Quand Reney Ray rime avec authenticité
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
Avec Reney Ray, il n’y a pas de filtre, pas de mise en scène. L’artiste originaire de Kapuskasing parle sans tabous de son bagage de vie et n’hésite pas à ouvrir son sac dans le but d’aider les autres. Rencontre avec celle qui vient de remporter, pour la deuxième année consécutive, le prix d’artiste francophone de l’année de la Country Music Association of Ontario (CMAO).
« Comment avez-vous réagi lorsque vous avez gagné cet autre prix de la CMAO?
J’étais persuadée que c’était Kristine St-Pierre qui gagnait, j’étais même en train de filmer sa réaction quand ils ont nommé mon nom! Ça m’a beaucoup touchée. Ça me touche énormément que les CMAO fassent de la place pour les francophones.
Quel est votre rapport avec l’Ontario aujourd’hui?
T’sais, quand tu rentres à la maison et que tu as un petit chocolat chaud avec une doudou? Des fois, je parle avec quelqu’un et je sais tout de suite que c’est un Ontarien, de la manière dont nos cerveaux se comprennent. Plus je vieillis, plus je m’ennuie. Et l’Ontario me soutient tellement dans mes projets que ça me touche profondément.
Qu’est-ce que signifie votre plus récent extrait, La p’tite tomboy?
C’est un portrait de mon enfance. Courir dans le bois, me salir, me faire dire : « Tu es une fille, mets des robes ». Mais je voulais un fusil et un walkie-talkie et aller courir avec mes frères.
Vous avez même travaillé dans la construction avant de faire de la musique…
Mon père était contracteur et architecte et j’ai été élevée sur les chantiers. Donc, c’est arrivé naturellement. Mais éventuellement, je me suis dit : si je me coupe un doigt avec une scie et que je ne suis plus capable de jouer de guitare… j’ai décidé d’arrêter.
La musique aussi est un milieu avec plus d’hommes que de femmes. J’ai toujours été confortable là-dedans. C’est moi qui décide si je fitte ou pas.
Quelle importance revêt l’authenticité pour vous?
Je ne m’entoure que de ça. Je ne connecte pas avec ceux qui essaient de prouver quelque chose ou de s’amplifier. On a tous des blessures qui font qu’on agit d’une certaine façon. J’aime mieux voir les blessures que voir le pansement.
Comment fait-on pour ne pas se perdre quand on évolue dans un domaine qui peut être superficiel?
On se perd! Personnellement, ce qui me ramène, c’est Dieu. Je gagne des prix, mes chansons jouent partout, les gens m’écrivent. Et des fois, je me sens seule au monde, parce que c’est un monde superficiel. Il ne faut pas oublier pourquoi tu es là, parce que tu aimes la musique.
Dimanche, je suis revenue des CMAO et je pleurais. J’avais l’impression de ne pas avoir apprécié le moment, car tout allait tellement vite.
Comment vivez-vous votre foi?
Je vis plus ma foi que ma musique. C’est ce qui fait que je travaille sur ma personne et que je veux écrire de la musique qui va aider les gens. Si vous regardez mes paroles de plus près, il y a souvent des références à Dieu. Je ne vais pas ouvertement me mettre à chanter ses louanges, mais je crois que la petite sagesse que j’ai acquise, c’est beaucoup grâce à Dieu et parce que je cherchais à devenir une personne qui avait des valeurs plus profondes. Ma foi, je me sens pas mal mieux avec que sans.
Vous avez trois nominations aux prochains Trille Or, dont le prix d’initiative artistique, pour vos conférences dans les écoles sur la prévention du suicide. Quel est ce projet?
J’ai vécu plusieurs suicides dans mon entourage, dont celui de mon père, qui était professeur. Donc, je ne cherche pas juste à toucher les élèves.
Quand j’étais au secondaire, à Kapuskasing, quelqu’un était venu parler de sa vie. Je vivais des choses à ce moment-là et j’avais trouvé inspirant qu’il partage son histoire. J’étais une petite rebelle. Je faisais croire que je me foutais de tout, mais ça m’avait vraiment captivée.
Donc, je vais dans les écoles pour toucher les jeunes et leur chanter quelques chansons, pour leur montrer qu’il y a toujours une façon de tourner ta douleur en positif.
C’est ce que vous avez fait avec l’album À l’ouest du réel, en 2021. Comment la période pandémique a-t-elle affecté votre musique?
J’avais de belles tournées prévues pour 2020. Ma mère est décédée, je suis tombée gravement malade et je me suis séparée, tout en même temps. Si tout ça m’était arrivé sans la pandémie, j’aurais dû annuler énormément de choses et je crois que ça aurait nui à ma carrière. On dirait que la vie s’est arrêtée pour que je puisse vivre tout ça. Je ne pense pas que la vie tourne autour de moi, ce n’est pas ça que je dis! (Rires.)
