Réunir la francophonie avec la communauté LGBTQ+

Le drapeau de la communauté LGBTQ et le drapeau franco-ontarien. Archives ONFR+

[ANALYSE]

L’année 2020 est décidément la plus paradoxale du 21e siècle. Invités à rester chez eux, condamnés à la distanciation sociale, les citoyens de plusieurs pays du monde dénoncent depuis un mois le racisme avec une force nouvelle. C’est dans ce contexte social inédit que se déroule un Mois de la Fierté… sans marches de la fierté.

Pour l’Ontario français, le défi d’inclure les différentes orientations sexuelles et identités de genre va bien au-delà d’une marche. En 2017, un sondage de la Fondation Jasmin Roy affirmait que 13 % des Canadiens appartenaient aux communautés LGBT. Un rapide calcul démontre qu’environ 50 000 Ontariens sont à la fois francophones et LGBTQ+. Mais la combinaison de cette double identité n’est pas simple.

Le manque de représentation, d’une part. Les Franco-Ontariens LGBTQ+ ne disposent pas d’un organisme porte-parole fort. Malgré le dynamisme de ses bénévoles, FrancoQueer manque d’argent. Conséquence : les activités de l’organisme sont trop souvent limitées à des rencontres communautaires, loin d’événements unificateurs, sur le modèle du congrès de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO).

Par ailleurs et à l’inverse des anglophones, les LGBTQ+ francophones n’ont pas accès à des lieux de rassemblements. À Toronto, le théâtre gai Buddies in Bad Times n’a pas d’équivalent dans l’autre langue officielle, tout comme le Casey House qui livre des soins du VIH/SIDA… mais seulement en anglais.

Bien que réduites, les possibilités de réseautage restent une réalité dans la Ville reine, et dans une moindre mesure à Ottawa. Mais dans les autres régions, le dating en français demeure très difficile.

Un choix cornélien s’impose

Tous ces éléments placent bien souvent les LGBTQ+ franco-ontariens devant un choix cornélien : vivre pleinement leur identité sexuelle et de genre via les services en anglais inclusifs et stimulants, ou bien jouer coûte que coûte la carte francophone, mais dans un cercle alors beaucoup plus fermé.

Isolement, dépression, sentiment de vulnérabilité, cette impossibilité de concilier sa langue première avec son identité peut s’accompagner de blessures psychologiques. La barrière du langage peut-être frustrante lorsqu’il faut confier ses émotions et sentiments dans une langue dont on ne maîtrise pas toutes les subtilités.

Les aînés francophones en sont un exemple. Alors que les générations Y et Z sont de plus en plus nombreuses à faire leur coming out, le plus souvent avec le soutien d’amis ou d’un groupe LGBTQ+, le défi reste immense pour les « vieilles générations ». Des milliers de Franco-Ontariens âgés de plus de 50 ans restent « dans le placard », faute d’aide.

Des nouveaux défis à venir

Pressante aujourd’hui, cette urgence de services en français pour les LGBTQ+ se posera certainement avec plus d’acuité demain.

Chaque année, Toronto continue d’attirer des centaines de francophones du Nord de l’Ontario ou du Québec, désireux de vivre leur identité. On peut même parier que cette moyenne de 13 % de LGBTQ+ est bien supérieure le long du lac Ontario.

Ensuite, des nouveaux défis apparaissent dans cette communauté LGBTQ+ qui ne se limite plus comme autrefois aux homosexuels et aux transgenres. Désormais plus reconnues aux yeux de la société, les personnes non binaires exigent une langue française empreinte de formulations neutres et de rédaction épicène pour mieux respecter leur identité.

À ce stade, sous-estimer l’enjeu de concilier la francophonie et les LGBTQ+, c’est risquer de paver un peu plus la voie à l’assimilation. Reconnaître les orientations sexuelles et identités de genre en français ne suffit plus, il faut les valoriser.

Cette analyse est aussi publiée sur le site du quotidien Le Droit du 22 juin.