
P’tit Belliveau, représenter sans revendiquer

[LA RENCONTRE D’ONFR]
L’artiste néo-écossais Jonah Richard Guimond, alias P’tit Belliveau, sera de passage en Ontario en septembre, avec des arrêts à Ottawa le 25, à Kingston le 26 et à Toronto le 27. En cette Fête nationale de l’Acadie, rencontre avec un auteur-compositeur-interprète qui fait de la musique pour le plaisir, sans compromis.
« Vous êtes né en Ontario. Quel lien conservez-vous avec la province?
Je n’ai pas beaucoup de liens, autres que familiaux. Je suis né à Fort Frances. Ma famille vit sur la réserve ojibwée Couchiching, tout près. Mes parents se sont séparés avant même que j’aie formé des souvenirs. Ma mère vient de la Nouvelle-Écosse, où j’ai presque toujours vécu.
Pourquoi c’est important pour vous de chanter en acadjonne et de faire rayonner la culture de la Nouvelle-Écosse?
Je ne dirais pas que c’est important en particulier, je ne vais pas mentir. Je chante comme ça parce que c’est comme ça que je parle. C’est correct si les gens veulent changer leur accent pour chanter, mais moi je n’ai pas cette habileté-là de toute façon. Et si je pouvais, je ne pense pas que j’en aurais envie. Je conte des histoires sur la vie d’ici. Ce serait bizarre si je chantais autrement.

Une étude suggère que les jeunes de la Baie Sainte-Marie, où vous avez grandi, utilisent davantage de formes de français traditionnelles que leurs grands-parents. Qu’est-ce qui explique ce phénomène, selon vous?
Je suis sur la ligne entre les milléniaux et la génération Z. Chez les Z, je sens qu’il y a un vouloir de rattraper certaines traditions. Mais une génération, c’est vraiment juste une collection lousse d’individus. Autant il y a des gens qui vont se réapproprier de vieilles manières de parler, autant il y en a qui vont décider de vivre en anglais.
Pour ceux qui choisissent de vivre en français, c’est peut-être ce qu’ils trouvent beau, la différence dans notre français. Alors, s’ils sont capables de le rendre encore plus différent, c’est quasiment une bonne affaire.
Moi, je suis un peu neutre. Je parle comme le monde autour de moi. C’est sûr que si un vieux mot ou une vieille tournure de phrase peut remplacer un terme en anglais, je vais le privilégier. En même temps, il faut que ça soit naturel. Et des fois, la chose la plus naturelle, c’est un terme en anglais.

Je suis beaucoup moins intéressé par le sens exact de chaque mot que par la phonétique. Les vieux mots, si on les réutilise, c’est qu’on les aime. Ce n’est pas plus compliqué que ça.
Vous avez été la tête d’affiche de la soirée d’ouverture du Congrès mondial acadien (CMA), qui se déroulait dans votre région l’an dernier. Comment avez-vous vécu ce moment?
C’était awesome. Si c’était arrivé cinq ans plus tôt, je n’aurais pas été tête d’affiche. Et cinq ans plus tard, je pourrais être mort, qui sait? Vous voyez ce que je veux dire, le fait que ça se soit passé chez nous à ce moment était vraiment de la chance. C’était awesome de jouer avec les différents invités, comme Johnny Comeau ou Waylon Thibodeaux.

Quand on fait de grands spectacles, 99 % du temps, c’est pour le Québec. En tournée, on gagne des données sur qui sont les Québécois et on essaie de leur livrer des produits qu’ils vont aimer. Mais en Acadie, on a déjà toutes les données.
Alors, c’était le fun de produire quelque chose pour les gens de chez nous et pour les touristes acadiens de partout.
Lors du CMA, le ministre québécois de la Langue française, Jean-François Roberge, vous a remis le prix Acadie-Québec, pour souligner les liens que vous bâtissez entre les communautés. Qu’est-ce que ça signifiait pour vous?
Pour être 100 % honnête, c’était bizarre. Son bureau produit des publicités pour dire qu’on ne devrait pas mélanger le français et l’anglais, so…
Les liens que je fais avec le Québec sont dans la vraie vie, avec du vrai monde. Je ne veux pas être méchant, mais ça m’a fait sentir comme s’ils (les gens qui attribuent le prix) ne savaient pas qui j’étais. Sur papier, tout de mon projet est contre leur mission.
Dans les prix et nominations que vous avez reçus dans votre carrière, lequel est le plus significatif?
Je ne veux pas sonner ingrat, mais en général, je pense zéro aux prix. Il y a toujours un moment de reconnaissance, mais le lendemain, j’ai oublié. Ce n’est pas comme ça qu’on détermine qui est le meilleur.
Ça me touche beaucoup plus quand des gens me disent que ma musique les a aidés à traverser un deuil, ou quand quelqu’un dit qu’on a l’air d’avoir du fun, ou fait un commentaire précis sur quelque chose qui est important pour moi.
Qui sont vos influences musicales?
Ça va dans tous les sens. J’aime beaucoup Johnny Cash, T-Pain, beaucoup de musique japonaise des années 80 comme Hiroshi Satoh, une tonne de rap comme MF DOOM, Gwen Stefani… au final, toute la musique populaire, de tous les styles. Il y a beaucoup de stuff weird, aussi. J’aime la musique en général.

