Université franco-ontarienne : les raisons historiques d’une absence
SUDBURY – Le projet d’une université franco-ontarienne sera de nouveau l’un des thèmes phare du Forum de l’Ontario français cette fin de semaine à Sudbury. Entretien avec l’historien Serge Dupuis sur les raisons de la non-existence d’un tel bâtiment.
SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @SebPierroz
Car le constat est saisissant pour l’universitaire : à la différence des 600 000 Franco-Ontariens, les 250 000 Acadiens possèdent une institution postsecondaire francophone avec l’Université de Moncton depuis 1963, tandis que l’Université de Saint-Boniface dans le Manitoba dessert les 50 000 francophones de la province. La communauté francophone de Nouvelle-Écosse (35 000 résidents) bénéficie également de sa propre université.
« Les raisons de cette différence sont multiples », analyse M. Dupuis. « On peut parler en premier lieu d’un accident historique. Dans les années 60, il existait seulement des écoles primaires bilingues en Ontario. Les revendications pour une université franco-ontarienne étaient alors très faibles. Dans le même temps, le Nouveau-Brunswick réunissait ses programmes francophones par la création de l’Université de Moncton. »
Deuxième aspect de l’absence d’une université franco-ontarienne pour l’universitaire : la démographie. « Historiquement, les Franco-Ontariens ont été toujours beaucoup plus dispersés que les Acadiens. Ça n’a pas favorisé les phénomènes de regroupement autour d’une université à l’inverse du Nouveau-Brunswick. »
Enfin, le contexte politique florissant des années 60 pour les Acadiens ne reflétait pas la même tendance en Ontario, estime par ailleurs l’historien. « Certes, on a mis sur pied l’Université Laurentienne à Sudbury en 1960, puis l’Université d’Ottawa a obtenu son statut laïque en 1965, mais les conservateurs au pouvoir à Queen’s Park n’étaient de toute manière pas ouvert à l’idée d’une université par et pour les francophones, à la différence du premier ministre libéral Louis Robichaud au Nouveau-Brunswick. »
Les Franco-Ontariens s’accommodaient alors facilement à ces décisions, au regard de M. Dupuis. L’exemple de l’Université d’Ottawa est alors symptomatique pour lui de cette tendance. « L’Université anglophone de Carleton venait d’être créée en 1957. L’établissement, autrefois fondé par les pères Oblats, était majoritairement composé d’étudiants francophones. Il n’y avait pas un sentiment véritable de menace. Ce n’est qu’à partir des années 70 que la proportion de francophones est passée en dessous du seuil de 50% à l’Université d’Ottawa. »
Modèle unique
Reste que le modèle de deux institutions bilingues dans la province demeure unique d’après l’historien. « L’Université Laurentienne et l’Université d’Ottawa sont les seules bilingues au pays, et à ma connaissance les seules dans le monde. »
Si M. Dupuis préfère rester « neutre » et ne pas juger le destin des deux universités depuis quarante ans, certains chiffres parlent d’eux-mêmes. Depuis les années 70, la proportion de francophones à l’Université d’Ottawa a dégringolé à moins de 30%, avec un pic historique de 27% en 2010.
L’Université Laurentienne, à dominance anglophone dès sa création, n’a de son côté jamais réussi à attirer une proportion suffisante de francophones, louvoyant entre 10 et 20% d’étudiants issus de cette minorité. Et ce depuis sa création en 1960.
« La suite (à l’Université Laurentienne) est bien connue. Les anglophones ont mis la loi du nombre de leur bord », rapportait à cet égard Normand Renaud dans le recueil De face et de billet en 2002. « Les programmes français ont piétiné, les programmes anglais se sont multipliés. Dans l’université qu’ils avaient créée, les Canadiens-Français ont été avalés. »