Culture

Portrait de Marie-Ève Fontaine, la nouvelle tête du Théâtre Cercle Molière

Marie-Ève Fontaine en 2024. Photo: Jonathan Lorange

Après une quinzaine d’années à Ottawa, la Franco-Manitobaine Marie-Ève Fontaine rentre au bercail. Elle devient la nouvelle directrice artistique et co-directrice générale du Théâtre Cercle Molière (TCM) de Winnipeg, la plus ancienne compagnie de théâtre au Canada. ONFR l’a rencontrée avant son déménagement.

« Vous avez déjà une feuille de route bien remplie dans le domaine du théâtre franco-canadien. Qu’est-ce qui vous a amenée dans cet univers?

La pomme ne tombe pas loin de l’arbre. Quand j’étais enfant, mes parents étaient très actifs dans la vie culturelle du Manitoba. Mon père y a démarré la Ligue d’improvisation. Ma mère était très impliquée avec l’animation culturelle dans les communautés et trippait sur la marionnette. Mon frère et moi étions tout le temps dans les coulisses du centre culturel. À un moment donné, j’ai décidé que je participais à l’un de leurs spectacles.

Après, j’ai participé au Festival théâtre jeunesse du TCM, ce qui a cristallisé cet intérêt pour le théâtre. Quand est venu le temps de faire des études, je me suis inscrite en théâtre à l’Université d’Ottawa. Je voulais quitter le Manitoba, voir autre chose, et Ottawa était un environnement francophone avec un écosystème plus varié, plus dynamique que Winnipeg. Ça me plaisait comme entre-deux, par rapport à Montréal qui m’intimidait.

Marie-Ève Fontaine travaille présentement sur la pièce documentaire Giant Mine. Photo : Jonathan Lorange

J’ai adoré mon BAC. Ça a fait boule de neige à partir de là. Des professeurs m’ont proposé des contrats. On nous disait aussi : ‘Si vous voulez travailler, n’attendez pas que le téléphone sonne.’ Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde. Grâce à mes parents, j’avais déjà la fibre de l’entrepreneuriat culturel. Je me suis tout de suite organisée pour financer des petites étapes de création, voir si j’étais capable de rassembler des gens autour d’une idée. Et ça fonctionnait super bien. Ça a fini par donner quelques spectacles, dont le plus abouti, Cet été qui chantait, que j’ai coproduit avec le TCM en 2023 et qui vient de faire une tournée nationale. On continue encore l’an prochain.

Vous avez collaboré avec plusieurs noms du théâtre franco-canadien. Mis à part les projets que vous avez écrits, lequel vous a le plus marquée?

Le dire de Di de Michel Ouellette. C’était mis en scène par Joël Beddows, qui était le directeur du département de théâtre quand j’ai fait mes études. On s’entendait vraiment bien, peut-être car c’est entre autres lui qui m’a formée.

Il m’a invitée pour auditionner au Théâtre français de Toronto. Je lisais dans le train et le texte m’est rentré dedans. C’était un solo, en plus. Je le trouvais tellement imagé, mystérieux, stimulant. Quand je suis arrivée pour l’audition avec Joël, je me sentais comme si on était déjà en train de travailler.

Marie-Ève Fontaine dans Le dire de Di, de Michel Ouellette, en 2017. Photo : Marc LeMyre

J’aime ça quand c’est intense. En étant toute seule sur scène, je me prouvais de quoi j’étais capable. Et c’était la première fois que je faisais une grosse tournée.

Chaque fois que j’étais sur le point d’embarquer sur scène, je me disais : ‘Je suis tellement chanceuse, j’ai tellement hâte d’être dans le spectacle.’ 

Vous avez eu une nomination pour un Prix Rideau pour ce rôle. Vous aviez d’ailleurs gagné le Rideau Artiste émergente en 2015. Qu’est-ce que ça change dans une carrière?

Ça peut accorder une perception de légitimité, au niveau des demandes de subventions. Quand tu veux obtenir quelque chose, tu es capable de dire : ‘Regardez, on m’a reconnue.’