J’ai chanté sur cet album en étant tellement faible. J’avais du mal à rester debout. J’ai dit à John (John-Anthony Gagnon-Robinette, le coréalisateur de l’album À l’ouest du réel) que je voulais quand même un album positif. Il m’a aidée à rendre ça plus pépé.
Les médecins me disaient que j’étais dépressive. Je savais que ce n’était pas ça. Finalement, j’ai été au privé et ils ont trouvé que j’étais céliaque. J’ai pleuré de joie. Ça a pris trois jours et je recommençais à avoir de l’énergie.
En 2020, vous avez fait le buzz avec la chanson Fuck Noël c’t’année! Pensiez-vous qu’il y aurait une telle réaction?
Non! J’étais toute seule chez moi, je buvais du vin et je jouais de la guitare. J’ai envoyé ça à deux ou trois personnes de ma maison de disque, puis je suis allée me coucher. Quand je me suis réveillée, j’avais 16 courriels qui disaient : « C’est trop bon! Tu dois aller en studio demain. On sort ça dans cinq jours ». Et moi j’étais comme : Qu’est-ce que j’ai écrit, dont?
Dans Ici maintenant, vous exprimez l’espoir de voir l’humanité apprendre de cette épreuve collective. Aujourd’hui, trouvez-vous qu’on a appris?
Je pense surtout que les vraies couleurs des gens sont sorties. Ceux qui ont un caractère mesquin sont devenus plus mesquins, et ceux qui ont un caractère aidant sont devenus plus aidants. Ça a filtré beaucoup de mon entourage.
Je trouve aussi qu’on l’a oubliée vite.
Le vidéoclip de Online est un mini-documentaire sur le centre de femmes Madame prend congé. Qu’est-ce qui vous a amenée à vous impliquer dans cette cause?
J’ai vu ma mère être victime de violence conjugale. Et dans mes propres relations, ça n’a pas toujours été super beau, jusqu’à ce que je décide que je vaux quelque chose. Je voulais dire que c’est faisable de partir et de refaire sa vie.
Vous êtes récemment montée sur scène avec votre fille. Comment avez-vous vécu ce moment?
Ce sont des moments que je chéris de tout mon cœur. Je deviens un bébé lala quand elle est là. C’est une musicienne magnifique. Je suis en train de faire un nouvel album, et elle a même composé dessus. Je suis tellement fière d’elle!
Qu’est-ce qui vous plaît quand vous écrivez des chansons pour les autres?
En tant qu’interprète, je sais ce que je suis capable de faire, donc j’écris en fonction de mon confort. Quand j’écris pour d’autres, je peux me permettre de faire des choses que je ne ferais pas si je me limitais à mes habiletés. Ma créativité explose.
Quelle chanson écrite pour quelqu’un d’autre vous rend particulièrement fière?
J’ai écrit plusieurs chansons pour 2Frères. Quand je les ai entendues, j’ai pleuré comme un bébé.
J’ai aussi écrit une chanson pour Ricky Paquette qui n’est pas sortie encore. Quand il la chante, j’ai la chair de poule. Ma version sonne comme du Jack Johnson. Et lui, c’est du Aerosmith.
Quelle est l’histoire derrière votre chanson avec Martin Deschamps, sortie en mai dernier?
Elle fait très country américain. Je l’ai écrite en anglais. Je voulais un truc à la Grease, version bicycle à gaz. La version anglaise sortira un jour sur un de mes albums. Mais Martin avait envie de la traduire, et il est excellent pour ça.
Le titre devait être Tiens-moi fort. Mais avant que ça sorte, Marc Dupré a sorti une chanson avec le même titre. Alors on a appelé la nôtre C’est la belle vie.
Ça fait un bout que vous parlez de faire un album double, anglais-français. Où en êtes-vous avec ce projet?
Ça fait longtemps que c’est prêt, mais malheureusement… je commence à peine à le dire. J’ai pris la décision de me séparer de ma maison de disques. J’ai renoncé à sortir ces albums-là avec eux. Ils vont sortir éventuellement. Pour l’instant, pour ne pas décevoir mon public, je suis rentrée en studio et j’ai fait un autre album en français. Je vais en faire un en anglais dans le prochain mois, plus acoustique. Je vais probablement les sortir à l’automne.
Par contre, une autre raison pourquoi je ne suis pas certaine de quand ça va sortir, c’est que ma fille vit des moments difficiles. J’ai annulé plusieurs tournées pour rester avec elle. Elle aura besoin de traitements pendant quelques mois.
