WE Charity : les francophones relégués au second rang?
OTTAWA – Si l’organisme WE Charity avait bel et bien géré la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant, les francophones auraient-ils eu droit à un service de la même qualité? Plusieurs faits rapportés jettent un doute, estiment plusieurs intervenants, qui jugent que cet aspect a encore été négligé par le gouvernement Trudeau.
Selon les informations dévoilées par le quotidien québécois, La Presse, jeudi, le groupe de bienfaisance WE Charity, choisi par le gouvernement Trudeau pour gérer la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant, prévoyait de faire appel à la firme de relations publiques National pour l’aider à accomplir sa mission auprès du public francophone.
« National a été mandaté par WE Charity pour un mandat de communication, afin de supporter l’organisation pour la promotion du programme de Bourses canadiennes de bénévolat étudiant, au Québec et dans les communautés francophones canadiennes. Plus précisément, notre travail consistait à soutenir la communication auprès d’étudiants bénévoles et d’organismes à but non lucratif. Le mandat comprenait également le développement de contenu en français, la veille médiatique saillante et la rédaction de contenu pour les réseaux sociaux », précise une porte-parole de National, Chantal Benoît, dans un échange de courriels avec ONFR+.
Si finalement, le gouvernement a été obligé de revoir ses plans, après que soient révélés des liens entre WE Charity et plusieurs proches du premier ministre Justin Trudeau et du ministre des Finances, Bill Morneau, plusieurs questions demeurent.
« On peut se poser des questions sur la qualité du service qui aurait été offert aux francophones, puisque manifestement WE Charity n’avait pas la pleine compétence d’offrir un service en français, raison pour laquelle il a fait appel à National », interroge le politologue à l’Université d’Ottawa, Martin Normand. « Mais National est une firme de relations publiques. Ils ne sont pas équipés ni n’ont le réseau et l’expérience de terrain pour gérer un tel programme. »
WE Charity rétorque que le rôle de National n’aurait pas été de gérer le programme en français, mais que, compte tenu de l’importance d’aller rapidement, la firme de relations publiques l’aurait aidé à s’assurer de rejoindre les jeunes francophones à travers le pays.
« Nous avons recruté des partenaires et des vendeurs à travers le pays », se défend l’organisme qui ajoute que « les francophones auraient eu le même niveau de service » et rappelle que WE Charity est déjà bien implanté au Québec.
Mais ni WE Charity ni National n’ont toutefois indiqué avoir déjà travaillé avec les communautés francophones à l’extérieur de la Belle province.
Encore beaucoup de questions
Le gouvernement savait-il que WE Charity devrait passer par une autre entreprise pour l’aider à rejoindre les francophones?
La porte-parole de la ministre de la Diversité et de l’Inclusion et de la Jeunesse, Bardish Chagger, Dani Keenan, assure que le programme « était bilingue, accessible et inclusif et disponible partout dans le pays », mais ne précise pas si l’intervention de National était connue de la ministre ou du gouvernement.
« Dans le cadre d’un accord de contribution, le gouvernement établit les paramètres de financement de haut niveau, y compris les objectifs des programmes et des politiques, les résultats souhaités, les dépenses admissibles et la mesure du rendement. Le bénéficiaire est responsable de la conception et de l’exécution du projet conformément aux objectifs et aux résultats énoncés dans l’entente. »
En sous-traitant une telle partie, remarque M. Normand, National n’aurait pas été imputable auprès du gouvernement, mais seulement auprès de WE Charity.
« Cela pose beaucoup de questions, car s’il est avéré que le gouvernement savait que WE Charity ferait appel à National, ça veut dire qu’il acceptait que la qualité soit moindre pour les francophones, que ceux-ci soient relégués au second rang. Si WE Charity avait du mal à offrir le service en français, pourquoi ne pas avoir donné cette partie-là directement à un autre organisme mieux connecté aux francophones et plus expérimenté, comme la Fédération de la jeunesse canadienne-française, par exemple? »
Pour Stéphanie Chouinard, politologue au Collège militaire royal du Canada, dès le départ, WE Charity n’aurait pas dû se qualifier pour administrer le programme de 900 millions de dollars.
« Le fait qu’il n’ait pas la capacité de servir toute la population canadienne dans les deux langues officielles aurait dû, en soi, être un facteur déterminant pour le disqualifier du processus de sélection. »
Une analyse qui contredit également les propos du gouvernement jugeant que WE Charity était le seul et le meilleur organisme pour gérer ce programme, ajoutent les deux politologues.
La nécessité d’une lentille francophone
Selon Mme Chouinard, cette affaire montre une nouvelle fois que le gouvernement Trudeau et la fonction publique n’ont pas le réflexe de considérer l’impact d’un nouveau programme sur les deux langues officielles.
« Ce n’est pas la première fois pendant la COVID-19. On l’a vu avec l’étiquetage unilingue anglophone qui a été jugé acceptable », rappelle-t-elle. « On a déjà implanté l’analyse comparative fondée sur le sexe et le genre depuis quelques années pour s’assurer de prendre en compte l’impact des programmes fédéraux sur différents groupes. Pourquoi ne pas y ajouter les langues officielles? »
Cette revendication, la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada la fait depuis plusieurs années. Le porte-parole aux langues officielles pour le Parti conservateur du Canada, Chris d’Entremont, appuie cette demande et presse le gouvernement d’agir.
« Cette situation est inacceptable et montre, une nouvelle fois, à quel point il devient urgent de moderniser la Loi sur les langues officielles pour éviter que de telles choses arrivent. Nous sommes prêts à travailler là-dessus. Le gouvernement doit agir. Tous les ministères devraient être conscients de leurs obligations linguistiques et je pense que transférer la responsabilité de l’application de la Loi sur les langues officielles au Conseil du Trésor pourrait aider. »