Sous-financement de l’Ontario par le fédéral : la défense de Mulroney
[ANALYSE]
TORONTO – À couteaux tirés. Voilà un peu l’ambiance depuis le début de la crise linguistique entre la ministre fédérale du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, Mélanie Joly, et son homologue ontarienne, Caroline Mulroney.
SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz
Et ce n’est pas fini, puisque l’élue progressiste-conservatrice, en guise de défense, remet sans cesse au gouvernement fédéral son soi-disant manque d’investissement financier envers les Franco-Ontariens. Critiquée de toute part depuis le « jeudi noir », Mme Mulroney tient pourtant ici un argument intéressant.
Sans l’annulation du projet de l’Université de l’Ontario français, ce réquisitoire aurait sans nul doute valu à Mme Mulroney beaucoup plus d’éloges.
Que dit en substance la ministre des Affaires francophones? Qu’en vertu de l’entente fédérale-provinciale, l’Ontario ne reçoit que 2,78 $ pour chaque francophone sur un an, contre 7,31 $ pour le Nouveau-Brunswick et 35,71 $ pour le Manitoba. Trop peu selon elle…
En vérité, le combat de Mme Mulroney n’est pas nouveau. La ministre a repris les arguments de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) mis en avant en 2017. L’organisme porte-parole des Franco-Ontariens regrettait par exemple que la province ne reçoive que 23 % du financement réservé aux organismes de la société civile francophone en situation minoritaire. Un comble alors que plus d’un francophone sur deux en contexte minoritaire vit en Ontario.
Des limites aux arguments de Mulroney
Faut-il dès lors applaudir l’initiative de la ministre progressiste-conservatrice? Pas tout à fait. En demandant « la moyenne pour que tous les francophones à travers le Canada reçoivent le même montant », Mme Mulroney va même un peu loin. Cela signifierait qu’un Franco-Ontarien recevrait autant qu’un Franco-Colombien ou un Franco-Terreneuvien.
Or, moins de financement dans les poches des provinces et territoires où le nombre de francophones est en deçà de 50 000 résidents, c’est risquer de fragiliser des petites communautés. Comprenons que la population francophone très dispersée dans ces endroits augure forcément des écoles ou bien des centres communautaires obligés de desservir moins de personnes. L’approche per capita serait dès lors inéquitable.
Second point : Mme Mulroney ne parle pas de tous les transferts du gouvernement fédéral vers le provincial. L’Ontario obtiendrait 33,5 % des transferts d’Ottawa pour l’enseignement dans la langue de la minorité et de la langue seconde, et donc un peu moins du tiers du financement pour les organismes. Ces deux montants sont inclus directement dans le Plan d’action pour les langues officielles, mais sont indépendants de l’entente à laquelle la ministre fait allusion.
Un beau rôle du fédéral à nuancer
Enfin, on peut regretter que Caroline Mulroney ait amené ce débat utile en pleine crise linguistique. En utilisant cette revendication comme une arme de défense, Mme Mulroney a peut-être manqué l’occasion de donner plus de crédibilité à ses arguments.
Car si le gouvernement fédéral incarné par Mélanie Joly a le beau rôle, il ne faut pas oublier qu’Ottawa n’avait pas répondu à toutes les attentes dans la dernière mouture du Plan d’action sur les langues officielles. Malgré la première hausse du financement depuis plus de dix ans, les sommes investies étaient encore insuffisantes par rapport aux besoins sur le terrain. Quant à l’argent de ce même Plan d’action, l’utilisation qu’en font les provinces n’est toujours pas très claire.
Une chose certaine, il n’y a pas eu de vainqueur dans cette guerre des mots entre Caroline Mulroney et Mélanie Joly. En revanche, les francophones sont souvent les grands perdants lorsque les deux paliers gouvernementaux ne parviennent pas à accorder leur violon.
Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 21 janvier.