Grève : le scepticisme des enseignants, malgré les propositions de Lecce
Pour la troisième fois en moins d’un mois, des milliers d’enseignants francophones débrayent de nouveau, ce jeudi. L’objectif : dire non aux réformes du gouvernement de Doug Ford sur l’éducation. Une grève qui intervient deux jours après les propositions du ministre de l’Éducation, Stephen Lecce.
Apprentissage numérique désormais « optionnel » et non plus obligatoire, volte-face dans la décision d’augmenter la taille des classes, la conférence de presse de M. Lecce avait laissé pour la première fois entrevoir une ouverture du gouvernement dans un conflit avec les syndicats persistant depuis des mois.
Mais sur le terrain, jeudi matin, le scepticisme dominait chez les manifestants qui avaient répondu à l’appel de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO).
Pancarte orange en main « AEFO, ensemble pour nos droits », Francis Bourgon était venu au piquet de grève organisé devant l’École secondaire catholique Franco-Cité.
« Ces propositions de M. Lecce, c’est bien d’un côté, car on peut avoir un peu d’espoir, mais ce qu’on nous dit, c’est que ce qui est dit publiquement de la part du gouvernement n’est pas dit à la table des négociations », laisse entendre cet enseignant. « On attend encore les preuves écrites! »
Et de poursuivre : « On ne veut pas baisser les bras, malgré le fait que ça commence à s’étirer pour nous! On sent un léger essoufflement, mais avec les annonces de cette semaine, les gens commencent à espérer. Le fait que l’on ait eu une journée d’intempéries, la semaine dernière, a peut-être permis à tout le monde de se reprendre un petit peu et d’arriver aujourd’hui doublement plus fort! »
Isabelle Falardeau, présente au rassemblement devant l’école Franco-Cité, abonde sensiblement dans le même sens.
« Avec la conférence de Lecce hier, ce n’est pas revenu aux conditions qu’on avait avant, et ce n’est pas réglé avec les conseils scolaires non plus! Ce que dit Lecce n’est pas clair. On croit comprendre qu’il veut une moyenne de 23 élèves par classe, mais aurons-nous donc des classes qui vont aller jusqu’à 35? Car ce n’est qu’une moyenne dont il a parlé », illustre cette enseignante à l’École élémentaire catholique George-Étienne-Cartier.
« On devient un peu fatigué »
Du côté de Toronto, les propositions du ministre n’avaient pas non plus convaincu.
« Ce ministre est un spécialiste de la communication », juge Patrick Parent, enseignant à l’École élémentaire Pierre-Elliott-Trudeau, mais pour l’occasion devant le Collège français, avec d’autres manifestants.
« C’est purement pour l’image. Au final, c’est toujours un recul de 22 à 23 élèves. C’est juste une opération de relations publiques. »
« Le gouvernement n’a jamais valorisé l’éducation », renchérit Joanne Morra, enseignante à l’École catholique Saint-Frère-André.
« Ces annonces, c’est pour constamment nous faire passer pour les gens qui en demandent trop. Mais si vous n’êtes pas dans la salle de classe, vous n’avez aucune idée de ce qu’il se passe. Nous, on le vit tous les jours. Je dirais à Lecce et Ford de passer du temps dans une salle de classe avec 30 élèves et, ensuite, de prendre des décisions. »
« On est toujours inquiet pour nos élèves », confie Patrick Parent. « Mais si on signe un mauvais accord, ça va causer beaucoup plus de tort à long terme. Il faut prendre position maintenant. C’est important de le faire pour le futur de nos élèves. On est enseignants mais on est aussi parents pour la plupart. »
« On devient un peu fatigué », confie Joanne Morra, « mais on est toujours là. S’il y a un point positif à retenir, c’est que ces grèves nous ont rassemblés entre nous. On s’appuie entre enseignants. »
Outre l’AEFO, l’Association des enseignantes et des enseignants catholiques anglo-ontariens (OECTAA) tient aussi un débrayage ce jeudi.
Propositions de Lecce
Mardi dernier, Stephen Lecce était revenu sur le plusieurs propositions initiales du gouvernement.
« Je veux rassurer les parents : ils ne verront pas apparaître des classes de plus grande taille cet automne. Il y aura une moyenne maximum de 23 élèves par classe à la rentrée 2020/2021 », avait-il annoncé lors de la conférence de presse.
Le financement du gouvernement serait donc aligné avec le seuil qui prévalait au cours des dernières années. « Nous allons continuer à avoir les classes parmi les plus petites au Canada », a-t-il soutenu.
Sur la question controversée des cours en ligne, Stephen Lecce avait tenté de contourner les syndicats. Le ministre de l’Éducation veut que la décision de suivre ou non certains cours virtuels soit prise par l’étudiant lui-même.
« Ça montre qu’on écoutait et qu’on écoute les parents. Mais les syndicats veulent, eux, prendre des décisions à la place des parents », avait affirmé le ministre.
Les cours en ligne et la taille des classes représentent les deux principaux points d’achoppement entre les quatre principaux syndicats enseignants et le gouvernement ontarien.
D’autres points sont toujours en suspens : la hausse de salaire de 2 % exigée par les enseignants ou encore, les cours pour les élèves avec des besoins spéciaux.
Les conventions collectives entre les syndicats et le gouvernement sont échues depuis le 31 août.
Jeudi en milieu de journée, M. Lecce a de nouveau demandé aux syndicats la conclusion d’une entente, par voie de communiqué.
« J’ai offert à tous les syndicats d’enseignants un plan équitable et raisonnable, qui devrait mener à la conclusion d’une bonne entente et veiller à ce que les élèves restent en classe (…) Le temps est venu de conclure une entente, et je demande à tous les syndicats de mettre fin aux moyens de pression perturbateurs qu’ils emploient et de retourner à la table de négociation pour conclure une entente qui soit équitable pour les parents, les élèves et les éducateurs. »
Article écrit avec la collaboration de Rudy Chabannes