Réjean Ouimet, l’homme derrière la Fromagerie St-Albert
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
ST-ALBERT – Début 2013, Réjean Ouimet rendait son tablier de directeur général de la Fromagerie St-Albert. Une retraite bien méritée, comme le veut la traditionnelle expression, commençait alors. C’était sans prévoir la destruction du bâtiment, la même année, et des travaux colossaux pour donner une seconde vie à la Fromagerie. Six ans plus tard, M. Ouimet est toujours là, mais à titre de directeur adjoint. En marge du Festival de la Curd, qui se déroule sur le site de la coopérative, rencontre avec cet infatigable Franco-Ontarien.
« La 26e édition du Festival de la Curd a débuté ce mercredi. On se doute que vous êtes sur place.
C’est sûr, je n’ai jamais manqué cela. Ça fait 25 ans que je suis toujours présent! Le festival a vraiment évolué. Avant, on faisait ça le samedi et le dimanche. Ils ont commencé à rallonger d’une journée; après, ils ont mis le bingo et le spectacle d’humour, et le festival a commencé donc le mercredi!
Cette année est particulière, puisque c’est le 125e de cette coopérative qu’est la Fromagerie St-Albert. Rappelons que la fromagerie avait ouvert le 8 janvier 1894. Qu’est-ce que cela représente pour vous?
D’abord, que c’est une coopérative qui a toujours appartenu aux francophones! 125 ans d’histoire, c’est beaucoup de sacrifices. Si on réussit aujourd’hui, c’est grâce aux aînés, aux dix fondateurs qui ont permis que ça prenne de l’ampleur à travers l’histoire.
Jean-Baptiste Ouimet, votre arrière-grand-père, était d’ailleurs l’un de ces dix fondateurs.
Oui! C’était un cultivateur, un fermier! Quand on regarde les photos, on voit qu’il ne rigole pas beaucoup (rires).
Si vous deviez justement résumer les grands moments de l’histoire de la Fromagerie, lesquels choisiriez-vous?
Ça a commencé bien gros quand le fromage a été livré dans la région d’Ottawa et Gatineau dans les années 70. Avant, le fromage était acheté directement à la coopérative. Le monde venait ici le dimanche et achetait le fromage.
En 1995, on a acheté des camions, ce qui nous a permis de contrôler la distribution. Avant, c’était des distributeurs indépendants qui achetaient le fromage et le vendaient à leur guise. Dans les années 95 à 2000, on a commencé à produire de nuit pour que le fromage soit livré avant midi. Le fromage devait être livré le plus tôt possible. Pas facile de convaincre les employés de travailler de nuit!
Il y a eu, bien sûr, aussi l’incendie de la Fromagerie en février 2013; je n’oublierai jamais celle-là! C’était quelque chose de bien dur dans la première semaine, mais après, tout le monde s’est retroussé les manches. Les gens nous ont bien supportés!
Ce 3 février 2013, comment avez-vous appris que la Fromagerie était en flammes?
Je passais la 417 à Limoges, il était 9h le matin. J’ai eu un coup de fil d’Éric Lafontaine, le directeur général de la Fromagerie, qui me dit alors que le bâtiment est en flammes. J’ai pesé sur la pédale. En arrivant sur place, j’ai compris qu’il n’y avait rien à faire. C’était une bâtisse de 1949-1950, toute en bois! C’était la désolation. Ça te fait pleurer… (Ému). Des souvenirs partis en flammes! C’est comme une famille qui s’arrête, mais il y a des choses pires. Au moins, il n’y a pas eu de morts et de blessés.
Qu’est-ce que ça a changé pour vous?
Après avoir quitté la direction générale officiellement le 1er janvier 2013, j’étais supposé travailler seulement deux jours par semaine. Après l’incendie, j’ai travaillé finalement deux ans à temps plein pour la déconstruction des machines brûlées, le nettoyage. Depuis 2015, je suis là deux jours par semaine. Je fais toutes sortes d’affaires. Par exemple, pour le Festival de la Curd, je les aide à faire des travaux manuels, je fais des présentations de la fromagerie.
Cet incendie, est-ce que c’était finalement un mal pour un bien?
(Il réfléchit). C’est vrai! Quand on voit où on est rendu, c’était un mal pour un bien! Le problème, c’est que nous n’avions pas toutes les assurances, nous n’étions pas des spécialistes et on ne le savait pas! On a dû dépenser huit millions de dollars nous-mêmes pour la reconstruction parce que tout n’était pas pris en charge [Le coût final des travaux s’élevait à 38 millions de dollars].
On vous connaît en tant qu’ancien directeur général de la Fromagerie de 1995 à 2013, mais quel a été votre parcours auparavant?
