L’adjudant-chef Stéphane Guy, lors de la cérémonie du 11 novembre à Ottawa en 2022. Crédit image : Lila Mouch

[LA RENCONTRE D’ONFR]

OTTAWA – Technicien aéronef puis mécanicien de bord, Stéphane Guy a passé plus de 21 ans en vol et 35 ans comme soldat canadien aux quatre coins de la planète. Cet ex-militaire qui vit aujourd’hui dans la région d’Ottawa aura été déployé dans plusieurs conflits internationaux : au Kosovo, en Bosnie, en Afghanistan, en Égypte ou encore au Rwanda. Nous avons rencontré celui qui est aujourd’hui le commandant de la Légion royale canadienne dans la zone G-5, qui couvre l’ensemble du territoire d’Ottawa et qui vient en aide aux vétérans.

« Quel est le travail et le rôle de la légion auprès des vétérans?

La légion joue trois rôles importants auprès des vétérans. Le premier est de répondre aux besoins urgents. Par exemple, si un vétéran a besoin de fonds de façon urgente pour faire ses paiements du mois ou pour des denrées. Après vérification, on peut lui donner jusqu’à 500 $. Ces fonds sont tous récoltés durant la Campagne du coquelicot.

Le deuxième pilier est qu’on s’occupe des vétérans d’une façon plus générique. Entre autres, on donne des fonds au Centre de santé Perley, qui a une aile spécifiquement pour les vétérans. On donne des fonds pour acheter de l’équipement spécifique pour leur bien-être. On octroie aussi beaucoup d’argent pour que les vétérans aient accès à des chiens de thérapie, car ça coûte 25 000 $ pour un.

Troisièmement, si l’on s’aperçoit qu’une loi a besoin d’être changée au bénéfice des vétérans, on fait pression au niveau de la Province et du gouvernement fédéral.

Que représente le 11 novembre, le jour du Souvenir, à vos yeux?

Le jour du Souvenir est un symbole très important. J’ai perdu des copains, pas nécessairement au combat, mais j’en ai perdu. Dans l’appareil dans lequel j’étais, on s’est fait locker par des missiles ennemis antiaériens. À plusieurs reprises, on a trouvé des trous de balle dans la carlingue. Quand on allait dans des endroits dangereux, je me demandais si j’allais revenir. Alors c’est certain que le jour du Souvenir est un symbole important.

En 2008, Stéphane Guy est devenu l’adjudant-chef de la formation à l’Académie canadienne de la défense. Gracieuseté

À votre avis, qu’est-ce que les gens ignorent des vétérans qui gagnerait à être mieux connu?

On regarde les vétérans de la Première Guerre mondiale, de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre de Corée. Il ne faut pas se cacher, ces vétérans-là ont vécu l’enfer. Ils ont fait face à des menaces et des situations de danger extrême et plusieurs n’en sont pas revenus. Aujourd’hui, en incluant l’Afghanistan, plusieurs militaires sont revenus blessés physiquement, mentalement, sans oublier que certains sont morts au combat. Tous les militaires ont écrit l’histoire en allant dans des missions (…). Ce n’est peut-être pas au même niveau que la Première et la Deuxième Guerre mondiale mais, malgré tout, on met notre vie en danger et il faut que les citoyens réalisent que les militaires méritent qu’on les reconnaisse comme des héros. Ça, c’est important à mes yeux.

Qu’est ce qui vous a poussé vers les forces armées canadiennes, où vous avez servi pendant 35 ans?

C’était un besoin personnel. En étant cadet, ça m’a donné l’idée que les Forces armées seraient un mode de vie intéressant. En plus de ça, mes parents n’avaient pas vraiment de fonds pour que je puisse aller dans des écoles supérieures. Alors c’était une porte de sortie face à une situation difficile. Mais j’ai été heureux du premier au dernier jour de service.

Parlez-nous un peu de votre parcours au sein des Forces armées canadiennes.

Je suis rentré dans les forces canadiennes en 1978 comme technicien en cellule d’avion, c’est-à-dire que je réparais des avions. Ensuite, après six ans, je suis devenu un mécanicien de bord. Le nom est plus commun en anglais : flight engineer. Contrairement à un avion civil, un avion militaire va partout où il n’y a rien, et donc tu transportes un mécanicien de bord pour prendre soin de l’avion. Malgré tout, on a des tâches en vol. À partir de là (1984), j’ai fait 21 ans de vol.

Le militaire Stéphane Guy. Gracieuseté
Stéphane Guy a cumulé 21 ans de vol. Gracieuseté

Votre carrière vous a amené à effectuer plusieurs missions, parfois humanitaires, dans divers pays?