Je dirais que le prix qui m’a le plus aidée, c’est celui remis par la Fondation pour l’avancement du théâtre francophone au Canada (ATFC), le Prix national d’excellence RBC – artiste émergent. Ça venait avec une bourse de 10 000 dollars. Ça m’a donné beaucoup de visibilité. Ça peut aider à accéder plus rapidement à du financement ou à des collaborations.

Avez-vous réussi à vivre du théâtre depuis votre sortie de l’école, en 2015?

Oui. Mis à part une année où je suis allée vivre en Nouvelle-Zélande avec un copain de l’époque. À part ça, j’ai fait un peu de radio communautaire à temps partiel. Je suis retournée un an ici et là au Manitoba. Je faisais des emplois connexes, mais ce n’était pas en plein dans le mille. À Ottawa, j’ai toujours vécu de mon travail comme artiste et comme travailleuse culturelle.

J’ai aussi travaillé au CNA, au Festival Big Bang. J’étais accompagnatrice et coordonnatrice artistique du volet des jeunes ambassadeurs.

Marie-Ève Fontaine s’implique aussi auprès des jeunes, entre autres en donnant des ateliers. Photo : Gracieuseté de Marie-Ève Fontaine

J’ai fait beaucoup d’ateliers dans les écoles, aussi. Pendant la COVID, c’est un peu comme ça que je me suis tirée d’affaire. J’ai inventé des histoires où les élèves se connectaient en virtuel et rencontraient mon personnage. J’ai réussi à être assez inventive pour vivre de mon art.

Je pense que ça vient aussi de mes parents. Au Manitoba, comme artiste, il faut vraiment que tu aies plein de cordes à ton arc.

Vous terminez une résidence d’un an au CNA. Parlez-nous de cette expérience.

Spécifiquement, ma mission était de travailler sur Giant Mine, un spectacle de théâtre documentaire sur lequel je suis depuis 2020. La pandémie m’a beaucoup ralentie, mais c’est aussi un processus de recherche qui a été vraiment long. Ça va être produit l’an prochain par le Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO) et moi, en coproduction.

Des extraits du projet Giant Mine ont été présentés devant un public restreint, lors d’une sortie de résidence, en juin 2025. Photo : Sylvain Sabatié

Mani Soleymanlou (le directeur artistique du Théâtre français du CNA) m’a proposé un boost pour arriver à pondre ce projet. J’avais une compagnie avec Guillaume Saindon, dont je ne fais plus partie, mais au départ c’était nous deux. On avait parlé à Mani de plusieurs projets, notamment Giant Mine.

Vous serez aussi aux Zones théâtrales en septembre.

Oui, on a réussi à obtenir un chantier. C’est cool, parce que Cet été qui chantait, j’ai eu la chance de le présenter en chantier en 2021, puis en spectacle en 2023 pendant les Zones théâtrales. C’est en partie grâce à ça que l’on a pu faire une tournée dans huit théâtres, dans trois provinces.

Je ne pense pas que Giant Mine soit aussi grand public que Cet été qui chantait, mais notre intention est de proposer ce spectacle dans des petites communautés éloignées qui vivent avec l’industrie minière.

Quel est l’enjeu de Giant Mine et comment en avez-vous eu l’idée?

Ma mère a habité pendant environ 15 ans à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest. C’est un lieu que j’ai tout de suite aimé. Ma première visite était au solstice d’hiver. Il faisait clair quatre heures par jour. Le reste du temps, il faisait noir comme nuit. Et il y a des aurores boréales. L’été, c’est inversé. Le soleil se couche, mais à peine, avant de se relever. Les plantes poussent en un clin d’œil. Les gens qui vivent là incarnent un peu ces extrêmes. Ils ne veulent pas de compromis.

