Un vestige du Règlement XVII : la préservation de la plus ancienne école franco-sudburoise
SUDBURY – Il y a longtemps qu’il n’y a plus de cours dans le bâtiment du 162, rue Mackenzie. Il y a de ça plus d’un siècle que la première école francophone de Sudbury, l’École Saint-Louis-de-Gonzague, a vu jour à cette adresse. Aujourd’hui, le Réseau d’action communautaire (RAC) de la Haute-Ville de Sudbury espère protéger cet édifice riche d’histoire.
Les plans de transformer l’immeuble en condo n’ont jamais abouti. En février 2019, le Sudbury Indie Cinema s’y est installé, mais la majorité du bâtiment demeure inutilisée.
Cependant, à la surprise de plusieurs, le bâtiment ne figure pas sur la liste des lieux patrimoniaux du Grand Sudbury. C’est précisément ce que le RAC souhaite changer.
« Nous avons lancé un sondage aux résidents du quartier », raconte Izabel Amaral, membre du RAC et professeure à l’École d’architecture McEwen. « On s’est rendu compte que la population s’intéresse à ce bâtiment et apprécie son histoire. Les résultats du sondage indiquent que la communauté souhaiterait le préserver, surtout sa façade extérieure et les deux entrées séparées pour garçons et filles, qui sont témoins des méthodes d’enseignement de l’époque. »
En vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario, les municipalités peuvent adopter des règlements pour désigner officiellement des biens comme ayant une valeur patrimoniale, et ce sans le consentement du propriétaire.
Toutefois, cette approche irait à l’encontre des politiques municipales, explique Édouard Landry, planificateur urbain à la Ville du Grand Sudbury.
« Même si la Loi le permet, ce n’est pas quelque chose que l’on considère », explique M. Landry. « La politique du Grand Sudbury, telle qu’élaborée dans le plan officiel de la Ville, est de travailler avec les propriétaires. »
« Ensuite, un édifice peut être désigné en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario s’il répond à certains critères », ajoute l’urbaniste sudburois. « Par exemple, si un bien représente ou illustre un thème ou une tendance de l’histoire de l’Ontario, ou contribue à comprendre l’histoire de l’Ontario, alors il peut techniquement être désigné. »
Les membres du RAC ont donc rencontré le promoteur immobilier à qui l’édifice appartient.
« Nous lui avons montré nos recherches sur l’histoire de ce bâtiment », raconte Mme Amaral. « Il était à notre écoute, et l’on s’attend qu’il entreprenne des actions visant la préservation de l’école à l’avenir. »
Un symbole de la résistance francophone
Le professeur émérite de sociologie franco-ontarienne à l’Université Laurentienne, Donald Dennie, explique l’importance symbolique de l’édifice.
« On peut considérer l’école comme un symbole de la résistance canadienne-française au règlement XVII », note-t-il dans la demande de préservation du bâtiment.
Citant le défunt enseignant franco-ontarien Michael Begley, M. Dennie raconte que les commissaires des écoles séparées de Sudbury ont fait fi du Règlement XVII, en vigueur depuis juillet 1912, pour fonder l’École Saint-Louis-de-Gonzague, alors nommé l’École Central.
« Malgré ce règlement, le conseil des écoles séparées de Sudbury a décidé, en 1913, de construire l’École Central pour accueillir des centaines d’élèves catholiques dont la majorité était francophones », élabore M. Dennie.
L’existence même de l’édifice, dit-il, témoigne de la bonne volonté qui caractérise les relations entre anglophones et francophones de l’époque.
L’historien Serge Miville vient renchérir cette observation.
« Un des trucs très intéressants, c’est que c’est une réalisation entièrement sudburoise qui représente les deux communautés linguistiques locales », explique-t-il. « Ça a été conçu par un architecte sudburois, P.J. O’Gorman, construit par la Laberge Lumber Company, avec les briques de la Sudbury Brick Company. En plein Règlement XVII, les exemples de concordes de ce genre étaient relativement rares. »
Ce genre de cachet architectural ajoute aussi un caractère d’intérêt provincial sur le plan du patrimoine culturel en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario, ajoute Mme Amaral.
« L’ornementation de la façade est très inhabituelle dans l’environnement bâti de la ville et c’est l’une des raisons principales de cette demande de préservation », indique l’architecte.
« L’École Saint-Louis-de-Gonzague reflète le mouvement Art déco, un style caractérisé par les formes géométriques pures, typiques de l’art et de l’architecture de l’entre-guerre, et constitue une preuve de l’implication de Sudbury dans un mouvement artistique mondial. »