Le phénomène Siakam se propage chez les Camerounais de l’Ontario
TORONTO – Au coude-à-coude en finale de basketball NBA avec les Warriors de Golden State, les Raptors de Toronto tiennent en haleine toute une ville, une province, un pays, mais aussi une communauté, celle du Camerounais Pascal Siakam.
L’ailier droit natif de Douala fait la fierté des siens de part et d’autre de l’Atlantique, se faisant remarquer autant par ses performances sportives sur le parquet que lors des conférences de presse « bilingues ».
« Ce que réalisent Pascal et ses coéquipiers est historique », analyse Duvalier Monkam. « Quelle que soit l’issue de la compétition, les Raptors sont entrés dans l’histoire. Qui aurait cru qu’ils remporteraient la Conférence de l’Est? Tout le monde prédisait leur défaite face aux Bucks de Milwaukee. Et à présent, ils peuvent aller encore plus loin, encore plus haut. »
Le journaliste et animateur de la radio torontoise Choq-FM en est convaincu : son compatriote sera l’une des clés de la victoire. « Il a marqué les esprits lors du premier match contre les Warriors en marquant 32 points, son record personnel. Le second match s’est joué à quelques points, à cause d’un coûteux quart temps d’inattention. Tout est encore possible avec Siakam. Son potentiel a explosé ces derniers temps. »
Tout comme M. Monkam, nombreux sont les Camerounais du Grand Toronto à ne rater aucun match depuis le début de la compétition, se réunissant en famille devant leur poste de télévision ou dans des bars de la Ville-Reine comme l’African Village, à North York.
Un modèle d’intégration
L’engouement communautaire est également palpable à Ottawa, atteste Jean-Marie Vianney, président de la Coalition des Noirs de l’Ontario. « On ne parle que de ça dans les discussions », indique-t-il.
Alors que le Cameroun est plongé dans la guerre civile et que, sur le plan sportif, l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations (soccer) lui a été retirée, la communauté peut se raccrocher à une nouvelle positive, d’après lui.
« C’est un signe d’espoir, une dynamique vertueuse, pour tous les immigrants qui se retrouvent dans son parcours, du Cameroun au Canada. »
Selon l’ingénieur et expert-comptable de formation Massoda Ma-Nlep, la vedette a même réussi là où la politique a échoué au Cameroun : réaliser l’unité du pays.
« À seulement 25 ans, un jeune compatriote, titulaire incontestable d’une équipe professionnelle en finale de NBA, cela marque les esprits. Pascal Siakam est devenu un modèle d’intégration et de réussite pour la jeune génération qui se reconnaît en lui, ici au Canada, symbole de diversité, mais aussi en Afrique. Car au-delà des Camerounais, c’est tout le continent africain qui est mis en valeur. »
Au Cameroun, haut lieu du soccer, patrie des Lions indomptables et du buteur historique Samuel Eto’o, le basketball n’est pas roi. Pourtant, nombreux sont ceux à suivre assidûment l’ascension des Raptors, selon M. Ma-Nlep, qui a gardé des attaches au pays.
« Les cinq heures de décalage horaire ne font reculer personne. Certains ne dorment pas la nuit, tant que le match n’est pas fini. »
La francophonie, invitée surprise
Les images sont passées en boucle sur les réseaux sociaux : Pascal Siakam s’est étonné de ne pas avoir de questions en français en conférence de presse, avant qu’un journaliste ne se lance finalement. Les Franco-Ontariens se sont alors emparés de cet épisode pour mettre en valeur la langue française et s’identifier à la vedette arborant le maillot 43.
« En parlant en français et en anglais, il offre une visibilité à la langue et fait l’admiration à fois des francophones et des anglophones », explique Duvalier Monkam. « Sa persévérance et son humilité sont une source d’inspiration pour tous les francophones. C’est une victoire pour la fierté africaine et la langue française. »
« On ne vit pas ça tous les jours », abonde Massoda Ma-Nlep, un temps impliqué dans l’Alliance des Camerounais de Toronto. « Tous les Franco-Ontariens se sentent interpellés. Pascal est à l’image des immigrants camerounais, un professionnel hautement qualifié qui parle plusieurs langues et croit en ses chances. Il est aussi un miroir des Franco-Ontariens : il se bat jusqu’au bout pour la victoire. »
Dans une période où l’on empiète sur les droits des francophones, Jean-Marie Vianney y voit un symbole de ralliement de la Francophonie plurielle et diversifiée.
« Quand les choses n’avancent pas sur le plan social, économique ou politique, le sport peut contribuer à débloquer la situation de façon inattendue. Ça donne un coup de fouet aux francophones. Nous sommes, nous contribuons! »
La communauté attend donc avec impatience le prochain match, ce mercredi soir, dans la Scotiabank Arena de Toronto… et la conférence de presse improvisée dans les deux langues officielles du Canada.