Une marche contre le racisme et pour le changement à Ottawa
OTTAWA – Quelque 7 000 personnes se sont rassemblées, selon les autorités policières, ce vendredi, sur la colline parlementaire, avant de défiler dans les rues de la capitale nationale. Ils demandaient justice et la fin du racisme systémique au Canada, mais aussi à Ottawa où la police a fait l’objet de nombreuses critiques.
Ils sont plusieurs milliers à avoir répondu à l’appel de l’organisme No Peace Until Justice Ottawa (Pas de paix sans justice) pour rendre hommage à l’américain George Floyd, tué lors d’une intervention policière aux États-Unis. Mais leur message ne visait pas que le voisin du Sud.
« C’est plus grand que la cause de George Floyd ce qu’on vit présentement », estime Barbara Philogène. « On est fatigué, écœuré, à bout! Ça se passe depuis qu’on est né, à l’école, au travail, chaque jour de notre vie. Ce qui est arrivé à Floyd a fait déborder le vase. C’est une oppression dans laquelle on n’est plus capable de vivre. À un moment donné, il faut parler, il faut crier! », dit-elle.
Ottawa n’échappe pas à cette situation, poursuit-elle, y compris dans la fonction publique fédérale, mais aussi au sein du service de police de la ville.
Benoît Trottier est venu d’Orléans avec Alan Njima.
« On veut voir une diminution de la brutalité policière. C’est inacceptable, on a besoin d’apporter des changements. »
À ses côtés, son ami hoche la tête.
« Ce qui se passe dernièrement m’affecte d’autant plus comme personne noire. Je suis là pour faire entendre ma voix et dire aux décideurs qu’il est temps de changer les choses. Il y a plein d’incidents qui m’ont touché. J’ai vécu la discrimination, été rabaissé… »
Venue avec sa famille, Mirra Ebanda juge le racisme bien réel à Ottawa.
« Il y a eu des cas similaires de Noirs tués par la police. La brutalité policière existe encore, alors que ça ne devrait plus être un problème. »
Son frère, Kenzo, acquiesce. Raison pour laquelle, participer à la marche de vendredi n’était pour lui « même pas une question ».
« No Peace Until Justice, ce n’est pas juste un slogan pour faire joli. On veut faire comprendre aux gens que tout le monde saigne le même sang et qu’il n’y a qu’une race humaine. »
Des changements « maintenant »
La marche d’Ottawa a remporté un grand succès. Mais pour qu’elle ne reste pas qu’un simple événement, comme le souhaitent ses organisateurs, les manifestants espèrent qu’elle sera suivie de réponses concrètes.
« Le plus gros changement que ça pourrait apporter, c’est qu’en tant que mère, je n’ai pas peur que mon fils sorte en hoodie pour jouer au basket avec ses amis. Que je ne reçoive plus d’appels de mon frère qui s’est fait arrêter pour un stop de trafic et qui me met sur speaker phone parce qu’il a peur. Le plus gros changement, ce serait de pouvoir sortir sans que les gens aient peur de nous, quand on s’approche, à cause de notre couleur de peau », dit Mme Philogène.
Venue avec sa nièce, Marie O. Philippe-Remy caresse le même espoir.
« J’ai des enfants et je ne veux pas qu’ils grandissent dans un monde comme ça. Mon fils avait tellement peur que je vienne ici, aujourd’hui, pour ma sécurité. Pour qu’un enfant de 10 ans puisse penser ça parce que ma peau est noire, c’est qu’il y a un problème. À Ottawa, j’ai vu ça de mes propres yeux : ma sœur souffrait de problème de santé mentale et j’ai vu la façon dont les policiers la traitaient, comme une criminelle, quand elle avait des épisodes, au lieu de lui trouver de l’aide. »
Pour changer les choses, Alan Njima voudrait voir plus de personnes de couleurs dans des postes à responsabilité.
« J’aimerais qu’elles soient plus impliquées en politique, dans le milieu des affaires, qu’on entende leur voix. »
Beaucoup d’attente, mais pas encore d’« effet Sloly »
En 2019, un rapport interne du Service de police d’Ottawa (SPO) de 142 pages faisait état d’une méfiance des communautés culturelles qui lui reprochaient discrimination et profilage racial. C’est donc sans surprise que la police ottavienne a été invectivée à plusieurs reprises, ce vendredi.
« J’espère que cette marche va rappeler que les jeunes Noirs ont peur d’aller voir les policiers. C’est triste. Vers qui peuvent-ils se tourner si ce n’est pas eux? », questionne Lydia Philippe.
La nomination de l’ex-chef adjoint du Service de police de Toronto Peter Sloly, en août dernier, comme premier Noir à la tête du SPO, a toutefois créé une vague d’espoir.
« Il sait ce qu’on ressent », estime Alan Njima, qui reconnaît pourtant ne pas encore avoir observé de changement notable. « Mais c’est une bonne introduction », ajoute-t-il.
Même son de cloche pour Mme Philogène.
« Il peut faire une différence, car il l’a vécu avant de porter l’uniforme. C’est un homme noir, il connait la réalité de ce qu’on vit, les regards, les murmures… Il peut amener un changement s’il en a la volonté et ça semble être le cas. »
Mirra Ebanda se montre d’un optimisme prudent.
« Ce qui est dur, c’est que tu peux être chef sans que tout le monde ne t’écoute forcément. Ce qu’il faut, c’est changer le système. Ce ne sont pas tous les policiers qui sont mauvais, mais il faut revoir comment ils sont formés. »
Un avis que partage Mme Philippe-Remy.
« La police d’Ottawa a besoin d’éducation sur les minorités pour qu’elle cesse de ne voir que notre couleur de la peau. »
Et c’est justement là que M. Sloly pourrait intervenir, pense Mme Lydia Philippe.
« J’espère que comme minorité visible, il va apporter ce point de vue à la table, auprès des policiers, car ça prend quelqu’un dans nos souliers. Tant qu’on ne l’a pas vécu, c’est difficile à expliquer. »
Fataliste, Kenzo Ebanda juge qu’« à la fin, ce seront les actions qui feront ou non une différence ».
« Mais avec tous les gens qui se sont déplacés aujourd’hui, je trouve ça encourageant. Ça montre qu’on veut tous la même chose. »