Réforme de la santé : incertitudes sur les services en français

La ministre de la Santé et des soins de longue durée Christine Elliott. Gracieuseté

TORONTO – De nombreuses zones d’ombre persistent sur la façon dont le ministère compte remettre de l’équité dans l’accès aux soins dans les deux langues officielles. Offre active, réduction des listes d’attente, sous-ministère dédié, articulation avec les entités de planification, représentativité dans le conseil d’administration de Santé Ontario… Toutes ces questions restent en suspens.

Déterminée à « défier le statu quo et les années d’inefficacité », la ministre Christine Elliott promet un système plus juste et de proximité, fondé sur la collaboration et centré sur le patient, y compris francophone.

Mais à ce jour, les entités de planification des services en français, organismes dédiés à l’amélioration de l’offre de santé en langue française, ne sont toujours pas fixées sur leur rôle futur, le maintien de leur nombre, ni même sur un calendrier de transition.

« Dans la loi de 2019, le ministère dit clairement qu’on est là pour rester. On espère tout de même avoir plus de détails dans la collaboration avec Santé Ontario, les cinq bureaux régionaux et les équipes de Santé Ontario. Pour l’instant c’est encore flou », confie Gilles Marchildon, ancien directeur général de Reflet Salvéo, une des six entités, implantée dans la région du Grand Toronto.*

« Elles devront s’engager auprès de leur communauté locale pour conseiller Santé Ontario (la grande agence provinciale centralisée) sur toutes les questions relatives à la planification des services en français », rassure le ministère de la Santé, rappelant que la Loi 2019 sur les soins de santé pour la population les inclut pleinement dans le futur schéma et qu’un groupe de travail sur les services de santé en français planche sur la mise en œuvre de priorités.

Statu quo pour les entités de planification

Incluant des membres du ministère, des réseaux locaux d’intégration des services de santé (RLISS) et des entités, ce groupe qui a tenu sa dernière réunion à la mi-juillet, n’a rien révolutionné : les entités poursuivent leur mission actuelle de planification et de conseil aux RLISS, selon le règlement en cours.

Une fois les RLISS transférés à Santé Ontario, les entités dépendront d’un nouveau règlement et devraient conseiller directement l’agence provinciale. « C’est pour nous l’opportunité d’émettre des recommandations, non plus locales, mais à l’échelle provinciale, portant, par exemple, sur la carte santé ou des organisations comme Action Cancer Ontario », entrevoit Diane Quintas, directrice générale d’une autre entité : le Réseau du mieux-être francophone du Nord de l’Ontario. « Mais pour l’instant nous ne sommes pas fixés là-dessus. »

Déjà, les conseils d’administration des RLISS ont cédé la place à un seul conseil, celui de Santé Ontario. Mais aucun francophone n’y siège, pour l’heure, aux côtés de sa présidente par intérim, Susan Fitzpatrick.

« Les personnes qui se sont présentées possèdent un large éventail de compétences spécialisées », rétorque-t-on au ministère. « Ensemble, elles veilleront à ce que Santé Ontario soit en bonne position pour moderniser et renforcer le système de santé public. »

Ce nouveau schéma, centralisé autour d’une agence provinciale, permettra des économies budgétaires, tout en rendant les soins « plus performants », promet le gouvernement qui s’appuie sur les recommandations du conseil du premier ministre.

Le conseil du premier ministre muet sur les soins en français

Or, à ce jour, aucun des deux rapports qu’ONFR+ s’est procurés mentionne des stratégies de soins en français. Il est question d’éliminer la médecine de couloir, de soins connectés, de navigation fluidifiée, mais pas de combler tout retard pris sur l’accès de soins en français.

Le ministère tempère : il dit recevoir des « recommandations sur les problèmes de santé et de prestation de services liés aux communautés francophones » émanant du Conseil consultatif ministériel des patients et des familles. « Il a un impact important sur nos initiatives en matière de planification, notamment des soins de longue durée, des soins à domicile et en santé mentale. »

Là encore, rien ne permet d’affirmer, dans les récentes déclarations de la ministre et les rapports rendus publics, qu’une lentille francophone ait été appliquée dans les différentes démarches préparatoires. C’est pourtant en amont que l’inclusion des services en français a le plus d’impact et coûte le moins cher, comme le faisait souvent remarquer François Boileau, l’ancien commissaire aux services en français de l’Ontario.

Qu’en est-il du sous-ministère aux services en français?

L’absence d’expertise de ce commissariat indépendant, supprimé il y  un an, se fait déjà sentir, selon certains intervenants. De même que celle d’un sous-ministre capable d’infléchir certaines décisions allant à l’encontre de l’amélioration de l’offre en français.

Le siège de Tim Hadwen est vacant et rien n’indique qu’il sera pourvu. « Le directeur par intérim de la Division des services à la communauté, de la santé mentale et des dépendances, et des services en français continue d’assumer la responsabilité de la surveillance des services de santé en français », relativise le ministère.

Une autre zone d’ombre demeure : celle de la capacité des futures équipes de Santé Ontario de fournir effectivement des services dans les deux langues officielles. En contact direct avec la population, ces équipes locales (une centaine au total) auront la responsabilité de faciliter la navigation des patients.

« Respecter le rôle des francophones »

« Les équipes Santé Ontario doivent démontrer qu’elles respectent le rôle des peuples autochtones et des francophones dans la planification, la conception, la prestation et l’évaluation des services destinés à ces communautés », avertit le ministère, se disant attentif au respect de la Loi sur les services en français.

 « On a été capable de faire des avancées intéressantes avec les RLISS en améliorant la coordination et la navigation des soins qui ont un impact sur les francophones », estime Estelle Duchon, directrice de l’Entité 4. « On voudrait aller de plus et plus loin et développer de nouveaux programmes avec les centres de santé et dans les soins primaires. Là où on a le plus de difficulté, c’est avec les hôpitaux. Ce sont de grosses machines difficiles à faire bouger, surtout dans les endroits avec 2% de francophones dans nos territoires. »

« Un hôpital ou un autre fournisseur de services de santé qui ne se conformerait pas aux dispositions d’une loi ou d’un règlement applicable pourrait être soumis à des mesures de conformité », assure encore le ministère. « Lorsque Santé Ontario proposera de financer une organisation, celle-ci sera tenue de conclure une entente de responsabilisation énonçant les conséquences potentielles de toute violation des conditions. »

Quand on sait que plusieurs équipes en lice pour faire partie de la première vague de l’automne n’auraient pas consulté les acteurs francophones en santé, le doute est permis.

Une fois ce doute levé, le gouvernement devra s’attaquer à un problème majeur, s’il veut réduire les temps d’attente et faciliter la navigation dans le nouveau système : le manque de professionnels de santé bilingues, qui se fait sentir même dans les régions désignées sous la Loi des services en français.

* Au moment de l’entrevue, M. Marchildon occupait toujours les fonctions de directeur général de Reflet Salvéo