify est également utilisé comme outil de mesure de leur popularité. « Aujourd’hui, les organisateurs regardent combien tu as d’abonnés sur Spotify pour savoir si ça vaut la peine de te programmer dans un festival », affirme Michel Bénac.
Ainsi donc, l’idée de se retirer de la plateforme n’est pas envisageable pour de nombreux artistes qui se relèvent à peine de deux ans très difficiles pour le secteur culturel qui a été frappé de plein fouet par la pandémie de COVID-19 obligeant de nombreuses annulations de spectacles.
Que faire?
Pris au piège, les artistes ne veulent cependant pas être perçus comme insensibles à la question de la désinformation sur internet. « C’est une discussion qui va au-delà de la question de se retirer ou non de Spotify. Il faut se demander si dans l’espace public, la parole doit être octroyée à temps égal à la désinformation », affirme de son côté Mehdi Cayenne.
Joanie Charron aborde également dans ce sens. Selon elle, la discussion doit se poursuivre pour déterminer ce qui est acceptable ou non socialement. « Il y a eu une époque où des vidéos artistiques étaient dégradantes pour les femmes ou encore des chansons qui contenaient des paroles racistes. On a eu des discussions et on a décidé collectivement que ça passait plus. Si j’étais PDG de Spotify, je définirais clairement les valeurs de l’entreprise et les artistes décideraient s’ils restent sur la plateforme », propose-t-elle.
Selon Michel Bénac, les gouvernements ont un rôle à jouer pour contrer la désinformation. Alors que les médias sociaux comme Facebook ont été obligés de prendre des mesures contre la propagation de fausses informations entourant la COVID-19, le chanteur pense que quelque chose de similaire pourrait être envisagé avec Spotify.
Et le public dans tout ça? Alors que la pression repose exclusivement sur les épaules des artistes, le leader de LGS croit aussi que le contexte offre une opportunité aux amateurs de musique de trouver des façons d’encourager leurs créateurs préférés. Que ce soit par des donations, l’achat de produits promotionnels ou encore de billets de concert, cette façon de consommer aiderait les artistes à pouvoir faire des actions comme celle de Neil Young.
En attendant, Michel Bénac ne croit pas que le retrait des artistes puisse avoir une quelconque incidence sur une plateforme aussi populaire que Spotify. « Pour que ça marche, il faudrait que les gros labels retirent tous leurs artistes de Spotify mais ce n’est pas près d’arriver », conclut-il.