Vivre dans une région non désignée : le défi de certains francophones
SUDBURY – Quelque 20 % des Franco-Ontariens n’ont toujours pas la possibilité de recevoir des services gouvernementaux en français. Alors que l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) veut profiter de son congrès annuel à Sudbury pour passer la vitesse supérieure dans ce dossier, ONFR+ a rencontré des francophones vivant dans une région non désignée en vertu de la Loi sur les services en français (LSF).
Thunder Bay, Sarnia, Oshawa, Vaughan, Peterborough, autant de villes où la loi symbolique votée en 1986 ne s’applique toujours pas. De là à changer la vie des citoyens sur le terrain?
Laïla Faivre, coordonnatrice du soutien à la communauté et aux étudiants à l’École de médecine du Nord de l’Ontario, a fait le déplacement pour le congrès annuel de l’AFO à Sudbury. Un endroit où elle espère trouver des réponses pour une refonte de la LSF.
C’est d’ailleurs demain, lors de son assemblée générale annuelle, que l’organisme porte-parole des Franco-Ontariens présentera à ses membres le document de la modernisation de la LSF qu’il compte dévoiler au gouvernement ontarien. Un texte qui comprend, entre autres, la possibilité d’être servi en français partout dans la province.
« À Thunder Bay, on ne peut pas demander du service en français. C’est vraiment gênant », laisse entendre Mme Faivre, une immigrante française installée dans le Nord depuis peu.
« La dernière fois que je suis allée à ServiceOntario pour mon permis de conduire, la seule personne qui pouvait me servir en français n’était pas au bureau. Je leur ai expliqué que tous mes documents sont en français et on m’a répondu qu’ils ne pouvaient pas les traiter. »
Et pour cause : les documents que Mme Faivre avaient besoin de présenter comprenaient son permis de conduire français et ses preuves de résidence.
« Lorsque la femme au comptoir a tenté de m’aider, elle a fait une erreur dans mon dossier en me demandant de faire un test de conduite. Donc, il a fallu refaire tous mes papiers et tout recommencer. »
La barrière de la langue n’a pas permis aux deux femmes de se comprendre. D’autant que les immigrants français sont exemptés de l’examen du permis de conduire canadien. Des frais occasionnés pour rien et surtout du temps perdu pour Mme Faivre.
Particularité du nord-ouest de l’Ontario, beaucoup de villes marquées par le fait francophone comme Geraldton, Longlac et Marathon sont désignées. Malgré ses 2 500 francophones de langue maternelle, Thunder Bay ne bénéficie pas de ce statut.
Des employés francophones… qui ne doivent pas parler français
Achille Fossi connaît bien aussi ces différents manques. Le président de l’Assemblée des communautés francophones de l’Ontario de Durham-Peterborough (ACFO-DP) représente des milliers de francophones qui ne vivent pas dans une zone désignée.
« Une francophone rapportait récemment s’être rendue au bureau de ServiceOntario. Au guichet, il y avait une volonté de la part d’une francophone de la servir en français. Elle est allée à l’arrière parler à son supérieur, qui lui a dit que ce n’est pas possible de parler en français. Ils ne sont pas tenus de le faire. »
La grande municipalité régionale de Durham n’est toujours pas assujettie à la LSF. Incapables de convaincre les élus d’aller dans le sens d’une désignation, les militants francophones s’étaient résolus il y a quelques années à mettre tous leurs efforts simplement sur Oshawa. Là encore sans succès.
« Beaucoup de personnes ne peuvent pas officiellement servir en français, alors que si un signal est envoyé, que Durham est désigné, c’est dans l’avantage de tous ces partenaires économiques de promouvoir les services en français. »
Autre municipalité qui n’est pas désignée en vertu de la LSF : Vaughan. Plus de 2 000 francophones y résident. Selon Statistique Canada, une centaine d’entre eux ne maîtriseraient pas l’anglais.
Nadia Martins, la directrice générale de l’Association des francophones de la région de York (AFRY), l’illustre.
« Quand tu arrives dans un pourvoyeur de services gouvernementaux de la province, ils n’ont aucune obligation, donc même si tu demandes, il y a une réaction comme « Pourquoi tu me demandes ça? ». Il n’y a pas une connaissance de ces gens-là de dire aux francophones de Newmarket ou de Vaughan, lesquelles ne sont pas désignées, d’aller à Markham où il y a les services en français [Markham est située à environ 20 kilomètres de Vaughan et 30 km de Newmarket]. »
Et de poursuivre : « On parle beaucoup de l’exode des jeunes, mais pas de l’exode des aînés. Ils arrivent à un âge pour certains où ils doivent avoir plus de services en français, surtout s’il y a de la démence, alors ils partent dans d’autres régions où les services en français sont là. »
Un frein à l’immigration
À quelques centaines de kilomètres, Sarnia aimerait depuis longtemps devenir une région désignée. Ils sont environ plus de 1 500 à y posséder le français comme première langue officielle parlée. Et les militants francophones de l’endroit, à l’image de Tanya Tamilio, misent beaucoup sur l’immigration.
« On a créé un comité local pour l’immigration francophone, en disant aux gens de venir à Sarnia, alors qu’on n’est pas désigné. Quand les immigrants francophones arrivent, ils ont besoin du permis de conduire ou de la carte de résidence, mais les services ne sont pas là. »
Mais la présidente du Centre communautaire francophone de Sarnia-Lambton reste optimiste. « La désignation va peut-être venir, on ne sait pas. »
Article écrit avec la collaboration de Didier Pilon