Le Nouveau Parti démocratique (NPD) ontarien a déposé, il y a maintenant six mois, son projet de loi 173 qui déclarerait la violence entre partenaires intimes: une épidémie en Ontario. Photo : Canva

TORONTO – Six mois après que le gouvernement Ford ait appuyé le projet de loi 173, visant à déclarer la violence entre partenaires intimes (VPI) une épidémie, des associations, défenseurs des droits et députés attendent toujours que le gouvernement agisse. Le projet de loi a été renvoyé au Comité permanent de la justice après la deuxième lecture, le 10 avril 2024.

À Queen’s Park, la députée du Nouveau Parti démocratique Kristyn Wong-Tam a rencontré plusieurs experts, chercheurs et militants au sein de ce comité, afin d’établir un plan d’action susceptible d’accélérer la prise de décision du gouvernement.

« Le projet de loi 173 aurait pu être adopté dès avril dernier par le gouvernement provincial »
— Kristyn Wong-Tam

« Le projet de loi 173 aurait pu être adopté dès avril dernier par le gouvernement provincial, affirme-t-elle. Au lieu de cela, ils l’ont envoyé en comité pour être étudié, alors que cette question a déjà été largement examinée. Nous avons des rapports, des enquêtes de coroners, l’enquête du comté de Renfrew, le rapport sur les femmes autochtones disparues et assassinées, ainsi que le rapport de la Commission sur la tuerie de masse en Nouvelle-Écosse. Toutes ces informations sont disponibles. Il n’était pas nécessaire de réétudier la question. »

Cependant, l’objectif principal du comité demeure de déclarer une épidémie de violence conjugale. La députée, qui s’est engagée dans des mois de consultations, compte « en tirer le meilleur parti, mais demander aux experts ou aux survivantes de répéter leurs témoignages est une perte considérable de temps et d’argent, surtout que nous avons déjà des recommandations que Doug Ford n’a même pas encore mises en œuvre ».

Une nouvelle étude qui rappelle l’ampleur du travail à accomplir

À la suite de ses consultations, le Comité permanent de la justice a formulé des recommandations préliminaires pour que le gouvernement provincial mette en place davantage de programmes d’éducation et de prévention, notamment dans les écoles, à destination des jeunes et des jeunes adultes.

« Les premiers signes, comme la maltraitance animale, sont souvent liés à la violence entre partenaires intimes (VPI) et doivent être détectés grâce à une formation renforcée des premiers intervenants, vétérinaires et professionnels du droit », indique la députée néo-démocrate dans ses notes.

La députée NPD pour Toronto-Centre, Kristy Wong-Tam. Photo : La presse canadienne/Christopher Katsarov

Les experts ont également recommandé que les forces de l’ordre soient formées à reconnaître que le contrôle coercitif constitue une forme de violence, et que les victimes n’ont pas toujours des blessures visibles.

Il est également suggéré que la justice ontarienne améliore ses pratiques, en particulier en tenant compte des 1 326 cas de VPI et de violence basée sur le genre (VBG) rejetés par les tribunaux de l’Ontario l’an dernier. Le comité recommande également des modifications du Code criminel pour offrir davantage d’options de justice réparatrice, ainsi qu’une approche intersectionnelle tenant compte du genre dans les budgets et les plans de logement, afin de mieux répondre aux enjeux de pauvreté et d’itinérance genrées.

« Le gouvernement se concentre sur des actions qui produisent des résultats concrets et tangibles »
— un porte-parole du ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux

De ce côté, le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires a confirmé à ONFR attendre avec impatience l’examen du rapport du comité.

« En ce qui concerne la prévention de la violence contre les femmes et les enfants ainsi que l’aide aux survivantes, le gouvernement se concentre sur des actions qui produisent des résultats concrets et tangibles », a partagé le porte-parole du ministère par échange de courriels.

Affirmant également être impliqué dans le financement de plusieurs programmes et projets pour soutenir les services de lutte contre la violence fondée sur le genre, le ministère a déclaré : « Dans le cadre de la prochaine phase, le 16 août dernier, nous avons lancé un appel à propositions pour des programmes communautaires visant à prévenir et à traiter la violence fondée sur le genre. Le financement de cet appel à propositions est d’environ 100 millions de dollars sur trois ans, et les candidats retenus devraient être annoncés à la fin de l’automne. »

Des solutions immédiates à mettre en œuvre

Dans une entrevue accordée à ONFR, la députée Kristyn Wong-Tam souligne qu’après dix jours de consultations dans le cadre de la première phase de cette étude, un travail considérable reste à accomplir.

