
Pouvoirs de « maires forts » : prudence dans l’Est ontarien

L’Ontario s’apprête à étendre les « pouvoirs de maires forts » à 169 municipalités supplémentaires dès le 1er mai. Ces mesures qui visent à accélérer la construction de logements et d’infrastructures suscitent des réactions partagées chez des élus de l’Est ontarien.
« Entre les mains d’un leader instable, ces pouvoirs pourraient poser problème. » C’est en ces termes que le maire de Clarence-Rockland, Mario Zanth, a réagi à l’annonce du gouvernement ontarien d’étendre les pouvoirs de 169 maires supplémentaires à compter du 1er mai prochain.
Selon lui, ces pouvoirs peuvent avoir des effets positifs ou négatifs, « tout dépend du contexte politique, des élections, et de la stabilité du leadership », affirme-t-il.
Parmi les nouvelles prérogatives, le fait de pouvoir congédier un directeur général ou des directeurs sans passer par le conseil municipal l’inquiète particulièrement. « Un maire pourrait, par exemple, en profiter pour placer un ami à un poste », explique-t-il, ajoutant que le droit de veto sur un budget est également problématique.
En revanche, il reconnaît des aspects positifs, notamment l’autorité de créer des comités pour favoriser la participation citoyenne.
Interrogé sur l’éventualité de recourir à ces pouvoirs, M. Zanth se montre prudent : « Je ne les rejette pas, mais j’espère ne pas avoir à m’en servir, justement parce que tout fonctionne bien actuellement. »
Clarence-Rockland, une municipalité de plus de 26 000 habitants à majorité francophone, dispose selon lui d’un conseil uni et d’une administration professionnelle. « Les choses fonctionnent correctement. Je ne vois donc pas, pour le moment, la nécessité d’avoir recours à ces pouvoirs. »
À Champlain, un comté de moins de 2 000 habitants, le maire Normand Riopel partage le même point de vue. « Je suis en politique depuis 33 ans et j’ai toujours privilégié le travail d’équipe. C’est ainsi que je compte continuer à fonctionner », assure-t-il.
Il insiste sur l’importance de la prise de décision collective. « J’ai un bon conseil municipal, il y a une belle harmonie entre les membres. Les décisions se prennent collectivement, pas individuellement, peu importe les pouvoirs qu’on détient. »

Pour lui, la réforme vise surtout à débloquer certaines situations. « La province met en place un mécanisme au cas où un conseil municipal s’opposerait au développement ou aux investissements en infrastructures. »
Mais il doute de la pertinence de ces mesures dans une petite municipalité comme la sienne : « Ces pouvoirs peuvent être utiles dans de grandes villes avec plusieurs secteurs. Mais chez nous, à Champlain, ça ne change pas grand-chose. »
En effet, les « pouvoirs de maires forts » ont été introduits en 2022 à Toronto et Ottawa. À ce jour, 47 municipalités en bénéficient. L’extension prévue en mai portera ce nombre à 216.
À Cornwall, ville de 48 000 habitants où environ un quart de la population est francophone, le maire Justin Towndale adopte une approche nuancée. « Je ne peux pas dire aujourd’hui avec certitude si je les utiliserai ou non, car cela dépendrait de la situation. Les pouvoirs sont globalement limités et ne peuvent être utilisés que dans le cadre des priorités provinciales identifiées, comme le logement. »

Il poursuit : « S’il est possible d’accélérer la construction de logements, j’envisagerai de le faire, car nous sommes confrontés à une crise du logement. »
Pour lui, ces nouveaux outils doivent être maniés avec discernement. « Ces pouvoirs sont destinés à être utilisés comme un instrument fin plutôt que brutal. La véritable marque d’un dirigeant, c’est de savoir quand les utiliser… ou pas. »