Réouverture des garderies : de l’annonce à la réalité

Des garderies ont ouvert, d'autres non, au gré de la progression des plans de retour validés par les autorités locales. Source: Pixabay

Autorisées à rouvrir partout en province depuis vendredi dernier, les garderies sont loin d’être toutes opérationnelles dans les faits. L’annonce gouvernementale ne leur a laissé que très peu de temps pour satisfaire aux normes sanitaires, réembaucher leur personnel et réinscrire les enfants. Certaines n’ont pas encore accès aux locaux pour les aménager. D’autres ont pris une longueur d’avance en calquant leurs pratiques sur celles de leur service d’urgence quand elles en ont un.

La décision a été prise par le conseil d’administration, cette semaine : les sept garderies de la Boîte à Soleil rouvriront leurs portes le 2 juillet. La directrice générale de la coopérative du Niagara, Véronique Emery, n’a pas beaucoup dormi depuis l’annonce gouvernementale et aura peu de répit d’ici là.

« La charge de travail de préparation des lieux, d’information aux parents et de rappel du personnel est énorme. On travaille jour et nuit pour répondre aux nouveaux règlements et établir les nouvelles ententes de service avec les parents. »

Comme l’ensemble des garderies ontariennes, son centre s’efforce de concilier les exigences provinciales avec sa réalité locale.

« Ils nous ont donné les grandes lignes. Après, c’est à nous de voir comment ça s’applique à nos garderies. »

Véronique Emery, directrice générale de la Boîte à Soleil. Crédit image : Rudy Chabannes

« On a été surpris et déçu », abonde Stéphane Gauthier, directeur général du Carrefour francophone du Grand Sudbury qui gère sept centres de la petite enfance.

« On avait été consulté et les messages avaient été assez clairs sur les besoins du secteur. On voulait trois semaines de préavis et on a eu trois jours », déplore-t-il, qualifiant l’annonce ministérielle de « précipitée ».

« Malgré ça, on a un plan de retour qui nous sourit. On l’a fait au contact de nos équipes, elles-mêmes en contact des familles. »

Il envisage le début de l’été comme « un horizon souhaitable » sans pouvoir s’avancer plus, pour le moment. La plupart des garderies sont dans ce cas de figure.

Éviter la précipitation et garantir des lieux sécuritaires

La principale préoccupation, depuis une semaine, est d’éviter la confusion et d’apporter toutes les garanties de sécurité avant d’ouvrir.

« La date butoir de vendredi était pour nous dire qu’on pouvait revenir dans nos centres pour commencer à planifier la réouverture aux familles, et non rouvrir directement. Ça n’a pas du tout été bien expliqué », estime Mme Emery qui n’a pas encore accès aux locaux de certaines garderies pour les aménager. Le temps est compté.

« On compte avoir dix jours pour préparer nos locaux. »

Toutes ces dispositions prennent du temps. « Il faut recréer un lieu accueillant, renouer avec les familles, éviter la précipitation », explique M. Gauthier qui, dans le même temps, coordonne un fastidieux travail de prévention.

« Les directives, on vient de les avoir, c’est assez intense. On aurait espéré avoir plus de détails du gouvernement, car toutes les régions doivent démêler tout ça, en même temps qu’on est obligé de faire de la prévention. »

Stéphane Gauthier, directeur général du Carrefour francophone du Grand Sudbury. Archives ONFR+

Distanciation physique, ratio drastique, désinfection accrue, dépistage systématique… Les garderies sont soumises à un arsenal de critères de santé publique destinés à éliminer le risque d’éclosion, mais leur plan de prévention et d’intervention sont validés, en bout de ligne, à l’échelle locale, ce qui entraîne des réouvertures tous azimuts partout en province.

« Les services de santé locaux ont préséance sur les directives provinciales », rappelle M. Gauthier pour qui « beaucoup de détails restent à régler ». « Par exemple, quand l’espace ne permet pas de répondre à la directive, il faut faire valider notre alternative au niveau local. Ça demande des analyses au cas par cas. »

L’expérience des garderies d’urgence, un atout

Les organismes gérant des garderies d’urgence ont toutefois pu réagir plus vite. C’est le cas du Centre de ressources familiales de l’Estrie. Au-delà de sa garderie d’urgence, en fonction depuis le 6 avril à Cornwall, l’institution a ouvert deux sites, dès le 15 juin, et prévoit d’en ouvrir deux de plus dès le 22 juin, dans l’Est ontarien.