Vous avez été révélé au Québec comme finaliste aux Francouvertes 2019. Comment allait votre carrière en Acadie à ce moment?
Les Francouvertes, c’était le deuxième spectacle qu’on a joué en tant que band, ever. Je n’avais vraiment pas de carrière nulle part. Je travaillais dans la construction et je sortais des mini albums en ligne, j’essayais tranquillement de créer un buzz avec l’idée d’un jour former un groupe.
Ça a été une extrêmement belle vitrine pour nous. Ça reste un projet solo au niveau des albums, mais depuis ce temps-là, j’ai le band live pour les spectacles.
On n’avait aucune idée d’à quoi nous attendre. On était moins surpris de la réponse de la foule, mais on a été surpris de se retrouver dans le top du palmarès.
En fait, il n’y a rien qu’on a fait jusqu’à maintenant qui est normal, mais pour nous, c’est normal.
Vous ennuyez-vous de la vie plus anonyme?
Non. Je ne suis pas si connu que ça. Il faudrait que ma carrière monte pas mal plus pour que ce soit un problème. Ma job est awesome. Si le coût à payer, c’est d’être parfois reconnu à Montréal, je le prends facilement.
Il y a des aspects de la construction que j’aime, mais c’est un travail difficile sur le corps et peu payant. Il n’y a pas beaucoup d’aspects qui me manquent.
Qu’est-ce qui est important quand vous préparez un spectacle?
Plus que tout, c’est de s’assurer que ce soit au maximum divertissant pour le public. Peu importe ce qui arrive dans notre vie cette journée-là, il faut tout donner. On respecte beaucoup le fait que les gens paient pour être là et on veut s’assurer que ça vaut la peine. On essaie de réfléchir à tous les détails, tout en restant authentiques.

En 2020, vous avez sorti votre premier album au moment où tout s’est arrêté pour la pandémie. Comment avez-vous vécu cette période?
Au début, c’était brutal. J’étais à Montréal, en train de faire ma tournée promo. À mi-chemin, tout a été annulé et je suis retourné chez moi. C’était censé être notre première vraie année à commencer notre carrière.
On a vécu une déception, mais avec du recul, ça nous a aidés. J’ai souvent reçu le commentaire que les gens ont beaucoup aimé l’album justement parce que c’était une période glauque et qu’ils voulaient de la musique qui les emmenait ailleurs.
Quand on a eu le droit de jouer à nouveau, on jouait sur des scènes beaucoup plus grandes que ce à quoi on aurait eu accès autrement. On ne saura jamais ce qui serait arrivé dans une autre réalité.
Pourquoi avoir quitté votre maison de disques?
Je ne peux pas répondre en détail, mais je voulais quitter. Ce que j’aime d’être indépendant, c’est d’avoir le contrôle sur la manière dont on échange avec les diffuseurs, avec le public… ça fait en sorte que l’échelle de nos plans doit être réduite, mais c’est beaucoup plus rapide entre le moment où on a une idée et le moment où on la met en place.

Mon projet est ‘bizarre’ dans plein de sens. Les enjeux sont uniques par rapport aux projets québécois. Je crois que ça nécessite de nouvelles stratégies qui sortent de la recette habituelle.
Quelles sont les qualités qui vous permettent de réussir comme artiste indépendant?
C’est beaucoup moins compliqué aujourd’hui, alors que n’importe qui peut mettre de la musique en ligne. Quand on parle d’indépendance, ça veut juste dire que je n’ai pas de maison de disques. J’ai aussi choisi d’être mon propre booker, mais ce n’est pas forcément dans la définition.
Une maison de disques va te prêter de l’argent pour que tu produises ton album, et que tu les rembourses avec les redevances. Ils vont aussi aider avec la mise en marché. C’est dans leur intérêt, car si ça fonctionne, ils feront aussi plus d’argent.
Dans mon cas, mes albums ne coûtent pas cher à produire, car j’en fais beaucoup moi-même. J’ai enregistré tout mon dernier disque chez moi. J’ai juste payé pour le mixage et le mastering et pour quelques musiciens ici et là.
Pour les gens qui n’aiment pas le marketing, c’est probablement mieux de juste rester avec une maison de disques. Mais si tu es intéressé, probablement que tu vas faire une meilleure job toi-même, car tu vas être passionné.
On retrouve le symbole de la grenouille sur votre album et dans vos costumes. Qu’est-ce que ça représente?
Ça ne représente rien du tout. J’aime juste les grenouilles (rires). C’est zéro à propos des French frogs ou whatever. C’est une insulte d’une autre génération. Si un Anglais m’avait appelé comme ça, ça m’aurait juste fait rire. It doesn’t even feel like an insult.
Souvent, les gens vont chercher des messages dans ce que je fais. Ils vont aussi penser que je fais des choses de façon ironique. Mais la grande majorité de ce que je fais est vraiment premier degré. Ça me fait rire de voir à quel point les gens souhaiteraient qu’il y ait quelque chose de plus.

