Ukraine : aborder la guerre à l’école?
Qu’il s’agisse du 11 septembre ou de la guerre en Ukraine, les grands événements conflictuels demandent un sens important du tact aux enseignants des écoles primaires et secondaires lorsqu’ils sont abordés en classe.
« C’est un sujet délicat. Il faut vraiment l’aborder différemment selon le groupe à qui on s’adresse. On préférait ne pas en parler avec des enfants de moins de huit ans, car ce sont des concepts difficiles à comprendre. Quand c’est un sujet que l’enfant ne comprend pas, ça peut le stresser encore plus. Ne pas l’informer de ce qui se passe serait l’idéal », explique la professeure de psychologie de l’Université d’Ottawa, Nafissa Ismail, en entrevue avec ONFR+.
Le Conseil scolaire Viamonde, qui regroupe 56 écoles francophones laïques dans la péninsule ontarienne, a décidé d’aller en ce sens en envoyant une note de service à son corps professoral. « La discussion des événements à l’école et à l’échelle de la classe doit être évitée, en particulier pour les élèves du cycle primaire-moyen, car de nombreux élèves ont peut-être déjà été surexposés à la couverture de l’événement par les médias et les médias sociaux au cours des derniers jours.
L’exposition répétée médiatique peut être déroutante pour les enfants et contribuer à rendre l’événement plus dramatique pour eux. Il est préférable à ce stade de ne pas encourager les conversations sur le sujet », peut-on y lire.
Une opportunité pour apprendre
La guerre en Ukraine est évitée au primaire, mais la situation se présente autrement dans les niveaux scolaires plus élevés. L’actualité peut servir à lancer des discussions de classe enrichissantes.
« La règle numéro un pour une discussion de classe est en premier de savoir ce qui inquiète les élèves, ce qu’eux en pensent, ce qu’ils comprennent et d’ajuster les réponses à partir de là », explique le professeur de psychologie de l’Université d’Ottawa, Jean-François Bureau.
« Dans ma classe, les élèvent savent que je leur enseigne la matière mais c’est mon devoir de m’assurer qu’ils soient de bons humains et de m’assurer qu’ils sachent ce qu’il se passe dans le monde à un niveau qu’ils comprennent », raconte Gabrielle Dufresne, une enseignante de 4e année à l’École catholique Sainte-Marguerite-Bourgeoys.
« Il y a des liens curriculaires avec l’actualité. Ils apprennent le mot dictateur et démocratie », ajoute-t-elle
En plus de transmettre des connaissances réelles aux étudiants, Nafissa Ismail explique que les discussions de classe sont également des moments privilégiés pour leur apprendre l’art du dialogue et l’esprit critique.
Alors que les étudiants sont issus de toutes sortes de milieux touchés de près ou de loin par la guerre, les opinions qu’ils entendent à la maison peuvent être très divergentes. Considérant la charge émotionnelle de la guerre, le professeur se doit d’instaurer une ambiance ouverte et sécuritaire permettant d’éviter le dérapage vers un conflit entre les étudiants.
« J’inclus et j’accepte tout le monde peu importe leurs opinions. Les élèves ont le droit de verbaliser leur pensée de manière respectueuse. Dans la vraie vie, c’est ça le monde, tu dois savoir coexister avec le bagage des autres », relève Gabrielle Duchesne qui a des élèves d’origines russes et ukrainiennes dans sa classe.
Les événements tragiques comme la guerre en Ukraine peuvent aussi être des moments privilégiés pour développer le sens de l’empathie chez les élèves. « Il faut comprendre les difficultés des gens qui sont là où les conflits ont lieu et la chance qu’on a de ne pas être dans cette situation. Ça permet à l’enfant d’apprécier ce que l’on a et le rassurer », explique Mme Ismail.
Le rôle des parents
Bien que l’école soit un lieu privilégié pour l’apprentissage et le dialogue, le niveau d’information que reçoit un enfant par rapport à un conflit relève principalement de sa famille.
Alors que l’enseignant se doit de garder son opinion pour lui, les parents expriment librement les leurs. Dans une situation comme la guerre en Ukraine, les enfants peuvent être exposés à des points de vue tranchés de la part de leur famille et sujet à recevoir de la désinformation.
« Ça fait deux ans que les enseignants ont a gérer au quotidien de la propagande. On pense aux enfants qui ont des parents complotistes et qui amènent ça à l’école. Les enseignants ont l’expérience et les réflexes de dire que certains sujets ne sont pas abordés de telle façon », explique le professeur Bureau.
Dans cette situation, l’enseignant se doit d’éviter la confrontation avec son élève même si la tentation peut être forte de le corriger.
« Argumenter avec l’enfant manquerait d’empathie des deux côtés », continue M. Bureau. « Le parent qui met ça dans la tête de son enfant oublie peut-être son rôle de parent ici. Si je n’aimais pas Trump, vais-je exposer mon enfant de 7 ans sur une base quotidienne? C’est mettre l’enfant dans une position de devoir se prononcer sur quelque chose qu’il ne comprend pas. Le prof ne doit pas faire la même erreur. À l’école de ma fille, il y a des enfants qui ne jouent pas avec les enfants vaccinés, car leurs parents leur ont dit ‘tu ne joues pas avec les petits moutons vaccinés’. La prof n’a pas à gérer ça. »
L’approche pédagogique pour parler des conflits internationaux en classe relève donc d’un exercice d’équilibre entre la libre circulation des idées et la transmission des savoirs. « C’est sûr qu’en tant qu’enseignant on doit démontrer une certaine neutralité, mais c’est aussi important de guider ceux qui semblent mal informés. On ne peut pas les faire changer d’idée, mais on peut leur transmettre des connaissances réelles et dans un sens le professeur en faisant ça joue son rôle », conclut quant à elle Nafissa Ismail.