« Comme les règles sont sensiblement les mêmes entre les garderies d’urgence et les autres, ça nous a donné une petite avance pour ouvrir graduellement », relate sa directrice générale, Louise Lajoie. Le plus dur, selon elle, a été d’ouvrir la garderie d’urgence. Ensuite, le reste s’est déroulé de façon relativement fluide.

« Nos employés qui ont travaillé sur notre site d’urgence sont devenus des mentors pour les autres employés dans les nouveaux sites. Cette procédure a donné de la confiance au personnel et aux parents. »

Louise Lajoie, directrice générale du Centre de ressources familiales de l’Estrie. Gracieuseté

Les garderies ont surtout dû s’assurer de retrouver leur personnel qualifié. En contexte de pénurie de main d’oeuvre dans le secteur, mettre à pied temporairement puis réembaucher, est une manœuvre délicate. Plusieurs centres indiquent avoir perdu quelques employés.

La subvention salariale d’urgence allouée par le gouvernement fédéral a permis de limiter cette perte, d’après eux, car elle leur a permis de rappeler rapidement leurs équipes, dans un premier temps pour suivre une formation et préparer à distance les conditions du retour des enfants et la disposition des salles.

Des familles prioritaires sur d’autres

Le retour ne sera pas à plein rendement du jour au lendemain, préviennent les professionnels de la petite enfance. L’effectif maximal de chaque groupe autorisé dans une pièce ne doit pas dépasser 10 personnes, une limite qui oblige déjà à une sélection des dossiers. Pour éviter la panique, la majorité des garderies ont sondé les parents quant à leur situation et leur flexibilité.

Les enfants des travailleurs essentiels qui étaient dans des garderies d’urgence seront les premiers à retrouver leur garderie originale. Ensuite, viennent toutes les familles dont les parents retournent au travail hors de la maison.

« Ensuite, c’est vague : en fonction de circonstances spéciales », rapporte Mme Emery, dont les sept centres combinés sont capables d’accommoder tout le monde puisque des parents acceptent de pas revenir tout de suite dans le centre qu’ils ont quitté. « Mais on ne sait pas ce qui se passera en septembre. »

Des familles sont frustrées, d’autres rassurées, d’autres encore incertaines, surtout si leur enfant est chez les bambins. « On jongle avec ces différentes réalités et on passe beaucoup de temps à les informer », confie Mme Lajoie.

Encore de grosses incertitudes sur l’appui financier

Le financement reste encore un point d’interrogation pour la plupart des garderies ontariennes interrogées. Entre le ratio d’enfants limité, les salaires, les tarifs gelés, ainsi que les dépenses en désinfectant et équipement de protection, la réouverture ne sera pas rentable.

« On va opérer à déficit », confirme Mme Emery. « On le fait pour les enfants, mais il va falloir que les subventions compensent ce déficit. On ne pourra pas tenir très longtemps comme ça si on n’a pas plus de soutien financier. »

« Ils nous ont appuyé avec la garderie d’urgence, alors j’imagine qu’ils vont continuer », escompte Mme Lajoie à propos des subventions provinciales qui transitent par les municipalités.

La directrice générale du Centre de ressources familiales de l’Estrie s’interroge surtout sur le prolongement ou non du salaire extra en garderie d’urgence qui arrive à terme le 29 juin.

« Pour l’instant, je ne peux pas garantir ce niveau de salaire à mes employés, malgré la situation. On milite pour qu’ils continuent de le toucher. »

Tous espèrent enfin, avoir plus de visibilité dans les prochaines semaines sur l’étape 3 du déconfinement. « On vit au jour le jour. On n’a pas de pronostic de réouverture ni de barème comme au Québec », regrette Mme Lajoie. « On ne peut rien dire à l’avance aux parents. C’est un gros stress pour les familles comme pour nous. »