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Violence scolaire à son paroxysme : une enseignante témoigne

« Il y a toujours eu des actes de violence isolés dans les écoles mais c’était exceptionnel. Ça a fini par l’être de moins en moins », dit Marie-Hélène, enseignante francophone dans la région d'Ottawa. Elle estime avoir été frappée, dans sa carrière, par 5 à 6 jeunes en tout, et insultée par une vingtaine d’élèves.

Trois quarts des enseignants et des travailleurs en éducation ontariens ont été victimes de violence l’année dernière selon un rapport. La violence scolaire des élèves envers les professeurs exploserait de la maternelle au secondaire, selon l’AEFO qui a fourni à ses membres des équipements de protection en kevlar de la tête aux pieds. Une enseignante francophone témoigne des agressions physiques et verbales répétées qu’elle a subies.

Marie-Hélène*, qui a enseigné pendant 25 ans dans la région d’Ottawa à la fois en classe régulière et en classe d’éducation spécialisée, est enseignante suppléante depuis sa récente retraite.

Elle estime avoir été frappée, dans sa carrière, par cinq à six jeunes en tout, de 4 à 8 ans et insultée par une vingtaine d’élèves, de 3 à 13 ans.

« Il y a toujours eu des actes de violence isolés dans les écoles, mais ce qui était exceptionnel a fini par l’être de moins en moins. » Un constat amer pour celle-ci.

En 2017, elle est contrainte de changer d’établissement après un incident. Dans l’un des cas de violence physique, un enfant la frappait sept à huit fois par jour aux jambes, aux mains et au dos, revenant à la maison endolorie par les coups. Un autre jeune lui courait fréquemment après pour la frapper.

« J’étais bouleversée de m’entendre dire : ‘Arrête de venir nous voir, tu n’auras pas d’aide’. C’était épouvantable. »
— Marie-Hélène, enseignante francophone

Un jour, après une énième tape à son encontre, et à celle de plusieurs autres élèves, à bout, elle réplique en lui tapant sur la main et s’attire les foudres de sa direction.

Fragilisée psychologiquement, elle est contrainte de prendre un congé maladie prescrit par son médecin, puis de changer d’école.

« Malgré la détresse quotidienne que je vivais, je n’avais aucun soutien de mes supérieurs, déplore-t-elle. Je demandais pourtant de l’aide à chaque fois. J’étais bouleversée de m’entendre dire ‘Arrête de venir nous voir, tu n’auras pas d’aide’. Je savais que c’était inacceptable d’endurer ça. C’était épouvantable. »

Même engagée ailleurs, elle est de nouveau confrontée à sept élèves violents envers d’autres élèves, mais avec, cette fois, « un soutien et une oreille attentive de la direction ».

« Les établissements sont toutefois démunis quant aux solutions. Quand on doit sortir la classe face à un jeune en crise, ça pénalise les autres élèves dans l’apprentissage. Les formations sont bénéfiques, mais ne règlent pas l’origine du problème. »

Déni des parents et des autorités scolaires, classes surchargées, manque de ressources et non prise en charge des besoins spéciaux individuels… Autant d’ingrédients qui conduisent à banaliser la violence physique et verbale, regrette-elle.

« Pourquoi ne voit-on pas des panneaux dans les écoles ‘Aucun acte de violence ne sera toléré’ ? On voit ça partout ailleurs, dans les transports en commun par exemple. Pourquoi nous les enseignants, on devrait tolérer ça ? », questionne-t-elle.

« C’est une belle profession avec des gens engagés qui ont l’éducation des enfants à cœur. Mais il y a malheureusement un épuisement. La plupart des jeunes enseignants ne pratiquent pas plus de cinq ans, car la charge est plus lourde d’année en année. Ce n’est pas juste d’ajouter toujours plus à la charge des enseignants ».

Du matériel de protection « de la tête aux pieds »

Le rapport Au bout du rouleau de l’Université d’Ottawa du printemps 2025 révèle que les trois quarts du personnel enseignant répondant ont vécu de la violence dans la dernière année (71 % ont subi au moins une tentative de recours à la force physique initié par un élève, et 80 % ont subi un ou plusieurs actes, tentatives ou menaces de recours à la force physique), et que la fréquence moyenne a plus que doublé entre 2018 et 2023 (de 8,8 à 18,4 incidents).

« On le sait, on l’entend de nos membres. On parle d’injures et de violence physique dès la maternelle jusqu’à la fin du secondaire », confirme en entrevue avec ONFR Gabrielle Lemieux, la présidente de l’AEFO.

Protections en kevlar : « Toutes les écoles en sont équipées. C’est grave d’en arriver là. »
— Grabrielle Lemieux, présidente de l’AEFO

L’AEFO a fourni des équipements de protection en kevlar pour les enseignants et les travailleurs en éducation : casquettes en kevlar, protection de tibias, de bras, épaulettes, souliers à câble d’acier pour se protéger des morsures. « Toutes les écoles en sont équipées. C’est grave d’en arriver là, alarme-t-elle. C’est une réponse temporaire et pas une solution durable. »

Et d’enchérir : « On parle aussi de résurgence du mot en ‘n’ envers les enseignants racialisés. C’est plus qu’inquiétant, c’est troublant. »

« Les réseaux sociaux y sont sûrement pour beaucoup. La violence a bon train en ligne : cachés derrière un écran, les jeunes ne voient pas les conséquences morales et humaines. La pandémie a ouvert les vannes du monde digital peu monitoré. »

Soit l’hypothèse d’une perte des nuances et du filtre réalité, des barrières imposées par le monde réel et de l’école.

L’AEFO, qui a fait plusieurs demandes vaines d’entretien avec le ministre de l’Éducation, Paul Calandra, juge qu’il manque 1500 $ d’investissement par élève à combler. « On n’a pas injecté les ressources financières pour venir appuyer ces enseignants et livrer efficacement les programmes. »

Sa présidente estime indispensable la formation du personnel à la désescalade, à la gestion des comportements difficiles, de même que l’introduction dans les écoles d’intervenants en apprentissage et de professionnels, psychothérapeutes et travailleurs sociaux, pour adresser les défis des élèves.

Dès l’automne dernier, du personnel enseignant s’était rendu à Queen’s Park, vêtu de ce fameux matériel de protection, accompagné des députés néo-démocrates Chandra Pasma (Ottawa-Ouest-Nepean) et Jamie West (Sudbury) : « Nous nous sommes joints à six syndicats du secteur de l’éducation pour demander au gouvernement de mettre en œuvre un plan d’urgence. Les élèves et le personnel méritent d’être à l’abri de la violence à l’école ».

Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement Ford a retiré 6,36 milliards de dollars des salles de classe de nos enfants, dénonce le NPD.

Le député libéral d’Ottawa-Sud, John Fraser, a lui aussi pris position : « La véritable solution serait que le gouvernement réduise la taille des classes, aide des enfants ayant des besoins particuliers et élabore un plan concret pour faire face à la crise de santé mentale croissante à laquelle nos enfants sont confrontés. »

Malgré plusieurs sollicitations, le ministre Calandra n’a pour l’heure pas donné suite à nos demandes d’entrevue.

*Marie-Hélène est un nom d’emprunt, cette enseignante ayant requis l’anonymat pour sa sécurité.