J’ai acheté la ferme de mon père en 1969, j’ai gardé ça sept ans. Plus tard, j’ai été propriétaire d’un abattoir, puis j’ai travaillé avec la Coop fédérée jusqu’en 1992. En 1994, la Fromagerie cherchait un gérant et j’ai mis mon nom. J’ai passé des entrevues comme tout le monde et finalement, ils m’ont embauché le 25 mars 95. C’était un gros défi, car je ne faisais pas de fromages!
Quand je suis arrivé ici, il y avait une douzaine de personnes dans la production. Quand je suis parti, il y en avait 130! Maintenant, c’est près de 200!
Quelle a été la plus grosse amélioration à effectuer quand vous êtes entré en fonction?
Le conseil d’administration voulait automatiser la production. Moi, je suis un gars qui va de l’avant; le défi c’était alors de trouver les bons équipements, que les travailleurs bossent moins physiquement! Les femmes emballaient le fromage en grains à la main, elles étaient huit… Donc, on a automatisé la production!
C’était possible d’augmenter les ressources humaines tout en automatisant la production?
Oui, car on avait alors plus de livreurs et de vendeurs sur la route! La production a augmenté quand elle s’est automatisée. Ça nous a pris des techniciens pour réparer les machines, des programmeurs pour les fameux ordinateurs.
Qu’est ce qui a changé depuis 1995?
Ça évolue tellement vite! Maintenant, deux personnes s’occupent des relations humaines au travail. Avant, j’engageais moi-même. Aussi, il y a plus de lois qu’avant, surtout côté sécurité des employés. Les machines et l’électricité doivent être adaptées pour que l’employé ne se blesse pas!
Concernant votre parcours, avez-vous toujours vécu à St-Albert?
Je suis venu au monde ici. Des grosses compagnies m’ont souvent appelé; moi, ça m’a jamais intéressé de quitter mon village. Mon cœur est ici! On se connait tous, il y a de la solidarité!
Est-ce que St-Albert a changé depuis votre enfance?
Maintenant, certaines personnes, on ne sait pas qui c’est. D’autres jeunes partent en ville, s’achètent une maison. Les jeunes aujourd’hui vont plus à l’école que dans mon temps!
Comment expliquez-vous que le village demeure majoritairement francophone?
La fierté! Je n’ai rien contre les anglophones, mais j’ai assisté souvent à des réunions où il y a un anglophone et tout le monde se met à parler en anglais. J’accepte pas ça! Il faut se retrousser les manches! Certains disent que ce n’est pas correct, mais moi, je n’aime pas ça! À la Fromagerie, nous avons des anglophones, et ils apprennent le français assez vite! Quand on engage quelqu’un au service clientèle, il faut qu’il soit bilingue!
Parlez-nous un peu maintenant de votre fille Mélissa qui connaît une carrière dans la chanson. Vous devez être très fier?
Oui! Mélissa, c’était une fille qui n’était pas « couchable » le soir, elle ne voulait jamais dormir. Elle passait déjà son temps à chanter à trois ou quatre ans. Elle a grandi avec la musique, mon père étant chanteur et joueur de piano. Sa sœur Valérie, ma fille, chantait dans beaucoup de pièces. Mélissa a suivi sa grande sœur, ce n’était pas une « lâcheuse ». C’est une fille sincère, qui se lève debout pour la francophonie! Elle m’appelle souvent pour des conseils.
Qu’avez-vous pensé de ses prestations à l’émission La Voix, cette année?
Je n’étais pas pour qu’elle y aille! Cette émission peut faire des carrières, mais aussi les détruire! On savait mauditement qu’elle ne passerait pas car elle venait de l’Ontario! Il y a bien des tours de passe-passe. Par exemple, les votes par téléphone, en Ontario tu ne peux voter qu’une fois contre trois au Québec. Au moins, elle s’est fait voir par deux millions de personnes, mais au début, je n’étais vraiment pas pour.
Mélissa vous ressemble?
Oui! C’est une fonceuse! Elle dit haut et fort quand il y a de l’injustice. Je lui ai toujours dit quand on ne voulait pas qu’elle fasse quelque chose, mais elle me demandait toujours pourquoi je lui disais non. Je lui disais que plus tard, elle travaillerait pour un syndicat (Rires).
Avez-vous encore des projets?
J’aimerais bien avoir plus de temps avec mes petits-enfants, aller au chalet. Je prends plus le temps quand je veux faire quelque chose. Outre Mélissa, j’ai aussi deux enfants, Danik, et Valérie. C’est la plus belle affaire dans ma vie d’avoir des enfants et des petits-enfants!
Et quand arrêterez-vous finalement vos activités professionnelles à la Fromagerie?
Je remets ça d’une année à l’autre. Je n’y pense pas vraiment! »
LES DATES-CLÉS DE RÉJEAN OUIMET :
1947 : Naissance à St-Albert
1969 : Achète la ferme de son père
1995 : Devient directeur général de la Fromagerie
2013 : Un gigantesque incendie détruit la Fromagerie
2015 : Commence à travailler à temps partiel à la Fromagerie
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.