
Radio-Canada Ontario : une restructuration qui ne fait pas l’unanimité

TORONTO – Zaahirah Atchia, directrice des stations de Radio-Canada à Toronto, Windsor, London et Sudbury depuis novembre 2021, quitte ses fonctions, selon une note interne qu’ONFR a pu se procurer. On apprend aussi qu’Yvan Cloutier lui succède, tout en continuant d’assumer son rôle de directeur régional à la station d’Ottawa-Gatineau. Selon certaines sources, l’ambiance générale serait particulièrement tendue dans certaines stations du radiodiffuseur public.
L’annonce aurait été faite lundi matin lors d’une réunion virtuelle aux employés des salles de la région, provoquant une certaine surprise, selon plusieurs sources à Radio-Canada.
« La façon dont l’annonce a été faite est inacceptable. En n’allant pas droit au but, il y a eu confusion et nous ne comprenions pas si Zaahirah était remerciée ou non. Qu’elle soit dans la pièce au moment de l’annonce qui s’est faite à distance par le grand patron à Montréal était aussi malaisant », confie un employé de Radio-Canada.
Jean François Rioux, directeur général des médias régionaux, explique ainsi sa décision dans une note interne aux employés : « Dans un souci constant d’adapter notre offre aux besoins de nos auditoires et de renforcer notre proximité avec tous les francophones du pays, j’ai décidé de poursuivre la révision de la structure de gestion entamée il y a plusieurs mois déjà. Cette démarche vise à allier alignement stratégique et gestion de proximité ».
Un processus qui, selon lui, avait été entamé au Québec en novembre dernier avec le regroupement de la Côte-Nord avec les régions du Nord-du-Québec, ainsi que celui du Bas St-Laurent et de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine avec la grande région de Québec, et qui s’est poursuivi en mars 2025 avec l’ajout de la Mauricie-Centre-du-Québec à la direction de l’Estrie.
« On se disait, nous, l’Ontario, on n’est pas encore là mais peut-être, qui sait. Mais là, ils nous font ça abruptement. Pourquoi l’avoir fait comme ça? Quelle maladresse! On nous parle d’une continuité, mais ils auraient pu donner un mois de préavis à Zaahirah », soutient cette autre source.
Des craintes pour la gestion des stations
La décision de confier les rênes des régions de l’Ontario et celles de la salle d’Ottawa-Gatineau à la même personne s’inscrit dans la lignée de cette réorganisation, peut-on aussi lire dans la note.
« Fort de ses quinze années d’expérience de gestion, dont dix en tant que directeur régional, Yvan a pour mandat de consolider la gestion de proximité au sein de ces stations. Des postes de gestion pourraient être créés pour soutenir cet objectif et assurer le meilleur accompagnement possible à nos équipes », écrit M. Rioux.
« J’accepte cette nouvelle responsabilité avec beaucoup d’humilité, car je sais que les attentes des francophones de l’Ontario à l’égard du diffuseur public sont importantes. Je sais que, chaque jour, les équipes de Radio-Canada en Ontario travaillent ardemment à remplir leur mission et c’est pour moi un grand honneur de pouvoir les accompagner », tient à mentionner Yvan Cloutier.
Néanmoins, ce double mandat suscite une certaine inquiétude, selon nos sources qui évoquent des craintes devant cette double responsabilité vue par certains « comme une forme de tutelle ».
L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) dit saluer l’expérience de M. Cloutier, mais avoir « des inquiétudes quant aux impacts potentiels de cette décision sur la couverture médiatique des réalités franco-ontariennes », dans une déclaration écrite à ONFR.
« Le fait que toute la direction ontarienne de Radio-Canada soit désormais pilotée depuis Ottawa-Gatineau comporte un risque tangible de dilution des enjeux locaux et régionaux, particulièrement dans des régions comme le Centre, le Sud-Ouest ou le Nord de la province », croit également, le président de l’AFO, Fabien Hébert.

La direction se veut toutefois rassurante, comme on peut le lire, encore une fois, dans la communication aux employés : « Nous tenons à vous assurer que cette évolution de la structure n’affecte en rien les mandats des stations, ni leur indépendance. Les stations conservent leur autonomie et continueront de produire des contenus pertinents et ancrés dans leurs communautés. »
En juin, M. Cloutier annonçait une formule renouvelée pour le Téléjournal Ottawa-Gatineau, lequel consacre, depuis septembre, les trente dernières minutes du bulletin à des sujets d’intérêt régionaux, nationaux et internationaux.
