Doug Ford se vante de séjourner dans « la capitale francophone des États-Unis »
TORONTO – Depuis la côte floridienne, Doug Ford a continué d’échanger avec les Ontariens pendant la période des fêtes, son téléphone cellulaire en main. Le premier ministre affirme ainsi entretenir un lien privilégié avec les citoyens, dont bon nombre de Franco-Ontariens, ce que des observateurs remettent en doute.
ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg
Nicholas Lebel a depuis quelques mois une fiche peu commune dans ses contacts téléphoniques : « Doug Ford ». Sur une base régulière, il fait parvenir ses commentaires au premier ministre sur l’une ou l’autre de ses décisions. S’il a partagé par ce canal ses critiques concernant les coupes francophones, il lui a aussi fait parvenir ses vœux du temps des fêtes.
« Merry Christmas! Joyeux Noël, M. Ford! », a écrit le Franco-Ontarien de 18 ans au premier ministre, le 25 décembre.
À sa grande surprise, le premier ministre lui a rapidement répondu. « Joyeux Noel. To you and your family. Wishing you a happy healthy and prosperous New Year. I am in the francaphone [sic] capital of the United States celebrating the Holidays with many friends from Quebec. All the best, Doug », a écrit le premier ministre à Nicholas Lebel.
Dans un message vocal adressé à un autre citoyen, le 26 décembre, Doug Ford explique qu’il séjourne à Hollywood pour le temps des fêtes et qu’il croise par le fait même de très nombreux « amis québécois ». La municipalité floridienne est reconnue comme étant un repaire pour de nombreux « snowbirds » québécois qui y passent l’hiver, rappelle le premier ministre ontarien dans son message.
Nicholas Lebel apprécie de pouvoir échanger avec le premier ministre ontarien par l’entremise de son téléphone. Mais sa réponse n’était que de la poudre aux yeux, renchérit-il, du même souffle.
« D’une part, je suis heureux qu’il ait finalement répondu à un de mes textos et m’ait souhaité un joyeux Noël. Mais, le fait qu’il est en Floride, la capitale de la francophonie aux États-Unis, comme il dit, ou qu’il soit avec des Québécois ne fait rien pour les francophones en Ontario », affirme l’étudiant passionné par l’univers politique. « Ça ne règle toujours pas que nous n’avons pas d’université de langue française ou de commissariat indépendant aux services en français », précise-t-il.
Doug Ford mise depuis quelques mois sur son cellulaire pour tenter d’avoir un échange avec les Franco-Ontariens. Lors des compressions francophones de novembre, il a tenté de justifier ses actions. Mais plutôt que de calmer le jeu, il a amplifié la crise. #ONfr avait, en effet, rapporté que Doug Ford avait alors comparé les Franco-Ontariens aux autres minorités ethniques du pays, sans tenir compte de leur apport historique et de leur place particulière dans un pays bilingue.
La démocratie du « texto »
Transmettre ses messages aux Ontariens en contournant le « filtre » des médias, Doug Ford tente d’atteindre ce but en invitant les citoyens à le contacter directement sur son numéro de cellulaire. Une méthode utilisée par la famille Ford depuis plusieurs années.
Mais à la différence de Rob Ford, qui était maire de Toronto, Doug Ford est premier ministre. Une différence importante, selon le politologue de l’Université d’Ottawa, Martin Normand. Selon lui, le premier ministre doit répondre aux citoyens, mais pas seulement.
« En théorie, c’est positif d’avoir un accès plus direct au premier ministre. Mais il peut y avoir des dérives, c’est le cas avec les textos. Ça vient cimenter l’idée que Doug Ford ne veut rien savoir des intermédiaires. Il semble croire que le pouvoir, c’est lui, et qu’il est redevable exclusivement au peuple. L’élimination du commissaire à l’environnement, celui aux services en français et de l’intervenant à l’enfance, c’est lié à ce désir. Il se dit non redevable à des gens non élus », affirme-t-il.
Pour M. Normand, cette stratégie de communication du premier ministre pose un autre problème.
« Il y a une question de transparence en matière d’accès à l’information. On ne sait plus si on est dans la communication personnelle ou encore gouvernementale. Si c’est un outil public, alors on devrait savoir qui communique avec lui et quelles sont ses réponses. On devrait pouvoir avoir accès aux transcriptions », explique le politologue.
La libérale Marie-France Lalonde affirme qu’à titre d’élu, il n’y a rien de mal à vouloir échanger avec les citoyens, de prime à bord.
« L’ancienne première ministre de l’Ontario [Kathleen Wynne] retournait aussi des appels. C’est normal pour un élu de retourner nos appels, de faire des suivis, d’être à l’écoute des gens », dit-elle d’entrée de jeu. Mais elle s’inquiète cependant du comportement du nouveau premier ministre. « Être proche des gens, c’est être prêt à écouter autant les gens qui t’appuient que ceux qui ne sont pas d’accord avec toi. Mais on entend dernièrement que si un citoyen l’appelle trop souvent ou qu’il le critique, des membres du bureau du premier ministre vont rappeler le citoyen pour lui dire de ne plus appeler. On entend même des histoires où la police serait intervenue », dénonce l’élue, qui doute donc de la représentativité des opinions qui parviennent aux oreilles du premier ministre.