Standards de beauté, standards de respect
Chaque samedi, ONFR propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, c’est Rym Ben Berrah qui évoque des enjeux de société et d’éducation qui rejoignent le quotidien.
[CHRONIQUE]
De nos jours, nous sommes exposés à l’image constamment, même sans le vouloir, même sans nous en rendre compte. Ce n’est pas habituel de partager sa photo sur un CV, comme dans d’autres pays, mais nous sommes constamment obligés de nous « vendre » sur la place publique. Nos photos de profil sont soigneusement choisies sur nos réseaux sociaux, autant personnels que professionnels.
Comme à l’habitude, je ne suis pas là pour généraliser ni pour conceptualiser, ni pour innover, mais seulement pour donner mon opinion selon ce que j’ai vécu, selon ce que j’expérimente et selon ma vision des choses à travers le spectre de mes connaissances, racines et privilèges.
Ceux qui me connaissent personnellement ont connu physiquement plusieurs versions de moi. À vous, chers lecteurs, je me dévoile : j’ai vécu en obésité qu’on appelle « morbide » pendant 27 ans.
Depuis mon enfance, j’ai tout le temps été ronde. Au primaire comme au secondaire, on se moquait de mon physique, de mon poids. Le résultat de ça est que j’ai été une enfant/ado plongée dans les livres, à la recherche des bonnes notes pour pallier la confiance physique en soi.
Une fois à l’université, mon train de vie a empiré et mon père fut diagnostiqué d’un cancer en phase terminale. J’ai vécu la majorité de la vingtaine dans une tristesse sans fin à la maison familiale, et dans une dévotion à ma communauté et à mes implications.
Je faisais passer le chagrin, je changeais le mal de place, je revendiquais des droits que je pouvais paramétrer, alors que je ne pouvais plus cloisonner la vie de mon père et la tristesse de ma mère, de mon petit frère et de nos proches.
De là, des kilos se sont rajoutés sur la balance : stress, hygiène de vie pauvre, suivis médicaux peu rigoureux, etc. Rajoutons à cela le manque d’empathie et d’ouverture des médecins. Loin de moi l’idée de parler au nom des personnes en « surpoids », mais je crois qu’on a tous vécu ce traitement : dès que quelque chose n’allait pas c’était « parce que tu es grosse ».
Des bilans consternants au niveau de ma santé, des répercussions que mon état physique me faisait subir sur ma carrière et ma vie personnelle, ainsi que l’avenir de la progéniture que j’aurais pu ne pas avoir m’ont fait prendre une décision radicale, suite au décès de mon père. J’allais passer à travers une transformation physique extrême.
Sortir de la spirale
Je me suis coupée en deux. En l’espace de 2 ans, j’ai perdu dans les 80 kilos. Combien de fois m’avait-on invitée à prendre une photo dans une foule et avais-je refusé à cause de mon image? Combien d’apparitions à la télé avais-je refusées, car je n’avais pas envie de m’exposer? Combien de malaises avais-je essuyés lors de certains événements et congrès professionnels et étudiants? Combien de fois avais-je dû demander des accommodements, afin que moi-même je puisse accommoder les gens, ou ne pas les exposer à ce que je vivais comme réalité dans mon état de sédentarité et de fatigue?
Je n’avais pas pris la décision de changer pour des standards de beauté, mais bien pour des standards d’accommodements de vie et de santé.
J’ai toujours été coquette et nous le sommes toutes et tous. J’ai toujours été romantique et nous le sommes toutes et tous. Il n’y a ni forme, ni poids, ni traits particuliers à ce qui a trait au fait de séduire, d’émouvoir, d’avoir une relation passionnelle avec la beauté et de flirter avec l’affirmation de soi. Mon bilan médical s’aggravait et j’avais envie de vivre.
Plus je fondais, plus la perception des gens vis-à-vis de moi changeait. Je suis entrée dans un spectre que je ne connaissais pas avant. À 29 ans, je commençais à vivre dans la bulle des gens minces à moyens, et je trouvais cela injuste. Pourquoi on me tient la porte? Pourquoi on vient me parler correctement dans les magasins? Pourquoi j’attire l’attention de XYZ alors qu’il y a 2 ans, on riait de moi? Pourquoi j’ai le « droit » d’entrer dans n’importe quel magasin et le luxe de bien m’habiller et, même, pour pas cher? Ce n’est pas JUSTE.
Obèse, je devais, en plus de ne pouvoir magasiner qu’à deux ou trois endroits, trouver des solutions onéreuses à tout : chaussures, accessoires, vêtements d’extérieur, commandes qui proviennent des États-Unis avec des frais de port exorbitants. C’est là que j’ai compris que les personnes dans les tailles plus vivaient avec une taxe en plus sur leurs frais vestimentaires et frais d’accommodements et ça, ça ne devrait pas exister.
Deux poids, deux mesures
Il est temps de revendiquer haut et fort le manque de représentativité et d’acceptation, et tous les tabous qu’on contourne, mais qu’on ne perce pas concernant les tailles plus. Il devrait y avoir plus de tables de discussion, de milieux inclusifs, de prises de conscience vis-à-vis des obstacles et des injustices qu’on subit dans certaines de ces circonstances.
Pour ma part, je me sentais gênée, comme si j’étais un imposteur. D’un côté, j’avais un corps que je n’habitais pas encore mentalement. D’un autre, dans ma tête, j’étais toujours la même. J’en voulais au monde de m’octroyer certains privilèges.
Je me sentais mal d’afficher ma silhouette sur les réseaux sociaux, alors je ne l’ai pas trop fait. Je recevais des dizaines de messages de personnes qui m’exprimaient des choses intimes, me demandaient conseil, me parlaient de leurs problématiques. Je me suis dit qu’un jour, je trouverais le moyen de canaliser ces informations et de partager à ces personnes mon envie de les épauler dans leurs questionnements, besoins, transitions. Hélas, après 2 grossesses, moi aussi j’ai besoin de ce chuchotement qui me dit : « Vas-y, tu vas y arriver, bientôt tu vas habiter dans ton corps le physique que, dans ta tête, tu espères avoir. »
En faisant défiler mon fil d’actualité, comme chacun de nous au quotidien, j’étais là à scruter des images embellies et pixelisées et à lorgner sur des moments capturés et choisis d’être partagés avec parcimonie. Je me suis dit que ce dont le monde a besoin, c’est de la compassion. Je vous souhaite d’en avoir envers vous-même autant que vous en avez envers les autres.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.