Des relations compliquées
Mme Atchia a été rencontrée lundi matin et aurait accepté la décision, fait savoir M. Rioux dans cette communication interne. « Je l’ai rencontrée ce matin, et l’ai remerciée pour sa contribution à Radio-canada. Zaahirah a tenu à souligner qu’elle comprenait et appuyait parfaitement la vision présentée. »
Celle qui était également gestionnaire de la salle des nouvelles de Windsor a notamment contribué à la création du bureau économique de Toronto et à l’implantation d’un bureau journalistique à London.
Sa nomination, en 2021, avait fait grincer des dents alors que plusieurs journalistes disaient s’interroger sur la crédibilité, les compétences et l’expérience de l’ex-directrice de la radio communautaire CHOQ-FM.
Celle-ci avait notamment démissionné, en 2019, du conseil d’administration de La Passerelle-IDÉ, lequel avait été éclaboussé par un quadruple scandale de gestion de fonds publics.
Une source avec une certaine expérience a bien accueilli la nouvelle : « Sur le fond, le changement était nécessaire. Les équipes sont démotivées, la gestion ne comprend pas notre réalité et il était impossible de faire comprendre nos points sans que Zaahirah se mette sur ses gardes. Nous marchions toujours sur des œufs et avions peur d’avoir des discussions difficiles. »
« Il y a un climat toxique dans toutes les salles de nouvelles qui relevaient de la gestion de Zaahirah », confie une autre source, qui juge que l’ex-gestionnaire faisait du favoritisme.
ONFR a tenté de rejoindre Mme Atchia pour une réaction, mais n’a pas reçu de réponse favorable.
Différence de traitement?
D’autres employés n’ont pas la même vision des choses. Un de nos contacts va même jusqu’à dire : « Zaahirah était la seule gestionnaire noire du réseau et voilà qu’on la congédie pour mettre d’autres caucasiens! À l’image de la philosophie de Radio-Canada : les noirs on les veut dans l’Ouest, dans des rôles secondaires, pas en avant-plan ».
« Elle avait clairement à cœur l’avancement des personnes noires, comparativement aux gestionnaires de la vieille garde », révèle aussi une autre source, qui dit constater un manque de diversité dans la station de Toronto, contrairement à celle des autres régions.
Même son de cloche chez cet autre employé : « Il n’y a pas le même traitement pour les gens de couleur, surtout pour les personnes noires, par rapport à celles dont la peau est blanche. »
La couleur de peau a-t-elle influé la manière dont Mme Atchia a été traitée, comme le clament plusieurs employés?
« Absolument pas », répond par courriel Marie-Claude Gélinas, cheffe, Expériences citoyennes et partenariats pour Radio-Canada en Ontario et responsable des relations avec les médias.
« La décision prise s’inscrit dans une réorganisation de la structure de gestion de nos stations régionales amorcée en novembre 2024. L’engagement envers la diversité, l’inclusion et la représentation des minorités demeure une priorité à Radio-Canada », déclare-t-elle.
Climat de travail et enquête sur la toxicité
Un peu plus tôt, en novembre dernier, c’était le premier chef des contenus pour le Nord de l’Ontario, Éric Bachand, qui perdait son emploi. Fin avril, c’était Andréanne Germain, réalisatrice à l’émission Jonction 11-17, qui lui succédait à ce poste.
« Nous sentions le besoin de renouveler le leadership au sein de la station afin de poursuivre la transformation et le virage numérique en cours », précisait alors Marie-Claude Gélinas.
On apprenait aussi qu’une enquête par une firme externe avait été lancée concernant le climat dans la salle de Sudbury.
« En ce qui concerne le climat de travail, Radio-Canada prend toujours très au sérieux toute situation pouvant contrevenir à nos politiques internes et affecter le climat de travail. Nous avons décidé de procéder à une évaluation de l’environnement de travail de la station de Sudbury avec l’aide d’une ressource externe, afin de mettre sur pied un plan d’actions pour enrayer toute situation problématique, selon les recommandations obtenues », continue Mme Gélinas.
Selon plusieurs sources, la toxicité est encore bien présente, même dans une autre station. « C’est depuis bien avant Zaahirah que le climat n’est pas bon à Toronto. Il y a des gens qui contribuent au climat toxique de Toronto qui sont encore en poste parce que personne ne leur fait rien », nous explique une autre personne.
Concernant l’état de l’enquête à Sudbury et d’autres à potentiellement mener pour les autres salles, Mme Gélinas répond : « L’étude a été complétée et des actions ont déjà été entreprises. Toute étude de climat est faite lorsque jugée appropriée ».