Two Lips, l’album prêt à cueillir de Beau Nectar

La Fransaskoise éemi (à gauche) et la Franco-Ontarienne Marie-Clo (à droite) ont officialisé leur collaboration artistique sous le nom Beau Nectar. Source: Indie Montréal

Le duo Beau nectar, composé de la Franco-Ontarienne Marie-Clo et de la Fransaskoise éemi, a lancé vendredi dernier son album Two Lips. On a aussi pu découvrir le vidéoclip de la chanson Buds, leur préférée sur l’album. ONFR+ s’est entretenu avec ces deux femmes affirmées pour parler d’amitié, de musique écoféministe et de francophonie non militante.

C’est sur un hymne à l’amitié entre femmes que s’ouvre l’album Two Lips. D’abord composée en improvisant des paroles absurdes autour d’une trempette à l’artichaut, la chanson Buds a gardé cet aspect de plaisir sincère et contagieux.

Quand elles parlent de cette pièce et du vidéoclip qui l’accompagne, c’est le mot qui ressort en premier : plaisir. La sororité y est centrale également. Marie-Clo et éemi se sont constitué un entourage professionnel très féminin. Le vidéoclip de Buds est d’ailleurs réalisé par Amy Mantyka.

Coloré et festif, le vidéoclip de la chanson Buds rappelle l’ambiance des soirées pyjama et célèbre les amitiés sincères à l’âge adulte. Capture d’écran Youtube Beau Nectar

Marie-Clo explique que « le clip parle des amitiés adultes platoniques. On voulait célébrer ce que c’est, d’avoir par exemple une maman dans le band et d’avoir des amis qui, eux n’ont pas d’enfant. Toutes les réalités sont correctes, ayons quand même du fun comme adultes avec nos amis, parce qu’on trouve que ce n’est pas assez priorisé ».

C’est d’ailleurs la petite Rosalie, fille de Marie-Clo, qui vole la vedette dans la vidéo de Buds. Outre cette mignonne apparition, le clip est constitué de trois minutes trente secondes de ballons, de couleurs éclatées et de chorégraphies, dans une ambiance de soirée pyjama que ne renierait pas une version 2023 du film Treize ans bientôt trente.

Chanter dans sa langue

Si Buds est aussi chère au cœur des deux artistes, c’est aussi parce que « c’est la première fois qu’on écrivait dans notre accent francophone », dixit éemi. Les paroles reflètent la façon de parler des communautés franco-canadiennes minoritaires, sans chercher à en lisser l’image.

Marie-Clo explique comment Buds cristallise l’évolution de son rapport à la langue : « J’ai réalisé que je n’ai pas besoin de m’épuiser et de me battre aussi fort, parce que ça me brûle. Je n’ai pas besoin de me battre pour avoir une crédibilité en tant que francophone, et je n’ai besoin de convaincre personne que je suis francophone. Buds, c’est une chanson francophone, parce que je suis francophone et que je l’ai écrite comme ça […] C’est un peu antipolitique, if you will. »

Éemi opine du bonnet : « Moi, je fais juste exister et je parle en français et that’s it. »

La Fransaskoise éemi (à gauche) et la Franco-Ontarienne Marie-Clo (à droite) se sont rencontrées lors du concours Planète BRBR sur les ondes de TFO. Source : Indie Montreal

La chanson fera peut-être grincer des dents les puristes, mais elle rejoindra un public plus jeune qui cherche sa place dans la francophonie canadienne. « C’est de sortir de la zone de culpabilité et d’insécurité linguistique, et plutôt d’apprécier et de célébrer comment on parle. Parce que je réalise que, dans les environnements où il y a beaucoup de jeunes, ils ne parlent juste plus parce qu’ils sont tellement tannés de se faire corriger », raconte Marie-Clo.

Une démarche artistique complète

Marie-Clo et éemi ont lu autant de poèmes que d’encyclopédies dans les dernières années. Des notes prises lors de marches en forêt pour la Fransaskoise, des études en herboristerie pour la Franco-Ontarienne et des cours en études féministes et de genre pour toutes les deux ont contribué à définir l’identité artistique de Beau Nectar.