Ça ne veut pas dire que je ne fais rien de profond, mais quand c’est profond, c’est évident. Quand ça a l’air d’être n’importe quoi, c’est parce que c’est n’importe quoi.
Votre plus récente pièce, Simulation Freestyle, s’inspire du jeu Les Sims. Parlez-nous de cette collaboration avec Hubert Lenoir?
Hubert est extrêmement détaillé. Il considère toutes les options, il regarde dans tous les sens. Je suis l’inverse. Je vais avec mon premier réflexe. Beaucoup de cette chanson, c’était surtout : Hubert a des idées, on s’en parle, on peaufine. Mais mes parties se sont finies super vite.
En travaillant avec Hubert, j’ai vraiment compris pourquoi ses albums sont si bons. Il investit un nombre incroyable d’heures dans son art. Il est très soucieux des détails. C’était le fun de travailler avec quelqu’un qui travaille différemment.
À l’opposé, Fouki est un exemple d’artiste qui a une approche très semblable à la mienne.
Vous aviez déjà collaboré avec Fouki par le passé, mais la chanson Comfy a connu un immense succès. Qu’est-ce que ça a changé?
Je ne suis pas certain. Les gens qui viennent voir nos spectacles ne sont pas nécessairement ceux qui écoutent la radio commerciale. Ce qui paye aujourd’hui dans l’industrie de la musique, ce sont les ventes de billets.

Je ne crois pas qu’une grande rotation comme ça a eu un effet direct sur nos ventes. Ça ne veut pas dire que ce n’est pas la première étape d’une séquence d’événements qui va me mener vers quelque chose d’autre. C’est impossible de quantifier ces choses-là. C’est comme essayer de calculer exactement pourquoi une plante survit ou meurt. On peut dire que c’est trop ou pas assez de soleil, mais il y a un milliard d’autres variables.
Quel est votre spectacle le plus marquant jusqu’à présent?
Ce qui me vient à l’esprit de façon évidente, c’est le MTelus, à Montréal. C’est une grosse étape d’être capable de remplir cette salle. En plus, c’est moi qui ai booké ça, c’est nous qui produisions le spectacle de façon indépendante. C’était une preuve qu’on n’avait pas besoin du système.
Être tête d’affiche aux Francos (festival aussi connu sous l’ancienne appellation Francofolies) de Montréal était aussi très marquant. Je ne peux pas encore croire qu’ils nous aient donné cet espace. J’ai beaucoup tanné les programmateurs!

Mais c’est aussi marquant quand on joue devant 150 personnes dans une petite ville. Un spectacle qui se passe bien, c’est le strict minimum. Sinon, c’est qu’il y a un problème et que c’est de notre faute. Je suis vraiment dur sur moi-même si le spectacle n’est pas à la hauteur de mes attentes.
Sur quoi travaillez-vous présentement?
J’écris et je produis mon prochain album. J’espère qu’il sera prêt pour 2026. J’ai encore du temps, mais j’ai aussi encore beaucoup de travail à faire. C’est impossible de dire à quel point je vais être productif. L’inspiration, ce n’est pas fiable.
Que signifie le 15 août pour vous?
On ne fête pas la Saint-Jean-Baptiste, ici, et la fête du Canada ne m’intéresse pas. Ma journée nationale, c’est le 15 août. C’est notre journée pour qu’ils n’oublient pas qu’on est toujours là. On fait du tronne, ça veut dire faire beaucoup de bruit. C’est notre journée pour faire du tronne. »

LES DATES-CLÉS DE P’TIT BELLIVEAU
1995 : Naissance à Fort Frances, en Ontario. Il grandira plutôt à la Baie-Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse.
2019 : Finaliste aux Francouvertes, sa carrière est officiellement lancée.
2020 : Sortie de son premier album, intitulé Greatest Hits Vol.1. Il se retrouvera sur la longue liste du Prix de Musique Polaris, tout comme Un homme et son piano, en 2022.
2024 : Il est l’une des têtes d’affiche du Congrès mondial acadien, dans le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, et reçoit le prix Acadie-Québec du gouvernement du Québec.
2025 : Il est l’une des têtes d’affiche des Francos de Montréal