Je me suis aperçue que cette ville existe à cause de deux mines d’or, qui sont à l’intérieur des frontières de la ville. Elles sont toutes les deux désaffectées. Il y en a une qui a une quantité incroyable de trioxyde d’arsenic, un produit dérivé de l’extraction de l’or, vraiment toxique et très solvable dans l’eau. Et c’est juste sur le bord du Grand lac des Esclaves. Si les contaminants atteignaient la nappe phréatique, toute l’eau serait empoisonnée.

Je n’avais jamais été exposée à l’industrie minière et à ses enjeux écologiques. Je me suis un peu garrochée dans cette recherche. Ça m’a menée à Sudbury, à Rouyn-Noranda, à Fort McMurray.

Les recherches sur Giant Mine ont mené Marie-Ève Fontaine à Sudbury. Photo : Jonathan Lorange

Je travaille sur un texte où je me sers des verbatims d’entrevues et de mes expériences personnelles avec le lieu pour aborder le sujet des enjeux écologiques liés aux industries d’extraction, mais aussi à notre relation avec le territoire et avec nos objets, pour questionner nos habitudes de consommation.

Comment vivez-vous le grand succès de Cet été qui chantait?

Je pense que, comme artiste, on s’en rend compte quand on est chanceux. C’est toute une question que ce soit le bon moment pour cette idée-là, de trouver les bons collaborateurs et que la mayonnaise prenne.

J’ai eu cette idée en lisant un livre de Gabrielle Roy, une de mes autrices fétiches. J’ai travaillé dans sa maison d’enfance, qui est devenue un musée à Saint-Boniface. C’était mon premier emploi. J’avais mon petit background de marionnette grâce à ma mère. Je lisais ça et je me disais que ce serait bon en marionnette.

Marie-Ève Fontaine incarne Gabrielle Roy dans Cet été qui chantait. Photo : Jonathan Lorange

À partir de là, les gens qui entendaient parler de mon idée m’encourageaient, dont Geneviève Pelletier, directrice artistique et générale du TCM. Je me suis entourée de certaines personnes, dont ma mère, Pierre Robitaille à Québec, Gérald Laroche, musicien manitobain et Denis Duguay, scénographe manitobain.

J’ai commencé à faire des demandes de subventions et ça fonctionnait. Et à un moment donné, le TCM a décidé de coproduire.

Il a fallu que je sois patiente, que je sois à l’écoute de l’œuvre, des étapes dont elle avait besoin. On s’est rendu en 2023, au TCM. On l’a présentée devant des jeunes, des vieux et tout le monde entre les deux, et on a eu une super belle réception.

On l’a présenté à Petite-Rivière-Saint-François, le village duquel sont inspirées les histoires, dans la cabane à sucre qui est mentionnée dans le livre. C’était incroyable! C’est un spectacle très feel good, une célébration de la nature, de la beauté et de la vie.

Est-ce que l’attachement des gens pour Gabrielle Roy fait partie de la formule gagnante?

Je pense que c’est ce qui fonctionne dans ce projet. Il y a quelques portes d’entrée, dont Gabrielle Roy. Il y a aussi l’aspect musical, très inventif, l’aspect marionnette et l’aspect image. On a pris le pari de faire quelque chose pour les petits et les vieux. On voulait quelque chose d’intergénérationnel, ce qui est aussi très tendance.

Marie-Ève Fontaine a également joué dans la série télévisuelle Le monde de Gabrielle Roy. Photo : Gracieuseté de Marie-Ève Fontaine

Cette expérience de Cet été qui chantait a été formatrice à tellement de niveaux pour moi, je pense que c’est ce qui fait que j’ai été choisie pour le poste au TCM. Parce que c’est un projet qui est lié au Manitoba et à cet héritage culturel, que je l’ai fait avec le TCM, et aussi parce que ça m’a permis de me prouver comme productrice et directrice artistique.

Quel a été le processus qui vous a menée à cette nomination au TCM?

J’ai toujours gardé un lien très fort avec Saint-Boniface, parce qu’une partie de ma famille est là. C’est un point de repère culturel. Le TCM est un organe vital de la culture francophone dans l’Ouest.

