Une ancienne prison pour s’évader dans le patrimoine franco-ontarien

Vue extérieure de l'ancienne prison de L'Orignal telle qu'elle apparaît aujourd'hui. Gracieuseté

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.

[CHRONIQUE]

Depuis plus de 15 ans, chaque été, l’ancienne prison de L’Orignal, située dans le chef-lieu des Comtés unis de Prescott-Russell, ouvre ses portes aux visiteurs qui souhaitent en apprendre plus sur l’histoire de la vie carcérale ou du fonctionnement d’un établissement de détention en Ontario aux XIXe et XXe siècles.

Grâce aux efforts d’un comité de bénévoles, l’ancienne prison, qui a fermé en 1998 et qui était la seule à fonctionner en français, a connu une seconde vie en devenant un lieu d’interprétation patrimoniale populaire franco-ontarien.

La plus vieille prison de l’Ontario, la deuxième plus ancienne au Canada

Ce qui fut l’une des rares seigneuries dans l’actuel territoire de l’Ontario, le village franco-ontarien de L’Orignal, devient le chef-lieu du district d’Ottawa (créé en 1816), ce qui signifie entre autres que le pouvoir politique régional et judiciaire s’y retrouvent. Les institutions à L’Orignal précèdent celles de l’actuelle ville d’Ottawa, qui ne seront construites qu’en 1842, puisque Bytown n’est fondé qu’en 1826.

La prison de L’Orignal et un palais de justice sont donc construits en pierres grises à L’Orignal en 1824-1825 dans un style architectural loyaliste néo-classique. La prison a été agrandie à de nombreuses reprises. En 1848, l’aile Est qui a servi de logis au gouverneur (directeur) de la prison et à sa famille, est construite. En 1861-1862, c’est l’aile Ouest qui y est ajoutée. La prison est à nouveau agrandie en 1870, 1940, au début des années 1960 et enfin, une dernière fois, en 1978. En 1994, elle subit des travaux de rénovations selon les plans de la firme d’architectes franco-ontariens Séguin et Matte d’Hawkesbury.

Cellule d’incarcération dans l’ancienne prison de L’Orignal. Gracieuseté

De son ouverture jusqu’à l’abolition définitive de la peine capitale au Canada en 1976, cinq pendaisons ont eu lieu dans la cour arrière de la prison dont les dernières, en 1933. Trois évasions de détenus ont eu lieu en près de 175 ans d’histoire et la dépouille d’un détenu (jamais réclamée par sa famille) gît sur le terrain de la prison. De juridiction fédérale jusqu’en 1968, elle passe sous le giron provincial pour les 30 dernières années de son existence.

1998 : « Une autre claque à la Montfort »

Le sort de la prison de L’Orignal était déjà incertain à partir de 1995 alors que le Solliciteur général et ministre des Services correctionnels de l’Ontario, Bob Runciman, confirme que l’avenir de six des 25 prisons que compte la province sont à l’étude, y compris celle de L’Orignal.

Selon le rapport du ministre, l’institution carcérale de L’Orignal (qui avait alors une capacité de 30 détenus dans ses huit cellules et qui en abritait en moyenne une vingtaine par jour) est la plus onéreuse de toutes les prisons de l’Ontario avec un coût quotidien de 210 dollars par détenu.

Pendant que tous les yeux étaient rivés depuis 1997 sur la lutte acharnée que menaient les Franco-Ontariens, avec à sa tête Gisèle Lalonde pour la survie de l’Hôpital Montfort à Ottawa, et que les défenseurs du patrimoine franco-ontarien venaient de sauver avec succès l’ancienne École Guigues dans la même ville (le lieu de la fameuse bataille des épingles à chapeau et où ont continué d’enseigner en français les sœurs Diane et Béatrice Desloges malgré le Règlement 17), le couperet tombe sur la prison de L’Orignal. Le gouvernement de l’Ontario, par la voix de son nouveau Solliciteur général de l’époque, Jim Flaherty, annonce le 10 juillet 1998 la fermeture définitive dès la fin du mois courant de la plus ancienne prison en activité de la province et surtout, la seule qui fonctionne en français avec notamment ses soins éducatifs, de santé et de pastorale.

