Soins de longue durée : les Franco-Ontariens veulent se faire entendre
TORONTO – L’annonce d’une commission d’enquête sur les soins de longue durée en Ontario pourrait permettre aux Franco-Ontariens de faire entendre leur voix et d’apporter une lentille francophone aux modifications nécessaires qui seront proposées.
Depuis le début de la crise de la COVID-19, particulièrement dévastatrice dans les foyers de soins de longue durée, le premier ministre, Doug Ford, n’a eu de cesse de répéter que le système est brisé. Cette analyse, les Franco-Ontariens ont déjà eu l’occasion de la faire.
En septembre dernier, la Fédération des aînés et des retraités francophones de l’Ontario (FARFO) publiait un livre blanc dans lequel elle pointait du doigt des lacunes importantes pour les aînés francophones.
« Ça fait longtemps que ce problème existe. Il concerne tout le monde, mais il y a des manques particulièrement flagrants au niveau des francophones », explique le président de l’organisme, Jean-Rock Boutin.
Alors que la population franco-ontarienne est proportionnellement plus âgée, elle dispose de très peu de ressources. Selon les chiffres du défunt Commissariat aux services en français de l’Ontario, en 2019, on comptait un lit de soins de longue durée pour 3 400 francophones, contre un lit de soins de longue durée pour 170 Ontariens en moyenne.
La situation varie selon les endroits de la province. Dans la grande région de Toronto, où vivent 127 000 Franco-Ontariens, ne se trouvent que 37 lits de soins de longue durée « francophones ». Au total, la province ne compte que 88 fournisseurs de soins de santé de longue durée désignés sur 1 500.
« Il y a une occasion à saisir pour demander plus de lits, de services et de personnel. On va parler avec la ministre [des Affaires francophones] Caroline Mulroney et nos élus pour faire partie des discussions », assure le président de l’Assemblée de la francophonie (AFO), Carol Jolin, qui souligne que ce recrutement de main-d’œuvre pourrait favoriser l’immigration francophone, souhaitée depuis plusieurs années.
L’origine de la crise
Comme beaucoup d’Ontariens, le président de l’AFO a été choqué par le rapport des Forces armées canadiennes sur cinq foyers de soins de longue durée en Ontario. M. Boutin se montre, lui, partagé.
« Je suis étonné par l’ampleur du problème, mais pas surpris, car on entend des histoires similaires chaque semaine, même si ce n’est pas partout. »
Au-delà des observations des militaires, la situation des foyers de soins de longue durée n’a pas attendu la pandémie pour être critique, juge M. Boutin. La professeure à la Faculté des sciences de la santé de l’Université d’Ottawa et directrice fondatrice de l’Institut de recherche LIFE, Linda Garcia, abonde dans le même sens.
« C’est un problème systémique. Au départ, les foyers de soins de longue durée étaient plutôt des entreprises familiales. Mais avec une population vieillissante et une demande en forte hausse, le système a été surchargé. Il est devenu plus médicalisé et on a oublié d’en faire un milieu de vie. »
La COVID-19 attire l’attention, dit-elle, sur des déficiences décrites rapport après rapport et qui ont jusqu’ici été ignorées.
La privatisation du système, décidée sous le gouvernement progressiste-conservateur de Mike Harris, n’a pas non plus aidé, estime Mme Garcia. Actuellement, on compte 356 établissements privés sur les 626 foyers de soins de longue durée que compte l’Ontario.
Commission ou enquête?
La FARFO abonde donc dans le sens du gouvernement : il faut revoir le système. Mais l’organisme appuie plutôt la solution préconisée par le Nouveau Parti démocratique (NPD).
« Nous demandons une enquête publique et on veut pouvoir y participer pour apporter une lentille francophone. Une commission d’enquête n’irait pas assez loin. Même si elle est indépendante, elle sera redevable au gouvernement, alors qu’une enquête, avec un juge indépendant, sera impartiale et permettra une évaluation en profondeur des défaillances du système et d’élaborer des solutions. »
Et des solutions, le travailleur social en gérontologie qu’est M. Boutin en a déjà quelques-unes en tête.
« Les aînés souhaitent pouvoir rester chez eux avec un accès aux soins appropriés. On doit réorganiser le système pour le leur permettre. On le voit aujourd’hui avec la pandémie, ce serait beaucoup plus simple pour eux de se protéger à domicile. Et puis, ça coûterait moins cher au système de maintenir autant que possible les aînés chez eux. »
Cette solution demanderait là encore l’augmentation des ressources en français, puisque les soins à domicile sont également très rares pour les francophones, souligne le président de la FARFO.
« Il faudrait imposer des exigences linguistiques aux tierces parties quand il y a des transferts de fonds publics », dit-il.
Mais les foyers de soins de longue durée perdureraient, précise M. Boutin, dans les cas très précis où le maintien à domicile n’est absolument plus possible.
Et dans pareil cas, des ajustements seraient également nécessaires, souligne Mme Garcia.
« Il faut en refaire des milieux de vie. C’est sûr que ça prend de l’argent, du personnel qualifié et des infrastructures adéquates, mais la société doit se regarder et revoir les priorités. »
Dans ce contexte, la professeure estime que les Franco-Ontariens ont une carte à jouer.
« La recherche démontre que les gens sont plus à l’aise et ont moins de problèmes quand ils sont dans un milieu sensible à leurs besoins en matière linguistique, de religion ou d’orientation sexuelle. Surtout que ce sont souvent des gens qui souffrent de démence. Il y a donc aussi une réflexion à avoir là-dessus. »