Une communauté réalise le vide laissé par la fermeture du journal
KAPUSKASING – En juillet dernier, le journal Northern Times fermait ses portes dans la municipalité de Kapuskasing, dans le Nord de l’Ontario. À peine trois mois se sont écoulés, mais déjà plusieurs acteurs de cette communauté à majorité francophone constatent le vide géant créé par la disparition du seul média écrit de la région, ainsi que les conséquences de cette absence.
ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg
« C’est une tragédie », lance d’emblée le maire sortant de Kapuskasing, Alan Spacek. « Il y a un fossé entre la Ville et les citoyens. Pour une communauté rurale, pour notre société, c’est une perte majeure », renchérit-il.
Kapuskasing est une communauté de 8 000 citoyens, qui se trouvent à plusieurs heures des grands centres. Depuis la fermeture du journal, M. Spacek dit constater la circulation de davantage de fausses informations. « On a vu pendant la campagne électorale municipale que les rumeurs se propageaient. Il n’y a plus de journal pour donner l’heure juste », souligne-t-il, alors que sa municipalité a vécu une première campagne électorale sans un journal dans la communauté.
Gilbert Peters candidat défait à la mairie a aussi constaté pendant la campagne l’impact de la disparition du journal. « De ne pas avoir de journal dans son village, c’est l’enfer! On ne sait rien de ce qui se passe. On ne sait plus ce qui est à vendre dans nos magasins. Avant, on savait les nouvelles, les activités dans le village, on avait un sentiment de communauté », confie-t-il. « On ne connait pas la valeur de quelque chose tant qu’on ne l’a pas perdu. J’ai le cœur brisé », ajoute M. Peters.
Une radio communautaire francophone et une radio privée anglophone sont dorénavant les seuls médias de la communauté. « Mais il y a des types d’informations qui sont plus appropriés à être diffusés par un véhicule comme le papier », affirme Marc-André Gravel, directeur du Centre de santé communautaire de Kapuskasing. « C’était pratique pour afficher des postes disponibles à notre centre, diffuser notre calendrier d’activités », explique-t-il.
Même constat au Conseil scolaire public du Nord-Est de l’Ontario. Si le journal était anglophone, il parlait aussi d’enjeux francophones et laissait les annonceurs diffuser leurs publicités en français ou en anglais.
« Notre outil prioritaire a disparu. Ça affecte nos stratégies de communication et de marketing plus traditionnelles. On s’était toujours donné comme mandat d’appuyer les médias locaux. L’outil imprimé permettait de rejoindre certaines clientèles », s’attriste son agente de communications, Guylaine Scherer.
Le recrutement de nouveaux élèves se fait en courtisant les parents, mais les grands-parents jouent aussi un rôle. « Bien souvent, c’est eux qui vont convaincre leurs enfants d’inscrire leurs petits enfants dans des écoles francophones. Avec le journal, on rejoignait tout le monde, tant les parents que les grands-parents », précise-t-elle.
Même des acteurs privés subissent aujourd’hui les contrecoups de cette fermeture du journal. Depuis des années, le concessionnaire automobile LeCours Ford annonçait en une de l’hebdomadaire. Le bandeau publicitaire en bas de la page frontispice était là à chaque édition. « On a été un annonceur jusqu’à la fin », confie Patrick Vaillancourt, directeur des ventes du commerce.
« On est pas encore en mesure de dire quel impact ça aura sur nos ventes, mais le journal demeure un médium encore très important. On vise un public âgé de 16 à 80 ans et plusieurs clients potentiels ne sont pas sur les réseaux sociaux où on annonce maintenant », explique-t-il.
La crise des médias frappe partout
La journaliste Marie-Ève Martel vient de publier le livre Extinction de voix – Plaidoyer pour la sauvegarde de la presse régionale. Elle s’intéresse à la crise des médias régionaux et à la fermeture coup sur coup de dizaines de journaux locaux, en l’espace de quelques années.
« Les fermetures se multiplient à un rythme effréné. Le lectorat est toujours là, ce n’est pas ça le problème, ce sont les revenus publicitaires qui chutent de manière dramatique », explique-t-elle. « Un journal fait le lien entre les différents acteurs d’une communauté. Suite à une décision du conseil municipal, les citoyens peuvent se mobiliser en le lisant dans le journal. Sinon, c’est un article qui motive des entreprises à commanditer un athlète qui multiplie les succès », ajoute Mme Martel.
Depuis des mois, les associations de journaux québécois ou francophones en milieu minoritaire et les journalistes sonnent l’alarme. Mais le gouvernement n’agit pas, observe Marie-Ève Martel. « Le gouvernement Trudeau est dans un état de contemplation des problèmes. Pourtant, il faut passer à l’action. Tout va passer par la reconnaissance formelle de l’information comme un bien public qu’il faut protéger. Sinon, ça voudra dire qu’on ne veut plus de nouvelles, préférant les fake news et les vidéos de chats! », lance-t-elle.
Des alternatives en vue
Rapidement, Les médias de l’Épinette noire, propriétaire de la radio CINN et du Journal Le Nord, ont indiqué vouloir étendre leurs activités à Kapuskasing et à sa région immédiate. Le groupe médiatique de Hearst est cependant plus prudent, maintenant. « On est pas encore prêt, il y a un défi de personnel à trouver, on va peut-être y repenser plus tard l’année prochaine », a indiqué son directeur, Steve McInnis.
Le 23 octobre, Radio-Canada révélait pour sa part qu’un journal bilingue devrait combler le vide laissé par la disparition de Northern Times. Le groupe Kapnord qui gère la populaire station communautaire CKGN devrait lancer en décembre La Presse communautaire/The Community Press à l’intention des citoyens qui habitent entre Opasatika et Smooth Rock Falls.