Le seul spectacle que je vais honorer, c’est la Saint-Jean-Baptiste à Sudbury. Après, je vais prendre une pause des tournées hors-Québec.
Une autre chanson qui a marqué les esprits est Le p’tit Reney, sur votre premier album. Entretenez-vous encore le même rapport à la langue?
Je me trouve encore autant drôle! Depuis que je suis au Québec, j’essaie de parler comme les Québécois, pour ne pas qu’ils me reprennent dans les entrevues. Mais quand je parle à des anglophones, mon pattern de switcher back and forth et mon accent de l’Ontario reviennent tout de suite.
C’est pour ça qu’au début, je ne voulais pas faire d’album en français. Je me faisais tout le temps reprendre au Québec. J’avais peur de me faire dire : check l’Ontarienne qui essaie de chanter en français.
À un moment donné, j’ai fait : ils mangeront de la schnoutte s’ils ne sont pas contents (rires). Je vais chanter en français! Je viens de l’Ontario et je suis francophone. C’est ce qui a parti ma carrière.
Vivez-vous de l’insécurité linguistique?
Plus maintenant. J’ai tellement travaillé que les Québécois ne s’en rendent plus compte. Mais on dirait que depuis un an ou deux, je suis entourée d’anglophones parmi mes musiciens et mon français redevient comme quand j’étais en Ontario. Ça me rend heureuse. Je passais tellement de temps à réfléchir à comment dire les choses, que j’ai laissé de côté une partie de ma personnalité. Quelqu’un qui parle comme nous, en mélangeant les langues, il comprend tout et je peux vraiment me laisser aller. Je deviens de meilleure humeur et plus comique.
Est-ce qu’on sous-estime la curiosité des anglophones par rapport au français?
Un jour, dans un spectacle aux États-Unis, quelqu’un a crié : « Play a French song! » J’ai joué une chanson en français et les gens ont adoré.
Il y a deux ans, j’ai aussi fait une performance en français au gala du CMAO. Les organisateurs m’ont dit que c’était un des moments forts de la soirée. Les anglophones trouvent ça bien exotique, le français.
Vous avez gagné plusieurs prix. Lequel vous a fait le plus plaisir?
French Songwriter of the Year aux Canadian Folk Music Awards (CFMA). Parce que c’est pancanadien. J’étais fière de représenter les francophones de l’Ontario.
J’apprécie aussi être nommée dans plusieurs catégories aux Trille Or. C’est bien d’être nommée artiste de l’année, mais me faire dire bravo pour tous les aspects de mon travail, c’est encore mieux.
Pourquoi avez-vous choisi de réaliser vous-même votre prochain album?
J’ai toujours coréalisé mes albums. On dirait que c’est souvent le nom du gars qui apparaît et toi tu te fais oublier. Pour les albums de l’an dernier et qui ne sont pas sortis, j’ai fait celui en anglais avec Ricky Paquette. Mais il n’avait pas le temps de faire celui en français. Ma gérante m’a dit : « Fais-le toute seule. Tu vas montrer au monde ce que tu es capable de faire ». Et c’est mon meilleur album en carrière.
Quel est votre instrument préféré?
J’aime vraiment mieux jouer du piano que d’autre chose. Non, ce n’est pas vrai. Je déteste le piano. J’ai une relation amour-haine. Les trois quarts du temps, je ne veux pas en jouer. Mais quand j’en joue, je ressens quelque chose que je ne peux pas expliquer. Sinon, c’est avec la guitare que je suis le plus à l’aise. Et j’ai aussi un gros trip quand je joue de la batterie, même si je n’en joue pas souvent.
Avez-vous d’autres projets à venir?
Puisque je serai beaucoup à la maison prochainement, j’ai décidé de lancer un podcast. Ça devrait sortir à l’automne. Ça s’appelle Backline. C’est l’histoire cachée des artistes. Ce sera très humain, très authentique. »
LES DATES-CLÉS DE RENEY RAY :
1985 : Naissance à Kapuskasing. Elle grandira à Val-Rita.
2003 : Déménagement à Saint-Sauveur, au Québec
2014 : Lancement d’un premier album anglophone avec son groupe Bloodstone and Ray.
2018 : Lancement d’un album éponyme, qui marque le début de sa carrière solo et francophone.
2020 : Participation à la tournée de Martin Deschamps et début de sa collaboration avec 2Frères, pour qui elle écrit des chansons.
2022 : Récipiendaire des prix French Songwriter of the Year aux CFMA et d’artiste francophone de l’année aux CMAO, qu’elle remportera aussi en 2023.
2023 : Partage la scène avec sa fille, une grande source de fierté.
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.