
Seuls 13 % des Franco-Ontariens reçoivent systématiquement leurs soins en français

De récents chiffres publiés par Statistique Canada sur la « fréquence de l’obtention de services ou de soins de santé dans la langue officielle minoritaire » révèlent une réalité contrastée pour les francophones de l’Ontario.
En 2022, une étude de Statistique Canada a interrogé plus d’un million et demi de citoyens à travers tout le Canada, dont 327 270 personnes à l’échelle de la province de l’Ontario. Les résultats publiés récemment montrent que 76,6 % des Franco-Ontariens déclarent avoir reçu des services ou des soins de santé en français au moins une fois. Cependant, cet accès reste irrégulier et loin d’être garanti.
Seuls 13 % des patients francophones affirment recevoir toujours leurs soins en français, tandis que 21,6 % y ont accès souvent. À l’inverse, 42,1 % des Franco-Ontariens disent ne recevoir des soins en français que parfois ou rarement, et 23,4 % n’y ont jamais accès.

Le Dr Michael Reaume, spécialiste en néphrologie à l’Hôpital d’Ottawa, confirme que ces données reflètent la réalité du terrain. « Environ trois quarts des francophones en Ontario reçoivent au moins une partie de leurs soins en français, mais près de 25 % n’y ont jamais accès », affirme-t-il.
Pour lui, ces résultats sont similaires à ceux d’autres études menées avec différentes bases de données, notamment ses propres recherches sur la concordance linguistique patient-médecin et les résultats de santé cardiovasculaires.
Mais bien que les chiffres Statistique Canada offrent un aperçu global de la situation, les experts sont unanimes : il faut les interpréter avec prudence.
Antoine Désilet, directeur général de la Société Santé en français, souligne une limite méthodologique dans la collecte des données : « Il est difficile de quantifier précisément l’expérience linguistique des patients. Une visite chez un pharmacien ou une réceptionniste peut être comptabilisée comme un service reçu en français, même si l’ensemble des soins médicaux ne l’est pas. »
Selon lui, une autre étude menée par Léger Marketing en 2020 pour Santé Canada peignait un tableau bien plus sombre : 60 % des Franco-Ontariens déclaraient ne pas avoir reçu de service de santé en français.

« L’écart entre ces deux ensembles de données montre que les méthodologies utilisées sont très différentes », observe M. Désilet.
Même constat du côté de Normand Glaude, directeur général du Réseau des services de santé en français de l’Est de l’Ontario : « Lorsque l’on regarde les chiffres globaux, cela peut donner l’impression que la situation est satisfaisante. Mais en creusant, on voit des disparités géographiques importantes. »
Des services inégalement répartis
Selon M. Glaude, l’accès aux soins en français varie considérablement selon la localisation des patients. Ainsi, dans l’Est ontarien et à Ottawa, où les francophones sont plus nombreux, l’offre est relativement bien développée, explique-t-il, rappelant que de nombreux établissements de santé y sont désignés pour offrir des services en français.
En revanche, dans certaines régions rurales de l’Est, l’accès aux services de santé en français est compliqué par la distance que les patients doivent parcourir pour se faire soigner, estime-t-il
Il cite également comme exemple l’ouest d’Ottawa où l’offre n’a pas suivi l’évolution démographique.
« Certaines régions, comme Kingston, Pembroke et l’ouest d’Ottawa, sont encore mal desservies en matière de soins de santé en français, malgré les obligations légales », précise-t-il.

Il déplore aussi qu’il existe encore des secteurs où il n’y a tout simplement aucune offre de soins en français, comme les soins palliatifs, qui n’étaient pas accessibles en français jusqu’à récemment.
Selon Dr. Reaume, plusieurs facteurs expliquent ces difficultés, à commencer par l’absence de données linguistiques dans le système de santé. « Nos systèmes de santé ont de la difficulté à identifier les patients francophones. Contrairement à l’Île-du-Prince-Édouard ou la Nouvelle-Écosse, l’Ontario n’inclut pas la langue de préférence sur la carte santé. »
La pénurie de professionnels de santé francophones est également pointée du doigt par Antoine Désilet : « Avec la pénurie actuelle de médecins, il est souvent impossible de jumeler les patients avec des professionnels qui parlent leur langue. »
Pour améliorer l’accès aux soins en français en Ontario, Dr Micheal Reaume appelle à améliorer la collecte de données linguistiques auprès des professionnels de santé.
Il souligne également la nécessité de sensibiliser les décideurs politiques et les travailleurs de la santé à l’importance des soins dans la langue maternelle.
Mais le Dr Reaume reste optimiste quant à l’évolution de la situation, s’appuyant sur des exemples positifs ailleurs au Canada : « J’ai vécu au Manitoba où, en cinq ans, trois cliniques entièrement francophones ont vu le jour grâce à un effort concerté. Avec une volonté politique et institutionnelle, il est possible de faire de même en Ontario. »