René Cormier, artiste acadien devenu sénateur
[LA RENCONTRE D’ONFR]
CARAQUET – Du monde des arts et de la culture à la chambre haute du Parlement, il n’y avait qu’un pas à franchir pour l’artiste, metteur en scène, comédien et animateur acadien, René Cormier. Près de trois ans après avoir été nommé, le sénateur Cormier n’en oublie pas sa province et les nombreuses causes qui continuent de l’animer.
« Le 15 août, on célèbre la Fête nationale de l’Acadie. Que représente cette fête pour vous?
C’est un moment absolument fondamental pour le peuple acadien et pour la francophonie, car on célèbre la contribution des Acadiens à la fondation du Canada. C’est une occasion de célébrer la culture acadienne qui, au fil des générations, a su se transformer et s’adapter. Pour moi, c’est toujours l’occasion de me rappeler d’où je viens.
Est-ce que sa signification a évolué dans le temps, selon vous?
Il y a une dimension politique qui s’est affirmée. Quand j’étais plus jeune, on fêtait surtout notre culture et notre identité. Mais je pense qu’aujourd’hui, tout en célébrant, ça nous permet de réaliser que l’Acadie est encore fragile. Le 15 août est donc un moment d’affirmation, mais aussi d’optimisme, qui permet de célébrer nos acquis et le chemin parcouru. C’est aussi l’occasion de rassembler tous les Acadiens des différents territoires géopolitiques.
Où serez-vous le 15 août?
Je serai dans la région de Moncton pour le Congrès mondial acadien, car cet été, j’assume la mise en scène d’un oratorio contemporain La vallée des possibles, qui s’inspire des moments marquants de la vie de père Lefebvre, fondateur du Collège Saint-Joseph de Memramcook [première institution d’éducation supérieure de langue française dans les provinces atlantiques] qui conduira à la création de l’Université de Moncton. Du 14 au 24 août, je serai donc en répétition et participerai aux événements du congrès.
Est-ce qu’on doit comprendre que le milieu des arts vous manque, maintenant que vous êtes sénateur?
Je ne dirais pas que ça me manque intensément, mais c’est vrai que je retrouve toujours avec beaucoup de plaisir mes collègues artistes. Je ne pense pas, d’ailleurs, que c’est incompatible d’être sénateur et artiste. Mais il est vrai que quand je suis devenu sénateur, j’ai décidé de me consacrer complètement à mon nouveau métier pour bien l’apprendre. C’est un métier qui s’apprend sur le terrain, comme me le répètent les sénateurs qui sont là depuis plus longtemps quand je traverse des moments de doute.
Quels sont ces doutes?
J’ai un peu travaillé dans les politiques publiques, notamment culturelles, comme président d’organismes. Mais ce n’est pas toujours facile d’avoir une bonne compréhension de comment le pays fonctionne. Mes doutes viennent de ce nouveau rôle de législateur et aussi du fait que, comme sénateur, je me sens une grande responsabilité envers le peuple acadien.
Et puis quand on arrive à plus de 60 ans, on a des acquis et une carrière qu’on maîtrise. On est donc un peu déstabilisé au départ.
Pourquoi avoir quitté le monde des arts pour devenir sénateur?
Comme souvent, ce sont plutôt les autres qui m’ont guidé. Je me souviens qu’en 11e année, c’est mon professeur de musique qui m’avait dit de poursuivre dans cette voie…
Pour le Sénat, comme président de la Société nationale de l’Acadie (SNA), j’encourageais des personnes à postuler du fait du nouveau processus de nomination. Et plusieurs me demandaient pourquoi je ne postulais pas moi-même. Un an avant que je sois nommé, une de mes amies m’appelait déjà « Monsieur le sénateur », car elle m’y voyait. (Il rit)
J’y ai donc réfléchi et je me suis dit que j’étais à un moment de ma carrière où effectivement, je pouvais apporter quelque chose, pour l’Acadie, pour la francophonie et pour les langues officielles.
N’aviez-vous pas envisagé la politique auparavant?
Je ne me serais pas vu en politique partisane, car ce n’est pas dans ma nature. C’est la raison pour laquelle je lève haut et fort le drapeau de mon indépendance au Sénat. Je n’aurais pas été heureux dans un parti politique, à devoir suivre la ligne de parti.
Le Sénat m’apparaît comme un lieu formidable où, de façon non partisane, on peut influencer les politiques publiques avec un regard indépendant, même s’il est teinté par ses valeurs et ses convictions. Je pense qu’il faut solidifier cette indépendance dans la Loi.
Plusieurs doutent pourtant de l’indépendance des sénateurs. Qu’en pensez-vous?
Évidemment, on a des valeurs plus proches de certains partis que d’autres et cela se confirme dans nos votes. Mais quand je regarde un projet de loi, mon objectif n’est pas de faire réélire mon parti. Je ne suis pas membre du Parti libéral du Canada et n’ai jamais été membre d’aucun parti politique. Parfois, sur certains dossiers, je partage les valeurs libérales, d’autres fois, conservatrices…
Ma responsabilité, c’est d’examiner les projets de loi, de réfléchir à comment les améliorer et de le renvoyer au gouvernement pour qu’il décide, car je ne veux pas me substituer à un gouvernement élu.
Vous avez œuvré dans le milieu des arts et de la culture pendant des décennies, un milieu de créativité, d’imaginaire, de liberté… N’est-ce pas difficile de se retrouver dans un milieu plus encadré comme la politique?
