Repenser un demain post-pandémie

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Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, le récit d’immigrante de Rym Ben Berrah, francophone engagée.

[CHRONIQUE]

Pourquoi normaliser l’état de dystopie générale dans lequel est plongé notre monde depuis le début de la pandémie? Maintenant que les beaux jours s’annoncent, que les activités redémarrent, que la vie reprend son souffle, nous nous relâchons. Sommes-nous pris dans une tornade émotionnelle qui brime la cohérence des étapes de traitement d’information que nous apprivoisons? 

On annonce fièrement que l’époque de la COVID-19 est révolue, qu’on peut se relâcher pour les mesures sanitaires, les quiproquos et les a priori. Notre mémoire humaine est courte et sélective. Un barbecue estival par-ci, une sortie au resto par-là et on en est déjà à oublier les heures vécues à peaufiner sa recette de pain aux bananes, à repenser sa vie et sa dynamique de famille dans son foyer, à penser constamment tout court pour les moins bien lotis, sans foyer et/ou sans famille.

Exit repenser la structure du bureau, du foyer, de la nomenclature de l’être et du paraître, du voisinage, de l’État et des pays extérieurs qu’on fuyait comme la peste et à qui on donne nos sous désormais pour un bol d’air frais, le nez bien en dehors de nos masques. 

Je ne suis pas d’accord. Je voudrais rappeler aux gens que nous venons de traverser en apnée deux ans et demi de vie durant lesquels on s’est carrément refaits. Toutes les sphères de nos vies se sont vues repensées, confrontées, repêchées et subies. Tout d’abord en termes d’humain vis-à-vis de soi, ensuite en termes de membre de société vis-à-vis des autres et finalement en tant qu’employeur/employé.

La responsabilité collective de tout et chacun était de se protéger ainsi que de protéger les autres. Nous avions le sens du devoir collectif et de la servitude afin d’appartenir à quelque chose de plus grand que nous. Et si c’était la solution définitive pour tous les maux de la société? Œuvrer pour le bien commun, ensemble, afin de tacler un problème actuel qui nous dépasse et qui amoindrit notre qualité de vie en nous oppressant, en nous affaiblissant et en ne nous offrant pas un cadre de vie à notre plein potentiel.

J’écris cela avec mon petit café fumant à mes côtés, jouissant des bruits ambiants de gens qui conversent à côté de moi. Je me rappelle combien de fois je me réveillais la boule au ventre, cloîtrée dans une chambre restreinte à en vouloir à la vie de me priver de ces plaisirs simples qui constituaient la majorité de mon quotidien. L’anxiété de ce moment me reste au palais. Un rire fort m’échappe de ma rêverie. Avec raison, mieux vaut en rire qu’en souffrir.

Santé mentale 

Il est logiquement impossible et impensable que nous nous remettions de cette épreuve en l’espace de quelques semaines, voire de quelques mois. Pendant longtemps tenus à bout de souffle, d’annonce en annonce gouvernementale, nous nous sommes retrouvés à être surproductifs, surmenés et surtout moins soutenus. Chacun vivait dans sa bulle, une fenêtre d’un réseau social à la fois pour s’ouvrir sur le monde, prendre des nouvelles, voir l’autre comme il désire se présenter et non conforme à la réalité que chacun traversait. 

Est-ce que notre réalité actuelle est surfaite? Pouvons-nous avoir la même confiance dans l’avenir qu’on avait jadis, lorsqu’on n’hésitait pas pour se faire une accolade en nous voyant, organiser un événement en personne, avoir des gens à la maison, être présent pour ses ainés. Je crois que c’est un privilège que d’avoir le choix, de naviguer encore – ou pas – dans ce genre de dynamique restrictive. Certaines personnes étaient à bout, essuyant leurs larmes entre deux conférences Zoom, avec les petits qui pleurent dans la chambre à côté parce qu’ils n’ont pas leur goûter à temps : ils s’ennuient de leurs amis et la baby-sitter a lâché à la dernière minute. 

La violence psychologique de la pauvreté a aussi sévi dans les paniers de nourriture des ménages à travers le Canada. Les communautés moins bien desservies. Les personnes vivant à côté d’individus violents dans leur quotidien. Les familles qui ne savaient pas ce que voulait dire cohabiter… Aujourd’hui, les séquelles sont monstrueuses mais l’instinct de survie nous plonge dans l’oubli immédiat.

« Le vivre ensemble, le vrai, c’est de repenser à une société qui fonctionnerait à la prochaine crise, guerre, pandémie »

Je ne suis pas d’accord. Afin de guérir et de renaître de nos cendres, nous devons apprendre de ce que nous avons vécu : nous sommes au service du capitalisme, de la multifonction, de l’immédiat et du précaire. Nous devons être axés sur l’altruisme et la collectivité. Non pas dans le but de rendre le quotidien plus doux, mais dans le but de prendre le pouvoir dans la pérennité des décisions qui englobent nos vies. Nous avons vécu les répercussions dévastatrices des conséquences des décisions prises par les instances qui nous gouvernent.

Nous avons payé de notre état, autant physique que mental, l’érosion de nos relations, la lourdeur des jours et la désillusion. Et si la société devait plutôt ressembler à une mosaïque aux mille visages qui nous sied le mieux? 

Travailler pour vivre. Vivre pour exister. Exister pour perdurer. Je rêve d’une adhérence entre nos efforts constants et notre protection dans l’avenir. Que ce soit dans notre vie privée, sociale, politique, économique ou juridique. Pour ce faire, nous devons nous concerter, nous outiller de ce bagage vécu dans la solitude ces deux-trois dernières années.

Oui, certes, nous devons nous relâcher et replonger dans le goût du vivre ensemble. Le vivre ensemble, le vrai, c’est de repenser à une société qui fonctionnerait à la prochaine crise, guerre, pandémie. Nous sommes en trêve et les élections ne nous ont pas laissé de sursis. (Ré)agissons. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.