Les ambulanciers, en première ligne dans l’enfer de la pandémie
SARNIA – La pandémie a bouleversé les pratiques, les cadences et, parfois, le moral des ambulanciers. Ces professionnels de la santé opèrent un trait d’union vital entre le 911 et les urgences. Immersion dans le foudroyant quotidien de Mélanie Veillette-Misner, dans le comté de Lambton.
22h. Mélanie monte dans son ambulance. La station des services de santé d’urgence de Lambton a reçu un appel du 911. Une personne présentant les symptômes de COVID-19 a besoin d’assistance.
Les gyrophares fendent la nuit. En quelques minutes, le véhicule d’intervention est sur place. Il s’agit d’une personne âgée. Elle a de la fièvre, conjuguée à des difficultés respiratoires. Il faut la transporter d’urgence à l’hôpital de Sarnia.
Le pic d’interventions franchi
Des appels comme celui-ci, l’ambulancière en reçoit tous les jours depuis un mois. « On est monté jusqu’à une vingtaine d’interventions en 12 heures », se remémore-t-elle.
Les choses se sont tassées depuis, assure-t-elle. Au fur et à mesure que la connaissance de la maladie a progressé, les consignes se sont rationalisées.
« Tout le monde a appris avec la pandémie. Maintenant, on est tous ensemble. Et on a moins d’appels. »
Les recommandations sanitaires de rester à la maison fonctionnent plutôt bien, constate-t-elle.
« Personne ne connaissait tous les protocoles, car ils changeaient toutes les heures »
« Il y a trois semaines en arrière, on en transportait beaucoup. On était vraiment occupé. Les hôpitaux aussi. Personne ne connaissait vraiment tous les protocoles à suivre, car ils changeaient toutes les heures. Le temps que ça parte du ministère et que ça arrive en bas, c’était déjà changé. »
Mais aujourd’hui encore, alors que l’Ontario est à son pic épidémique, les va-et-vient continuent aux urgences de la région, à Sarnia et Petrolia, particulièrement en provenance des foyers de soins de longue durée.
« Sarnia est l’hôpital le plus en avance dans la gestion des cas de COVID-19 », rapporte l’ambulancière. « À Petrolia, on peut stabiliser les malades mais si ce sont de cas graves, il faut les transporter à Sarnia ou London. »
Un risque élevé malgré les précautions
Près de 2 000 travailleurs en santé ont contracté le virus en Ontario, y compris dans son entourage professionnel. Alors, Mélanie multiplie les précautions.
Elle désinfecte le véhicule après chaque intervention, emporte le moins d’effets personnels et dispose d’un équipement incluant une blouse, un masque, un écran protecteur et des gants. Elle lave son uniforme tous les jours et redouble de vigilance pour éviter d’être contaminée, mais aussi d’exposer sa famille.
Elle s’est tout de même préparée à cette éventualité.
« Il est arrivé à certains de mes collègues de partir de leur maison s’isoler pendant 14 jours pour ne pas infecter leurs enfants. Moi, j’ai aménagé une section de la maison où je puisse être mise en quarantaine, à l’écart du reste de la famille, en cas de contamination. »
Si la situation venait à dégénérer parmi le personnel paramédical de la région, un hôtel se tient prêt à les héberger à bas coût, en urgence.
Évacuer la pression pour ne pas flancher
En 15 ans d’expérience, Mélanie Veillette-Misner n’a jamais vécu pareille crise. Elle confie éviter de trop réfléchir aux drames humains qui se déroulent sous ses yeux, agissant avec sang froid et méthodologie.
« Il m’arrive de me demander comment on va s’en sortir. Il faut avoir une mentalité forte, être capable de supporter certaines choses. Je me dis qu’on va tous l’avoir. »
Sauver des vies pour le personnel paramédical est une course contre le temps. La rapidité et l’enchaînement des interventions laissent peu de place à l’apitoiement. Seulement parfois, c’est trop lourd à porter. Le stress peut prendre le dessus.
« Si tu as peur, la peur va te manger. On doit être dans le moment »
« C’est difficile physiquement, car on doit soulever des personnes mais aussi parfois mentalement. J’essaye de ne pas trop y penser. J’évite aussi de regarder les nouvelles. Si tu as peur, la peur va te manger. On doit être dans le moment. 99 % des choses dont on a peur ne se produisent pas. Certains de mes collègues ont un peu plus de misère, mais c’est leur droit. On a la chance de pouvoir prendre des jours de congés et d’avoir le soutien psychologique, si on a besoin. »
L’ambulancière essaye de savoir ce que deviennent ses patients. Tantôt ce sont des bonnes nouvelles. Tantôt des mauvaises. Tantôt encore, elle perd tout simplement le contact à la suite de plusieurs transferts d’un service ou d’un hôpital à l’autre. Elle se rassure en se disant que la moitié des malades de la COVID-19 se sont rétablis, selon les chiffres de la Santé publique de Lambton.
Des symptômes déroutants, une passion intacte
Mal au ventre, à la tête, perte de l’odorat… Mélanie est étonnée de la diversité des symptômes de ses patients.
« Il y a tellement de symptômes en plus de la fièvre et des troubles respiratoires qu’on est surpris par les diagnostics. Parfois, on pense que c’est une certaine pathologie, puis on se rend compte que la personne avait le coronavirus, une fois à l’hôpital. »
La situation dans les foyers de soins de longue durée la préoccupe également. Infectées ou non, « c’est très difficile, car ce sont des personnes en quarantaine qui sont pris là-dedans. Quand on intervient là-bas, faut qu’on s’habille à 100 % avec la visière et le masque. »
Sur les 14 morts déclarés par la Santé publique régionale, la moitié venait de maison de retraite où deux éclosions ont été identifiées. Au total, on dénombre 181 cas positifs de COVID-19 dans le secteur.
« C’est difficile de rentrer dans une maison sans savoir à 100% si le patient est atteint »
Malgré l’appréhension, la passion prend toujours l’ascendant chez Mélanie. Malgré l’évaluation systématique réalisée en amont au téléphone, « c’est difficile de rentrer dans une maison sans savoir à 100 % si le patient est vraiment atteint de la COVID-19 », confie-t-elle. « Même si c’est une urgence, ce n’est parfois pas assez urgent pour que je prenne mon équipement de protection tout le temps. »
Peu importe les risques, « ce que j’aime, c’est aider les autres et apprendre chaque jour », affirme celle qui a trouvé sa voie à 24 ans, suivant les traces de son père, ambulancier superviseur à Thunder Bay, dans le Nord de l’Ontario. « C’est plaisant même dans les moments terribles car, avec mes collègues, on roule ensemble pour affronter ça. »