Quand Geneviève a annoncé sa démission, j’étais moi-même… c’est fatiguant, être artiste pigiste et productrice indépendante. Je l’ai dans le corps, un peu. Même si c’était vraiment enrichissant, je suis fatiguée. J’aimerais ça avoir des gens qui m’aident à réaliser une vision.

J’avais ces pensées-là quand Geneviève a annoncé son départ. Ma mère vient juste de quitter les Territoires du Nord-Ouest pour retourner au Manitoba, et c’est une artiste avec qui je collabore. C’est quelqu’un en qui j’ai confiance, ma confidente et ma consultante.

Alors là, je vois ma mère qui retourne avec son copain, qui est aussi acteur et va jouer dans Giant Mine, et puis le poste s’ouvre alors que je viens juste de fermer plein de projets. Tout s’est aligné comme une éclipse solaire. Je pense que c’est le moment de retourner.

Les réactions ont été enthousiastes. Les gens vous connaissent et il y a une certaine continuité…

Je pense que oui. Je suis à Ottawa depuis 15 ans, mais il y a plein d’histoires que j’ai envie de raconter qui sont ancrées dans l’Ouest. Ça fait quelques années que je me demande pourquoi j’ai ces idées, sur la vie de tel personnage historique, par exemple. Les gens me disent : ‘Parles-en au TCM, ce n’est pas ici que tu vas faire ce show-là.’

Quelle est votre ambition pour le TCM dans les années à venir?

Quand j’étais adolescente et que Roland Mahé était à la tête du TCM, je trouvais que c’était pas mal conventionnel. Quand Geneviève est arrivée, elle a fait un virage vers un théâtre de création, vers la prise de risque et l’innovation artistique, ce qui est bien pour moi.

Marie-Ève Fontaine dans Le Tartuffe de Molière, avec le Fâcheux théâtre, en 2024. Photo : Jonathan Lorange

En même temps, je remarque que le public qui allait au théâtre conventionnel n’a pas suivi ce virage. Je veux trouver un juste milieu entre ces deux visions.

Il y a beaucoup d’immigration africaine dans la communauté francophone. Il faut que ces gens-là se voient sur scène aussi. Il faut trouver une cohésion sociale, et je pense que le TCM peut faire ça.

Avez-vous d’autres projets en chantier?

Oui… à quel point je peux ou veux révéler ça, je ne sais pas. Des projets artistiques, ce sont des petits objets fragiles, au début. Récemment, il est sorti un balado vraiment super sur Pauline Boutal, la directrice artistique qui a précédé Roland Mahé au TCM. C’est elle qui a monté les premiers Molière au Théâtre Cercle Molière, ironiquement.

J’ai beaucoup travaillé avec le Fâcheux Théâtre, qui fait Molière dans le parc à Gatineau. Je trouve qu’ils font un travail extraordinaire de développement de public, parce que c’est super accessible, sur contribution volontaire. Tu peux voir un itinérant et un sous-ministre un à côté de l’autre qui rient des mêmes blagues. Je pense que c’est une des clés, de revenir vers le classique et de le rendre fun.

Je pense aussi à un projet sur Marie-Anne Gaboury, la grand-mère de Louis Riel et épouse du voyageur Jean-Baptiste Lagimodière. Elle a été la première femme blanche à s’établir dans l’Ouest canadien. Elle a eu une vie rocambolesque. Elle a vécu un peu partout, ça vient chercher mon petit côté pancanadien. »


1991 : Naissance à Winnipeg, au Manitoba

2014 : Début de carrière alors qu’elle poursuit son BAC en théâtre, à Ottawa

2017 : Joue dans Le dire de Di, de Michel Ouellette

2022 : Participation à Un. Deux. Trois, spectacle à grand déploiement de Mani Soleymanlou

2023 : Création de Cet été qui chantait, qui connait un succès national

2024 : Est nommée artiste en résidence du Théâtre français du CNA

2025 : Nomination comme directrice artistique et co-directrice générale du TCM