Un nouveau livre sur l’histoire francophone à Sudbury signé Serge Dupuis
[ENTREVUE EXPRESS]
QUI :
Serge Dupuis est historien de la francophonie nord-américaine et membre associé à la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord de l’Université Laval. Il est aussi auteur de plusieurs livres et essais portant sur l’histoire de la francophonie.
LE CONTEXTE :
L’historien publie Les francophones de Sudbury : une brève histoire, en collaboration avec l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO) du grand Sudbury, dans le cadre de la fête de la Saint-Jean-Baptiste le 24 juin.
L’ENJEU :
Ce livre sera destiné à la communauté et aux écoles de la région dans les deux langues. Il met en lumière l’histoire francophone du Grand Sudbury, notamment la contribution des institutions francophones.
« Quelle est l’origine de la communauté francophone à Sudbury?
Il y a différents francophones qui sont venus pour différentes raisons. La masse était une population agricole et ouvrière venue travailler sur des terres ou dans la forêt de la région qui étaient les principales industries à la fin du 19e siècle. Pour les mines, ça a pris beaucoup d’ampleur dans les années 1910, mais au départ l’industrie forestière était plus importante et l’agriculture aussi. En particulier pour le Canadien français qui avait tendance à s’établir dans des villages homogènes : Chelmsford, Azilda, Val Caron… C’était des régions francophones.
Et qu’en est-il des institutions?
Les Canadiens français ont apporté avec eux des paroisses, des écoles et tout le reste. Ce sont des institutions qui ont été mises à l’épreuve notamment à l’époque du Règlement 17 quand on a interdit l’enseignement à l’école du français pendant une quinzaine d’années… Le baby-boom a apporté l’émergence d’une culture plus distincte typiquement franco-sudburoise. On a eu une institutionnalisation de cette présence-là, notamment par des institutions qu’on connaît aujourd’hui, comme le Théâtre du Nouvel-Ontario ou Radio-Canada qui ont tous émergé dans les années 70 et qui sont encore là.
Pourquoi avoir décidé de sortir ce livre aussi en anglais?
On peut rejoindre un public anglophone et bilingue, et il y en a beaucoup à Sudbury. C’est quand même 60 % de la population qui n’a aucune connaissance du français… Pour plusieurs anglophones, le Règlement 17 ou le dynamisme culturel de la francophonie sont des sujets de base qu’ils connaissent peu ou pas à moins d’avoir de la famille qui sont liés à ça.
Qu’est-ce qui a différencié Sudbury d’autres villes francophones de l’Ontario au cours de son histoire?
La population francophone (à Sudbury) était plus ouvrière que celle d’Ottawa ou Toronto par exemple qui sont des villes de fonctionnaires… On pourrait faire un parallèle avec Windsor ou Welland par exemple, où les francophones ont toujours été minoritaires et la population largement ouvrière.
La communauté francophone à Sudbury rime souvent avec le village du Moulin à fleur. Expliquez-nous l’historique associée à ce quartier?
C’était le seul endroit à l’intérieur de la ville de Sudbury (…) où les Canadiens français étaient vraiment majoritaires et majoritaires à la hauteur de 85 % à un moment donné. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, c’est plus autour de 30 % pour toutes sortes de raisons. Historiquement, ça a une signification pour la francophonie en partie parce que les Canadiens français ont géré leurs institutions au niveau du centre-ville… avec la paroisse, le presbytère, le centre culturel, l’Hôpital Saint-Joseph.
Comment expliquer le fait que ce quartier soit descendu aujourd’hui à près de 30 % de francophones?
Dans les années 1940, les jésuites ont vendu tous les terrains là (le Moulin à fleur) à des prix modiques pour installer les familles canadiennes-françaises pour qu’elles deviennent propriétaires… Paradoxalement, cette même attitude a repoussé les Canadiens français dans d’autres régions car ils ont déménagé avec la caisse populaire et d’autres institutions. Ceux qui avaient plus d’argent se sont installés dans la banlieue du nouveau Sudbury. Ceux qui en avaient moins sont allés vers la vallée, où les terrains n’étaient pas chers. Ça a contribué à favoriser l’accès à la propriété et à la dispersion des Canadiens français.
Qu’en est-il de l’évolution de la place du français à Sudbury au cours des années?
Je ne dirais pas que c’est un déclin dramatique, mais il y en a quand même un. Dans le fond, on observe la secondarisation. Quand on regarde les données de 2006 à 2011 et 2011 à 2016, on voit que la population qui a une connaissance du français n’a pas diminué. C’est la fréquence à laquelle on parle français qui a diminué. C’est le nombre de foyers qui parlent français qui est en diminution, alors que le nombre de foyers qui parle parfois français n’a pas diminué. Le nombre de francophones n’a pas nécessairement changé, mais on parle moins souvent en français qu’avant.
On se souvient de l’école Saint-Louis-de-Gonzague qui était l’un des symboles de la résistance contre le Règlement 17 à l’époque. Est-ce que ce type de résistance était répandu dans d’autres écoles de la langue de Molière à Sudbury?
Une anecdote qui est souvent racontée est qu’on avait tendance à respecter le Règlement pendant que l’inspecteur était là. On sortait les livres en anglais et on les rangeait jusqu’à la prochaine visite. Je pense qu’il y a des éléments de vérité là dedans. Elle est tellement racontée qu’elle ne peut pas être faussée et c’est partiellement documenté. Ce qui a été documenté est que les Canadiens français ont été habiles dans les conseils catholiques à l’époque… donc il pouvait être beaucoup plus clément dans l’application du Règlement.
Quel a été l’impact du Collège Boréal et de l’Université Laurentienne sur l’histoire de la communauté franco-sudburoise?
Ça a certainement permis d’avoir une variété de professionnels en français. Je pense à l’éducation, à la santé, à la culture et aux commerces. Tu peux quand même, à Sudbury, obtenir beaucoup de services en français et ce n’est pas toujours évident. Dans certains secteurs, beaucoup font affaire en anglais, mais quand il y a un nom francophone, ce sont souvent des gens qui ont été formés par ces institutions-là. Leurs rôles ont été majeurs pour permettre à la population francophone d’amorcer la transition d’une population majoritairement ouvrière à une population qui œuvre principalement dans le service aujourd’hui.