Regard croisé sur un demi-siècle de relation entre le Québec et l’Ontario

Outre la création du Bureau du Québec à Toronto en 1973, Québec a aussi ouvert des bureaux à Edmonton (jusqu'en 1995) et à Moncton en 1980, puis à Vancouver en 1992. Montage ONFR

TORONTO – Le bureau du Québec à Toronto (BQT), qui fut la toute première représentation officielle hors du Québec en 1973, a fêté mardi ses 50 ans. Cette étape dans le rapprochement avec l’Ontario a érigé un pont interprovincial sur le pilier politique, économique, culturel et linguistique. Deux pionniers de sa création, François Lebrun, ancien délégué général du Québec à Toronto et ex-président de la chambre des commerces français au Canada et Don Stevenson, ex-sous-ministre ontarien et co-président de la Commission de collaboration Québec-Ontario, reviennent, en français, sur le contexte fort de sa création.

Don Stevenson est présent en 1969 pour la signature officielle de l’Accord de coopération et d’échanges en matière d’éducation et de culture Ontario-Québec, avec Jean-Jacques Bertrand, alors premier ministre du Québec et John Robarts, alors premier ministre de l’Ontario.

Cet accord initie la création de la Commission permanente de collaboration entre Ontario et Québec, pour rapprocher les deux provinces, dont il devient le co-président. Son homologue québécois n’est autre que François Lebrun, également co-président de la Commission.

Le BQT voit le jour quatre ans plus tard, en 1973, avec pour mission de promouvoir le Québec et de faciliter les échanges au travers des relations gouvernementales, du développement économique, de la francophonie et de la culture.

À gauche, François Lebrun, délégué général du Bureau du Québec à Toronto, à droite, Donald Stevenson, sous-ministre adjoint ontarien, tous deux co-présidents de la Commission permanente Québec-Ontario en 1977. Source : Secrétariat du Québec aux relations canadiennes

François Lebrun, également ancien délégué général du Québec à Toronto et ex-président de la chambre des commerces française au Canada, nous raconte la situation de « crise d’octobre » qui a déterminé la création du BQT.

Selon lui, tout commence suite à la tragédie arrivée au Québec en octobre 1970, l’assassinat du ministre du Travail Pierre Laporte par des membres du Front de libération du Québec : « Le premier ministre du Québec Robert Bourrassa (Parti libéral) a alors pensé qu’il fallait ouvrir un bureau à Toronto pour rassurer le milieu des affaires de Toronto », confie-t-il. Les rapports commerciaux étant déjà importants entre les deux provinces.

Malgré une motivation économique forte, le contexte politique changeant rebat les cartes avec, pour la première fois, l’accession au pouvoir du gouvernement québécois souverainiste séparatiste en 1976 de René Lévesque (Parti québécois).

Clivage politique et enjeux économiques

M. Stevenson, sous-ministre adjoint et conseiller du premier ministre ontarien Bill Davis, se rend à Québec avec ce dernier, juste après l’élection du parti à Québec, pour des discussions avec le nouveau premier ministre québécois, qu’il qualifie de difficiles, l’Ontario étant en faveur du marché commun et le Québec voulant conserver ses propres règlements bloquant les liens interprovinciaux.

Alors aux affaires fédérales-provinciales, le québécois François Lebrun est alors envoyé pour représenter Québec au BQT en 1977 : « Dans ce contexte de changement politique où les gens d’affaires ontariens perdaient leurs contacts privilégiés du gouvernement libéral québécois, de facto, je me suis retrouvé à rassurer et à faire de la médiation. Mon mandat officieux était également de questionner les leaders économiques ontariens sur leur avis concernant la situation politique au Québec et ce qu’ils feraient si un référendum indépendantiste passait. »

L’Ontarien Don Stevenson et le Québécois François Lebrun, exhibant le chandail du Québec que porte son ami ontarien de longue date, à la célébration des 50 ans du BQT à Toronto. Crédit image : Sandra Padovani

Il raconte également que le passage de la Loi 101 de la Charte de la langue française en août 1977, remplaçant la Loi 22 sur la langue officielle, faisant du français la langue unique de l’enseignement, de l’administration, du travail et du commerce, oblige les entreprises extérieures à communiquer exclusivement en français avec les entreprises québécoises. « Ça a joué un rôle fondamental et les compagnies se sont adaptées », commente M. Lebrun.