C’est au fil de ces explorations qu’elles sont tombées sur le concept d’écoféminisme, tel que décrit par éemi : « L’écoféminisme, c’est quand on compare la nature et la femme sous le chapeau patriarcal et capitaliste. C’est facile de faire cette métaphore. Donc on a trouvé ce mot-là et on a fait comme; wow, ça, c’est notre projet! »

La chanson À fleur de pot illustre bien ce propos. Que toutes ces femmes qui se sont déjà senties prises au piège dans des rôles prédéterminés tendent l’oreille.

Entre la vie de tournée et les résidences de création, la collaboration est facile malgré la distance entre les provinces. Gracieuseté

Le titre Two Lips fait référence au fait d’être deux femmes, deux camarades, deux têtes pour penser aux concepts exploités sur l’album. Il est aussi un jeu de mots avec tulips, les tulipes ayant fait l’objet de nombreux messages vocaux passionnés entre les deux artistes. Le titre en anglais n’est pas anodin, comme le souligne éemi, sourire en coin : « Des fois, dans la musique francophone, il faut truquer les anglophones à aller voir ton album. »

Le message de Beau Nectar se propage aussi à travers le monde. Les complices se sont rendues en France pour la première fois dans les derniers mois. Grâce aux plateformes de musique en ligne, elles sont aussi écoutées dans plusieurs pays d’Amérique latine, où l’on trouve d’ailleurs certains mouvements écoféministes.

Une industrie déjà conquise

Le duo, qui avait lancé une version EP de Two Lips en 2022, a récemment reçu neuf nominations pour le prochain Trille Or, qui aura lieu en septembre. Beau Nectar est nommé dans les catégories Groupe, Découverte, Pop, EP, Auteur-compositeur, Chanson primée (pour Le noyer), Réalisation et arrangements, Vidéoclip (pour À fleur de pot) et Coup de cœur du public.

Seul Ponteix récolte plus de nominations avec une dizaine, alors qu’Étienne Fletcher égalise la marque de Beau Nectar. Questionnée à savoir si elle sent faire partie d’un mouvement de musique fransaskoise, éemi répond avec enthousiasme : « J’ai toujours voulu faire partie du club. Là, j’en fais partie. C’est génial! »

Entre Marie-Clo (à gauche) et éemi (à droite), la chimie amicale et artistique est palpable. Gracieuseté.

Selon l’autrice-compositrice-interprète, deux facteurs influencent l’émergence d’artistes de cette province de l’Ouest. D’abord, à 1,2 million d’habitants pour 651 900 km2 de superficie, l’isolement et le manque d’activités sont des enjeux réels. Plusieurs jeunes, autant anglophones que francophones, se tournent alors vers la musique. « C’est quelque chose qui nous lie. Notre communauté est petite, mais elle est forte. Les gens veulent créer, veulent faire de l’art et de la musique. »

De plus, éemi affirme que le gouvernement de la Saskatchewan soutient bien ses artistes avec des subventions accessibles. « C’est pour ça qu’on fait de l’art. Parce qu’on peut. »

Un album à cueillir doucement

Sans savoir pourquoi, il nous a fallu plusieurs écoutes pour apprécier pleinement Two Lips. La proposition sur papier était plus qu’intéressante, la musique était bien composée et bien produite, mais il manquait un petit déclic. Les paroles sont parfois difficiles à saisir, et elles sont essentielles. Comprendre les mots qui nous échappaient donne l’impression d’enfin retrouver le dernier morceau d’un casse-tête.

C’est peut-être justement parce que la démarche artistique de Beau Nectar est riche et que la recherche est complexe. Marie-Clo et éemi ont pris le temps de créer une œuvre profonde et c’est peut-être pourquoi il faut un peu de temps pour la comprendre.

La pochette de l’album Two Lips, qui est disponible uniquement en format virtuel, pour être en phase avec l’identité écologiste de Beau Nectar.

Bien sûr, on peut apprécier l’œuvre musicale, comme le témoigne la quantité de fans hors francophonie. Ne vous méprenez pas : Two lips est très accessible, mais mérite qu’on y plonge plus profondément. En musique de fond, l’album sera joli. En écoute active, il sera excellent.

Beau Nectar consacrera les prochains mois à une tournée pancanadienne. Le duo performera le 11 juin dans le cadre d’un événement de Sofar Ottawa, puis sera du Kaleidoscope musical du MIFO le 22 septembre.