Rapport du GIEC : « Il n’y a pas beaucoup de raisons d’être super optimiste »

Thomas Burelli, professeur de Droit de l'environnement à l'Université d'Ottawa. Crédit image: Lila Mouch

[ENTREVUE EXPRESS]

QUI :

Thomas Burelli est professeur en droit de l’environnement à la Faculté de Droit de l’Université d’Ottawa. Son expertise prend en compte le droit de l’environnement et le droit international de l’environnement. Il s’intéresse aux questions de justice environnementale et au droit des peuples autochtones.  

LE CONTEXTE : 

Le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié le 20 mars, est, pour beaucoup, « un guide de survie » face aux changements climatiques. Depuis 1988, le GIEC fournit des évaluations et des constatations sur l’état des changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions et propose des stratégies. Tous les sept ans, il formule un rapport qui deviendra la marche à suivre pour les prochaines années à venir.  

L’ENJEU :

En 2018, le GIEC martelait la nécessité de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C.  Cinq ans plus tard, le comportement de l’homme et l’industrialisation ont permis une élévation de la température de 1,1 °C par rapport à la période préindustrielle. Aujourd’hui, on observe plus souvent et plus intensément des phénomènes météorologiques rares et extrêmes qui affecteront près de 3,6 milliards de personnes, la moitié de la population mondiale.

« En Amérique Nord et surtout en Ontario, sommes-nous de grands pollueurs?

L’Union européenne et l’Amérique du Nord sont ceux qui ont le plus contribué à la crise climatique. La Chine aussi, mais par habitant le Canada et les États-Unis sont les pires. Des collègues – au nom d’un groupe de jeunes activistes – saisissent justement l’Ontario devant les tribunaux, pour l’insuffisance des prises de décision en matière de lutte contre le changement climatique.

L’argument de l’Ontario est que, par rapport aux autres, il émet moins. Il y a toujours ce débat de « nous, on pollue moins que le voisin ». Sauf qu’il y a tout de même des émissions historiques et c’est plus facile pour nous de réduire notre empreinte que de demander à quelqu’un du Bangladesh par exemple qui vit dans la pauvreté.

Dans le rapport du GIEC, on peut lire qu’une des grandes solutions serait de réduire les gaz à effet de serre. Comment pourrions-nous contribuer en Ontario?

L’Ontario pourrait être beaucoup plus ambitieux par rapport à la transition énergétique. Cette province a même intérêt à le faire et le plus tôt possible. Plus on attendra et plus ce sera compliqué. Quand cette transition aura lieu, il va y avoir des tensions énormes pour l’accès aux ressources. D’ailleurs, un récent conférencier expliquait que dans les prochaines décennies, il va falloir extraire plus que ce que nous avons extrait depuis le début de l’humanité.

Pour lutter contre les changements climatiques, il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre. Source : Canva

Mais cette transition va être nécessaire pour la province et, comme le rapport du GIEC le souligne, il y a des tendances très intéressantes. De 2010 à 2019, il y a eu des diminutions du coût de l’énergie solaire (85 %), de l’énergie éolienne (55 %) et des batteries lithium-ion (85 %). Maintenant, ce serait intéressant pour l’Ontario d’investir là-dedans, pour être les premiers.

La province devrait aussi soutenir les plus grands pollueurs dans leur transition écologique. Le gouvernement a quand même fait une bêtise en sortant du marché du carbone qui fonctionnait bien.

Le rapport de synthèse parle de pertes irréversibles dans le monde entier. Au Canada, à quoi pourrions-nous, nous attendre?

Il va y avoir un impact sur les forêts, les espèces, de fortes chaleurs, de fortes périodes de froid. Ce n’est vraiment pas un bon signe pour l’agriculture au Canada. Plus de feu de forêt et perte de la biodiversité aussi. Avec la fonte des glaces, des territoires vont disparaître, mais c’est aussi le risque de voir plus de maladies, des nouveaux parasites et des virus enfermés sous la glace.

L’autre chose, avec les changements climatiques, c’est qu’il y a des endroits où ça va aller mieux. Dans le sud de l’Ontario, ils sont contents : il va faire plus chaud, donc pour le domaine viticole, ce sera mieux. Des événements extrêmes et inconnus vont apparaître. Nous allons voir de plus en plus d’anomalies et c’est surtout très dur à prédire.

Le rapport du GIEC est quand même plein d’espoir. Pour les experts, rester en dessous de la barre du 1,5 °C est réalisable, pourtant la tendance est à l’inverse. Qu’en pensez-vous?

On sait qu’on va le dépasser, c’est inévitable. Le rapport est écrit d’une telle manière que si on fait tout bien, on peut rester en dessous du 1,5 °C. Mais on sait que ça n’arrivera pas. Dans le rapport, ils disent que si les États continuent de se comporter ainsi, on n’y arrivera pas. Il y a un problème d’engagement et de mise en œuvre de ces engagements.

D’après le rapport du GIEC, si les pays ne prennent pas des décisions maintenant, de plus en plus de phénomènes vont se produire. Source : Canva

Regardons chez nous, les projets pétroliers, notamment avec le projet Bay du Nord, c’est catastrophique. Au début, ils parlaient de 300 millions de barils. Aujourd’hui c’est 1 milliard. Jusqu’en 2053, on va sortir des barils de ce truc-là.

Vous allez voir, on va dépasser le 1,5°C et bientôt le discours va changer et ce sera : « Comment revenons-nous à 1,5 °C? »

3,6 milliards de personnes vont souffrir des changements climatiques selon le rapport qui indique que les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables seront les plus durement touchées. Qu’est-ce que cela signifie?

Les personnes les plus riches polluent beaucoup plus que les personnes pauvres. Le sud des États-Unis est inquiétant. D’ailleurs, pour le Canada, c’est un risque de voir des gros mouvements d’immigrations de masse.

Puis, ce sont les réalités pour les peuples autochtones. La fonte des glaces va affecter les moyens de subsistance, les déplacements. Dès qu’on touche à la biodiversité et qu’on touche aux moyens de subsistance, on affecte les communautés. Les facteurs de vulnérabilité décuplent l’impact sur les communautés qui n’ont toujours pas accès à l’eau potable. Ça va être dramatique. Il n’y a pas beaucoup de raisons d’être super optimiste.

Pour le Canada, le risque de fonte des glaces est une sérieuse inquiétude. Source : Canva

Le rapport dit clairement pour la première fois que l’activité humaine a causé le changement climatique. Il n’y a plus de débat.

La mortalité liée aux inondations, aux fortes chaleurs et autres aspects de l’environnement se serait multipliée par quinze entre 2010 et 2020. Cela pourrait-il empirer?

Ajouter à cela les facteurs de vulnérabilité et de pauvreté, ça va être difficile. Au Canada, on est encore protégé par les voies d’accès, mais on va devoir jouer un rôle important, parce qu’il y aura une migration de masse. Il y a des zones sur la planète qui vont devenir inhabitables. Il va faire tellement chaud que ce sera invivable. Le corps humain ne pourra pas le supporter. Il y aura des 100 % d’humidité et des températures extrêmes. Les gens vont mourir.

Si on continue comme ça, en 2050, on se dirige vers un réchauffement de 3,2 °C à 4 °C, sans compter des effets d’emballement. C’est dramatique, mais c’est la réalité. »