Dans le processus créatif aussi, il y a de la rigueur et de la discipline, du questionnement et des doutes, un langage et des codes…
C’est vrai que parfois le protocole au Sénat peut paraître un peu dépassé, avec une dimension un peu théâtrale pour certaines cérémonies, mais je l’accepte, car l’institution est plus grande que nous. Cela dit, on pourrait peut-être un peu la simplifier.
Vous êtes au Sénat depuis novembre 2016. Quel regard portez-vous sur cette nouvelle vie?
Je suis peut-être un peu moins naïf aujourd’hui. J’ai saisi les jeux politiques et même si je suis un éternel optimiste qui aime célébrer plus que confronter, je développe mon sens critique.
C’est un rôle difficile d’être sénateur, car cela demande d’être ancré dans son milieu tout en prenant une certaine distance. C’est un défi personnel, car j’étais militant et des fois, j’ai envie de monter aux barricades! Mais je peux influencer de différentes manières.
Ces deux dernières années, vous avez travaillé avec le comité sénatorial permanent des langues officielles, que vous présidez, sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Que retenez-vous de ce travail?
Ça a été un privilège d’être le président du comité qui a travaillé sur cette question. C’était un défi de saisir les enjeux profonds et complexes qui entourent la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Aujourd’hui, il y a une certaine convergence pour rendre plus cohérente, efficace et contraignante cette loi, dont le rôle est encore mal connu.
Je suis très fier du travail que nous avons fait avec les membres du comité. Nous avons produit un rapport avec des recommandations réalistes qui va être utile aux partis politiques, mais aussi aux communautés.
Je pense aussi que notre travail a contribué à montrer le rôle important que joue le Sénat pour faire avancer les choses.
Quels sont les prochains dossiers sur lesquels vous vous voudriez travailler?
Du côté des langues officielles, mon intention est de continuer à siéger sur le comité. Il y a encore beaucoup à faire sur la formation linguistique des nouveaux arrivants, par exemple, ou le financement des universités et des collèges…
À titre personnel, j’ai le désir de m’engager sur la question des droits de la personne, notamment la question de la communauté LGBTQI. Je fais partie de cette communauté, mais avant de regarder les lois de plus près, je ne saisissais pas l’ampleur des enjeux, moi qui ai grandi dans un milieu plutôt ouvert et qui vis avec mon conjoint depuis plus de 30 ans.
En 2017, vous avez d’ailleurs accepté de devenir le porte-parole de la première édition du Rendez-vous de la fierté Acadie Love à Caraquet. Vous aviez jusqu’ici été assez discret sur la question de votre orientation sexuelle. Pourquoi avoir accepté?
Ce n’est pas étranger à mon arrivée au Sénat. J’ai pris conscience de cette question et de l’importance du secteur législatif dans ce domaine. Cet événement rejoignait plusieurs de mes préoccupations en étant culturel, dans une petite communauté rurale avec une vocation éducative et familiale qui me plaisait. Et puis, je pense que c’est une de nos responsabilités comme sénateur d’agir sur nos communautés et de soutenir des questions qui nous préoccupent.
On sait que c’est une question – les droits des personnes LGBTQI – sur laquelle l’actuel gouvernement a beaucoup insisté. Comment jugez-vous la situation actuelle?
Le gouvernement actuel a fait du travail et je l’applaudis. C’était important, notamment, de s’excuser auprès des fonctionnaires publiques qui ont subi de la discrimination pour leur orientation sexuelle. On le reconnaît et on nomme enfin les faits!
Mais même si on change la législation, il faut aussi s’inscrire dans la réalité du terrain, car il y a encore beaucoup de méconnaissance.
Cela dit, je ne veux pas être le sénateur strictement identifié à l’enjeu LGBTQI, car il y a aussi d’autres enjeux sur lesquels on doit se prononcer comme sénateur.
Vous êtes originaire du Nouveau-Brunswick, une province qui, comme l’Ontario, a beaucoup fait parler d’elle pour les craintes suscitées en matière de droits des francophones. Comment avez-vous vécu l’élection de certains membres de l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick – un parti anti-bilinguisme – au parlement provincial?
Au Nouveau-Brunswick, être la seule province officiellement bilingue devrait être célébré. Pourtant, ça reste un enjeu et l’équilibre est difficile à trouver. Et même si j’accorde peu d’importance à ce parti [L’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick], car c’est un groupe très minoritaire, c’est une voix citoyenne qu’il faut écouter.
Ça nous oblige à rester conscients et éveillés et nous montre qu’il y a encore beaucoup d’éducation à faire. Mais je suis optimiste quand je vois l’engagement de la jeune génération qui peut aider les organismes à se moderniser et à se mobiliser.
L’alliance avec les Anglo-Québécois du Quebec Community Groups Network (QCGN) signée par la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) et l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) est-elle une solution?
Il y a eu des critiques sur cette entente, car la réalité des deux communautés linguistiques minoritaires est différente. Après avoir étudié pendant deux ans la Loi sur les langues officielles, je comprends cette collaboration et la volonté de discuter sur des enjeux communs. J’appuie toute initiative qui vise à faire mieux connaître nos réalités et à collaborer. Quant à la forme de cette entente, j’avoue que je n’ai pas un point de vue précis et je ne pense pas que c’est à moi de juger. »
LES DATES-CLÉS DE RENÉ CORMIER
1956 : Naissance à Caraquet, au Nouveau-Brunswick
2003 : Élu président de la Fédération culturelle canadienne-française
2008 : Récipiendaire de l’Ordre des francophones d’Amérique
2010 : Devient directeur artistique de la biennale Zones Théâtrales du Centre national des arts du Canada
2015 : Devient président de la Société Nationale de l’Acadie
2016 : Nommé sénateur par le premier ministre Justin Trudeau
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.