Oui. De 1984 à 1988, j’étais dans un escadron de recherche et sauvetage. De 1988 à 1990, j’étais sur les hélicoptères à Valcartier et j’ai été déployé en Égypte pour six mois. Après ça, je suis revenu et j’ai été promu à Trenton pour voler sur des (avions) Hercules pendant six ans. J’ai été déployé en plusieurs endroits, entre autres à Sarajevo, ensuite à Kigali au Rwanda, au pire moment de la guerre (avec le génocide des Tutsis).

J’ai aussi travaillé en Éthiopie durant la famine et je suis retourné une seconde fois à Sarajevo. Ensuite, je suis revenu à la base de Valcartier et j’ai été déployé à Haïti. Ensuite, au Kosovo durant la guerre, puis en Bosnie pendant sept mois et par la suite sept mois en Afghanistan pendant la guerre, où c’était vraiment dangereux. On volait en évitant des missiles.

Vous êtes ensuite revenu au Canada pour quelques années

Oui. En 2005, j’ai été transféré à Kingston. J’étais adjudant-chef d’escadre, qui incluait tous les hélicoptères tactiques au Canada. En 2008, j’ai été transféré à l’Académie canadienne de la défense, qui s’occupe de tous les cours de leadership à travers le Canada. Mais en 2010, j’ai été transféré en Europe, où j’étais l’adjudant-chef des Forces armées canadiennes en Europe. Je suis resté là pendant trois ans et j’ai ensuite pris ma retraite en 2013.

En arrivant ici, je me suis impliqué au sein de la légion. En 2019, j’ai été élu comme président de la branche. En 2022, j’ai été élu comme commandant de la zone G-5.

La guerre du Kosovo vous a particulièrement marqué…

On avait des hélicos sur lesquels j’étais mécanicien de bord. Ma job ressemblait à la même chose qu’on voit dans les films sur la Guerre du Vietnam, où l’hélico atterrit en tirant de la mitrailleuse. C’était ma job d’être sur la mitrailleuse sur le côté de l’appareil. On a effectué des missions avec des fantassins (soldats au sol) et où l’on attaquait des endroits pour aller chercher, principalement, des terroristes qui mettaient des bombes à certains endroits. Alors, c’était dangereux et c’est pour ça que le jour du Souvenir est spécial.

Stéphane Guy en 2005 dans les Forces armées canadiennes (à droite). Gracieuseté.

Y’a-t-il un autre moment qui vous a peut-être plus marqué dans votre carrière au sein des Forces armées?

Il y a eu un moment décisif à Sarajevo. C’était la première fois que je faisais face à un danger sérieux. On était basé en Italie et on volait un jour sur deux à Sarajevo. Un mois avant cette mission, un transat français avait été abattu par un missile dans le corridor considéré sécuritaire.

C’était une mission de 30 jours et au bout d’une semaine, en sortant de Sarajevo, notre radar avait identifié qu’un missile antiaérien opéré par les Serbes nous avait choisis comme cible. On décollait dans un corridor sécuritaire et on était en montée qui est l’endroit avec le moins de chance de survie. La tactique canadienne était de lâcher des particules de métal et ensuite de se retourner, pour éviter que si le missile vient, tu ne sois plus en avant. Par contre, on ne pouvait pas sortir du corridor militaire, car sinon on devenait une cible légitime. Alors on est resté dans le corridor en espérant que le missile ne soit pas tiré.

Et que s’est-il passé?

Le radar te choisit comme cible, mais il reste à peser sur le bouton pour activer le missile et ça n’a jamais été pesé. Si on compare ça à une situation au sol, c’est comme se faire tirer dessus. Ç’a été un moment décisif… Ce soir-là, je ne cache pas que j’ai pensé à ma femme, ma fille et ma carrière, car c’est quand même une force militaire volontaire. Ce soir-là, j’ai décidé de rester et je n’ai jamais remis en question cette décision-là, même plus tard, quand j’ai fait des missions en Afghanistan et au Rwanda, des endroits tout aussi dangereux. »


LES DATES-CLÉS DE STÉPHANE GUY :

  • 1960 : Naissance à Hull (Québec)
  • 1978 : Rejoint les Forces armées canadiennes
  • 2008 : Devient adjudant-chef de la formation à l’Académie canadienne de la défense
  • 2013 : Prend sa retraite des Forces armées canadiennes
  • 2022 : Devient président de la Légion de la Zone G-5 à Ottawa

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