« Il est demandé au gouvernement de recueillir de meilleures données et d’investir dans un financement adéquat du système judiciaire. Certaines organisations appellent à davantage de campagnes d’éducation et de sensibilisation du public dès le plus jeune âge, car nous savons que la violence est évitable grâce à des indicateurs précoces », estime-t-elle.

Le commissaire à la protection de la vie privée de l’Ontario a publié de nouvelles lignes directrices à l’intention des professionnels de la violence conjugale. Cette initiative fait suite à l’enquête du coroner sur les décès de Carol Culleton, Anastasia Kuzyk et Nathalie Warmerdam en 2015 dans le comté de Renfrew, qui a conduit à 86 recommandations pour améliorer le traitement des cas de VPI. Photo : Canva

Les données sur la violence conjugale en Ontario sont préoccupantes : en 2022, plus de 38 000 incidents de violence conjugale ont été signalés à la police. Plus récemment, la police de Sudbury a rapporté à CBC qu’elle reçoit plus de 100 appels liés à la violence conjugale chaque semaine, tandis que la police d’Ottawa a confirmé qu’elle répond à plus de 500 appels de ce type chaque mois. Depuis janvier 2024, plus de 4 300 appels ont été traités.

Un nouvel outil pour aider les intervenants

La commissaire à l’information et à la protection de la vie privée Patricia Kosseim et son bureau ont été chargés, dans l’une des 86 recommandations issues de l’enquête de Renfrew en 2022, de développer un outil en langage clair destiné aux professionnels œuvrant dans le domaine de la violence conjugale, afin qu’ils puissent prendre des décisions éclairées concernant la confidentialité et la sécurité publique. Cet outil, lancé en août 2024, vise à guider les intervenants dans des situations où le consentement des victimes n’est pas possible.

Selon Mme Kosseim, de nombreuses victimes ont été consultées lors de l’élaboration de ce document. Leurs témoignages ont permis d’incorporer des éléments liés à la méfiance envers le système ainsi qu’aux obstacles culturels et linguistiques.

Patricia Kosseim est commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario. Photo : CIPVP

Pour ce qui est du projet de loi 173, « le débat est très intéressant, pense-t-elle. D’une part, il traite la question de si oui ou non, nous devrions en Ontario déclarer la violence conjugale comme étant une épidémie. Mais, aussi important, c’est de savoir quoi faire par la suite, d’organiser les ressources et passer à l’action. »

D’après la commissaire, ce nouvel outil de langage simple est une première pierre à l’édifice.

Des organismes à bout de souffle

Les organismes de lutte contre la violence faite aux femmes réclament davantage de financement pour les refuges, le counseling et les programmes de prévention. À Toronto, Dada Gasirabo, directrice d’Oasis Centre des femmes, constate une augmentation des cas de violence conjugale depuis la pandémie.

« Non seulement la violence a augmenté, mais elle a aussi changé de forme, avec des manifestations que nous n’avions pas observées auparavant »
— Dada Gasirabo

En 2022, 184 femmes ont été tuées en Ontario et, plus récemment, 46 femmes ont été assassinées entre novembre 2023 et juillet 2024. « C’est une épidémie, et le gouvernement provincial banalise cette situation », déclare-t-elle.

Dada Gasirabo travaille dans le secteur de la violence faite aux femmes avec Oasis Centre des Femmes et Action Ontarienne Contre la Violence Faite aux Femmes (AOCvF). Elle est directrice générale du Centre Oasis à Toronto. Photo : Gracieuseté de Dada Gasirabo

Selon Dada Gasirabo, les ressources sont inégalement réparties. Par exemple, à Toronto, les femmes francophones n’ont accès qu’à deux ressources spécifiques pour elles.

« Cela nous dépasse, avoue-t-elle. Parfois, on se sent impuissants, incapables de trouver des places pour certaines femmes. C’est impensable de dire à une femme de retourner d’où elle vient. »

Enfin, pour la directrice, il est crucial de démontrer que la violence est véritablement endémique en mesurant son impact à travers les générations.

« Nous voyons des enfants qui ont été exposés à la violence ou en ont été victimes dans leur enfance. Dans 32 % des cas, ces enfants deviennent à leur tour des abuseurs, infligeant de la violence à leur propre famille ou partenaire. Cela illustre bien la transmission intergénérationnelle de la violence. »