Pourquoi les immigrants francophones boudent-ils la politique ontarienne?

Ali Liénaux, Fayza Abdallaoui, Étienne Fortin-Gauthier, Fété Ngira-Batware Kimpiobi et Rajiv Bissessur, lors de la conférence sur les enjeux des élections pour les nouveaux citoyens canadiens organisée le jeudi 24 mai, à TFO. Crédit photo: Rozenn Nicolle

[ONVote2018]

TORONTO – Manque d’organisation communautaire, absence d’éducation civique ou encore mauvaise intégration des nouveaux arrivants par la province… les hypothèses qui pourraient expliquer le désintérêt des immigrants francophones envers la politique ontarienne sont multiples. Les façons d’y recourir aussi.

ROZENN NICOLLE
rnicolle@tfo.org | @Rozenn_TFO

« Là où tu es semé, il te faut fleurir. Encore faut-il que tu sois accepté là où tu es semé » a lancé Fété Ngira-Batwaré Kimpiobi, directrice générale de l’organisme Solidarité pour les femmes et familles immigrantes francophones du Niagara (Sofifran), lors d’une conférence sur les enjeux des élections pour les nouveaux citoyens canadiens, qui se tenait jeudi soir à Toronto.

Pour elle, le souci d’intégration fait partie des éléments de réponse pour comprendre le manque d’implication de la communauté immigrante francophone dans les enjeux politiques provinciaux. « Ici, on fait la différence entre les natifs et les immigrants. Donc il y a ce sentiment qu’on est immigrant à vie, comme s’il y avait une barrière qu’on ne peut pas franchir. Et donc il y a un mal-être quelque part qui fait qu’on ne sera jamais à 100 % canadien. Et on ne peut rien affirmer, mais ça ne m’étonnerait pas que ce soit l’une des raisons pour lesquelles on n’est pas mobilisé par les questions politiques, parfois même pas concerné », a-t-elle complété au micro d’#ONfr.

 

« La responsabilité ne se limite pas au droit de vote »

Pour un des hommes présents dans l’audience, le désintérêt va dans les deux sens. « Quand on parle de nouveaux arrivants, on parle de gens qui ne sont pas citoyens et qui ne peuvent pas voter », a-t-il déclaré, relevant également que, sans droit de vote, l’implication en politique est difficile autant que d’obtenir l’attention des politiciens qui ne visent souvent, selon lui, que leurs électeurs.

Pour Fayza Abdallaoui, membre du panel de conférenciers et présidente du MOFIF (Mouvement ontarien des Femmes  immigrantes francophones), coorganisateur de l’événement, on ne doit pas « attendre son passeport » pour s’intéresser à la politique : « En neuf ans, j’ai pu rencontrer des personnes qui n’avaient pas leur citoyenneté et qui étaient tout de même membres d’un parti ou bénévoles. Le vote c’est un aspect parmi d’autres de toute cette implication, finalement. On n’est pas responsable qu’au moment où on vote. »

Ali Liénaux, Fayza Abdallaoui, Étienne Fortin-Gauthier, Fété Ngira-Batware Kimpiobi et Rajiv Bissessur, lors de la conférence sur les enjeux des élections pour les nouveaux citoyens canadiens organisée le jeudi 24 mai, à TFO. Crédit photo : Rozenn Nicolle.

L’activiste et entrepreneure est également revenue sur les différents enjeux qui préoccupent particulièrement les immigrants francophones. Un sondage réalisé auprès de plus de cent immigrés francophones installés en Ontario, au mois d’avril par son organisme, a placé les logements abordables en tête des enjeux, suivi de près par le problème des garderies.

« Ces enjeux, on les connait depuis longtemps. Mais au final, cette année, après beaucoup de pressions, les politiciens ont compris qu’il fallait les aborder, et on en parle dans cette campagne », a-t-elle commenté en entrevue avec #ONfr.

 

La communauté en amont, le gouvernement en aval

L’éducation civique des nouveaux arrivants et des nouveaux votants a également été évoquée, encore faut-il savoir à qui il revient de l’offrir à ces communautés.

« On attend du gouvernement des changements qui ne viennent pas », constate Mme Ngira-Batwaré Kimpiobi, pour qui la mission doit désormais être accomplie par la communauté : « Le gouvernement va agir, mais sur quelle base, s’il ne reçoit pas correctement le message de la communauté? Donc pour moi, en amont c’est d’abord la communauté et le gouvernement, c’est en aval », estime-t-elle.

Et le constat qui a mis tout le monde d’accord, c’est le manque ou la mauvaise mobilisation de la communauté francophone.

Pour Ali Liénaux, thérapeute installé au Canada depuis 1992 et ancien directeur adjoint du Centre Francophone de Toronto (CFT), le manque de moyen est également en cause : « Avec l’ensemble des ressources qui sont disponibles et qui ne suffisent pas à couvrir les besoins, on se retrouve avec des organismes communautaires qui sont en compétition féroce pour maintenir leur état de survie. Ce qui manque, c’est une volonté politique de donner suffisamment de moyens pour répondre aux enjeux au niveau des communautés francophones. »

Des moyens qui, selon lui, permettraient justement d’obtenir une stabilité suffisante pour ensuite se concentrer à bâtir une cohésion communautaire. Puis de conclure : « Je pense qu’on n’a pas la conscience que l’on devrait avoir de qu’on est en train de devenir. On a une présence ici qui est en train de s’étendre, donc on a une force en devenir et un potentiel extraordinaire, maintenant il faut voir comment on va le réaliser, sans pour autant perdre notre culture ou notre spécificité francophone. »

La conférence était organisée conjointement par le MOFIF et le Groupe Média TFO, maison mère de la franchise #ONfr.