Vivre avec le VIH en Ontario : le casse-tête pour des services en français
La Journée mondiale du sida met en lumière, chaque 1er décembre, les nombreux obstacles que doivent surmonter les personnes vivant avec le VIH, en matière de stigmatisation, de dépistage, d’accompagnement et de traitement… En Ontario, un autre s’ajoute : l’accès à des ressources en français, partout en province.
Plus de 63 000 personnes sont affectées au Canada. En Ontario, les chiffres varient du simple au double. L’Initiative ontarienne d’épidémiologie et de surveillance du VIH (OHESI) évaluait ce chiffre à 16 100, en 2015. Le Réseau ontarien de traitement du VIH à 31 000, en 2014. Un millier de nouveaux diagnostics ont été comptabilisés dans la province en 2018.
Bref, le VIH est un enjeu de santé publique manifeste. Mais alors qu’une grande partie du combat se joue dans la prévention et l’éducation, le déficit de services en français par rapport à l’offre en anglais laisse perplexe. C’est le constat que font plusieurs intervenants du milieu.
Ron Rosenes connaît bien les deux facettes linguistiques de l’accompagnement des personnes vivant avec le virus. Ce militant de longue date fait partie du Groupe de travail francophone en matière de VIH à Toronto.
Selon lui, « les grands organismes anglophones ont toujours de la difficulté à offrir des services en français. Ça nécessite l’existence d’organismes francophones, car le besoin est toujours là pour les gens qui préfèrent avoir des services dans leur langue. »
Des services en français centrés sur Toronto
D’autant que leur référencement s’est considérablement amélioré, juge-t-il : « Les organismes redirigent les gens beaucoup plus facilement qu’avant vers les structures mieux préparées à offrir des services en français. »
Cependant, ces structures sont majoritairement implantées à Toronto.
Spécialisé dans la prévention, le soutien psychologique et administratif, Action positive voudrait étendre ses services ailleurs en province, mais ne dispose par de moyens suffisants pour créer des bureaux satellites et embaucher du personnel supplémentaire.
Autre acteur majeur, le Centre francophone du Grand Toronto propose lui-aussi des services de santé orientés sur le VIH. Deux gestionnaires de cas interviennent auprès de la communauté afro-caribéenne et noire, des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et des femmes à risque, trois populations cibles.
« Il reste encore beaucoup à faire »
Conscient de l’importance de mailler le territoire, le ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario finance des programmes de ces deux organismes torontois, ainsi que deux autres : le Réseau ACCESS Network, à Sudbury, et le Centre communautaire Sandy Hill, à Ottawa. Coût total de l’investissement provincial : 1,4 million de dollars en 2019-2020.
Sur la même période, le ministère a alloué 4,2 millions de dollars de financement à dix autres organismes offrant régulièrement des programmes en français à Timmins, Toronto, Ottawa et St. Catharines.
Mais un constat demeure : mieux vaut habiter une grande ville pour espérer recevoir correctement des services en langue française.
« L’impact continu de l’épidémie en Ontario suggère qu’il reste encore beaucoup à faire dans toutes les communautés touchées par le VIH », admet un porte-parole du ministère.
Si aucune statistique précise n’existe en terme linguistique, une étude observationnelle, menée depuis 1996, révélait, en 2017, que 3,7 % des participants avaient rempli le questionnaire en français ou indiqué qu’ils parlaient français à la maison.
Cette donnée ontarienne, non-exhaustive, permet de quantifier en partie les besoins dans la communauté auprès d’une population en proie à la stigmatisation.
La stigmatisation toujours là
À la difficulté d’accès à des services en français s’ajoute, pour les personnes vivant avec le VIH, la barrière des préjugés. Les mentalités ne semblent pas évoluer à la même vitesse que la science.
« La compréhension et l’acceptabilité progresse : il y a de plus en plus de connaissance dans les communautés à haut risque », évalue Ron Rosenes. « Mais il reste du travail à faire dans le grand public qui n’a pas encore appris, par exemple, ce que sont des concepts essentiels comme « i=i » (indétectable = intransmissible). »
Cette formule signifie qu’une personne ayant le VIH peut avoir des relations sexuelles sans transmettre le virus en prenant un traitement qui maintient sa charge virale indétectable. Lorsque le VIH est indétectable, il est intransmissible.
« C’est une évolution qui change la dynamique entre les gens positifs et les gens négatifs », souligne le militant. « Ça brise les murs et ça facilite les relations sexuelles », dit-il rappelant que le préservatif est un outil de prévention majeur avec la prophylaxie, un médicament qui prévient l’acquisition du virus.
« On a plus que jamais des moyens différents de se protéger, non seulement contre le VIH mais aussi des autres maladies sexuellement transmissibles. » L’éducation et la prévention sont donc la clé.
Le cas des femmes immigrantes africaines
Un récent panel de discussion à l’initiative d’Action positive a, entre autres, apporté un éclairage complémentaire sur une réalité moins connue, celle des femmes, en se basant sur les chiffres de plusieurs études.
Un quart des nouvelles infections touche les femmes et ces nouvelles infections touchent de façon disproportionnée les personnes nées dans les pays où le VIH est endémique.
Les immigrantes africaines sont donc très exposées au VIH mais aussi à une stigmatisation extrême, a expliqué l’une des panélistes.
« Il y a comme une peur, une honte », a expliqué la militante Kadidja Moné. « Avoir un partenaire, c’est dévoiler son statut. Ces femmes préfèrent rester seules. On traverse tout un tas d’émotions quand on apprend qu’on a le VIH, et en plus, il y a une hostilité des gens qui ne cherchent pas à comprendre, car il ont des croyances ou des préjugés. »
« Quand on dit séropositive, ils pensent tout de suite que c’est une prostituée, mais on ne connaît pas son histoire. Elle a peut-être été violée, agressée. La femme a ça dans la tête. C’est une forme d’auto-stigmatisation qui rend la reprise d’une relation souvent très difficile. »