Autre vue des cellules d’incarcération dans l’ancienne prison de L’Orignal. Gracieuseté

« C’est une autre claque à la Montfort » s’insurge alors en entrevue au quotidien Le Droit le vice-président de l’ACFO de Prescott-Russell et ex-député provincial, Jean Poirier. L’organisme de défense des francophones craint que le transfert des détenus franco-ontariens vers les lieux d’incarcération d’Ottawa-Carleton et de Cornwall aura des impacts néfastes et peu propices à l’épanouissement des francophones.

Un représentant du ministère des services correctionnels s’est toutefois fait rassurant en déclarant à l’époque que tout serait mis de l’avant pour assurer le respect complet des droits des gardiens et des prisonniers francophones, tout en reconnaissant « qu’ils vont évidemment remarquer une différence car ils se retrouveront maintenant dans un environnement majoritairement anglophone à 75 %. Leurs droits vont par contre être toujours respectés. Et s’ils se sentent lésés ou intimidés, ils ont simplement à déposer une plainte auprès de l’ombudsman, la direction de la prison ou leur député. »

Depuis 2007 : « réhabilitation et réinsertion » patrimoniales réussies pour l’ancienne prison

À la suite de la fermeture de la prison, les nouveaux propriétaires des lieux, les Comtés unis de Prescott et Russell, lancent un processus de consultation publique afin de solliciter des propositions d’idées pour l’avenir de l’immeuble, qui est le plus vieux bâtiment public de l’Est ontarien.

Le Regroupement des organismes du patrimoine franco-ontarien (ROPFO, aujourd’hui RPFO), qui était particulièrement actif à cette époque avec son vice-président Michel Prévost, milite dès le début pour la transformation de l’ancienne prison en un centre d’interprétation touristique à vocation historique et de sa désignation en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario.

La nouvelle vocation patrimoniale du seul centre de détention francophone de l’Ontario, a même constitué le point de mire du colloque organisé par le ROPFO en octobre 1998 portant sur les liens étroits entre le tourisme et le patrimoine régional.

De toutes les propositions avancées, c’est celle des défenseurs du patrimoine franco-ontarien qui est retenue par les Comtés unis de Prescott et Russell.

Le Comité de l’ancienne prison de L’Orignal est donc formé en 2005 de bénévoles avec pour but, en collaboration avec les Comtés unis, de préparer l’animation touristique, historique et patrimoniale de l’ancien lieu de détention.

Après avoir développé un concept d’interprétation, rédigé les panneaux d’interprétation, effectué les mises aux normes pour accueillir le public, l’ancienne prison ouvre pour la première fois aux visiteurs en juin 2007. Le succès est au rendez-vous et dépasse les attentes. Au terme de sa première saison d’activités, plus de 1000 personnes l’ont visitée.

Trophée du prix Roger-Bernard, remis en 2009 par le ROPFO au Comité de bénévoles de l’ancienne prison de L’Orignal. Crédit image : archives du RPFO

L’évolution du système carcéral y est racontée dans le cadre de visites guidées et permet de bien cerner les changements d’un système punitif d’abord axé sur les châtiments corporels à celui de réhabilitation et de réinsertion sociale. Par exemple, l’endroit où étaient exécutés les prisonniers, céda sa place à un lieu pour obtenir son diplôme d’études secondaires de l’Ontario, la cour de la prison ayant cédé place à une salle de classe en 1987.

L’ancienne prison, véritable point de repère central des environs avec sa coupole et son toit orangé si distinctif, s’anime avec ses visites guidées, ses soirées spectacles théâtrâles, ses expositions et autres activités. Sa transformation en un lieu d’interprétation historique a servi de fer de lance au développement de circuits guidés patrimoniaux dans le village de L’Orignal.

L’ensemble carcéral, le Palais de justice (le plus ancien encore en activité de l’Ontario) et les bureaux administratifs du gouvernement régional des Comtés unis de Prescott et Russell ont été désignés en 2007 en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario. « L’objectif est de préserver le cachet historique et le cachet culturel de l’endroit », avait déclaré alors Gary Barton, le maire du canton de Champlain (qui inclut le village de L’Orignal).

Finaliste en 2008, le Comité de l’ancienne prison de L’Orignal a reçu en 2009 le prix Roger-Bernard, qui est décerné aux deux ans par le ROPFO à un organisme ou une institution ayant contribué de façon remarquable à la préservation et la mise en valeur d’un ou de plusieurs éléments du patrimoine de l’Ontario français.