« En 1985, les rapports s’améliorent avec l’élection de David Peterson en Ontario, devenu ami avec Robert Bourassa, premier ministre du Québec », raconte Don Stevenson que M. Peterson nomme comme son représentant à Québec en 1985 pour organiser des échanges et des programmes entre l’Ontario et la Belle Province.

Si les relations commerciales entre les deux provinces existaient depuis des siècles, même avant la création de la commission et du bureau, selon l’ancien délégué général du BQT M. Lebrun, la vraie innovation s’est opérée par le fleurissement des échanges culturels et universitaires, ces deux dernières communautés, des deux provinces, étant sur la même longueur d’onde.

« J’ai présidé une commission des coordinateurs de services en français de tous les ministères et, par étape, on a nommé des coordinateurs en commençant avec l’éducation et la culture. Quand j’ai quitté le gouvernement en 1989, j’étais plutôt satisfait des avancées dans ces domaines », rapporte également M. Stevenson

Deux provinces interdépendantes

Lorsqu’interrogé sur l’évolution des tendances par décennie, Don Stevenson résume ainsi : « On a assisté à de grands progrès dans les années 60, des difficultés dans les années 70, des progrès constants dès les années 80 et 90 (malgré ma déception quand le bureau de l’Ontario à Québec que j’ai créé en 1987 a été supprimé). Les années Kathleen Wynne côté Ontario ont été fructueuses quant aux accords avec Québec, mais le replacement des deux gouvernements a fait stagner les choses. De nos jours, Doug Ford approche par étape de meilleurs liens avec son homologue à Québec François Legault. »

L’accord en francophonie annuel garantit un investissement commun de 250 000 $ chaque année de chacune des deux provinces pour la francophonie. En 2022-2023, 531 670 $ de subventions ont été consacrés à des initiatives conjointes.

Si M. Stevenson ajoute avec humour être déçu qu’un train à grande vitesse (TGV) ne relie pas Montréal et Toronto, il considère que les rapports restent un défi et requièrent un travail mutuel de collaboration, mais se dit « heureux de la vitalité franco-ontarienne en Ontario ».

François Lebrun et Don Stevenson s’entretiennent avec Sandra Padovani à Toronto, 50 ans après la genèse du BQT dont ils ont été les acteurs. Crédit image : Rudy Chabannes

« De nos jours, avec du recul, je réalise qu’on a encore beaucoup de projets à faire pour se connaitre mutuellement », nuance François Lebrun. « Cela me rappelle le livre Chers voisins : ce qu’on ne connait pas de l’Ontario de Jean-Louis Roy. »

Celui-ci compare les relations économiques Ontario-Québec avec les relations France-Allemagne au sein du marché commun, dont les relations sont fondamentales pour l’avenir du Canada et de l’Europe, qui se doivent d’être unis.

Selon le gouvernement de l’Ontario, le Québec, qui est son plus important partenaire commercial au Canada, comptait en 2017 pour 33 % du total des exportations interprovinciales de l’Ontario et pour 41 % du total des importations commerciales interprovinciales de l’Ontario.

« Aujourd’hui le Québec exporte aux États-Unis, mais le marché avec l’Ontario est le plus important. Depuis 40 ans le commerce a augmenté entre les deux provinces et le tourisme n’a cessé de se développer. D’ailleurs, on voit pour la première fois une inversion : des Ontariens du milieu des affaires quittent Toronto pour venir vivre à Montréal, étant la moins chère parmi les grandes villes du Canada, un exode à rebours par rapport au passé », conclut François Lebrun.