Conseillers scolaires francophones : plus de 70 % des élections jouées d’avance
Réputé pour être un tremplin vers une carrière politique, le poste de conseiller scolaire est de moins en moins attractif au sein de la communauté francophone, à l’inverse des anglophones où ce statut est de plus en plus prisé. Quelque 72 % des sièges francophones ont d’ores et déjà trouvé locataires, et ce avant même le jour du vote prévu pour le 24 octobre prochain. Décryptage.
Les jeux sont faits. Depuis le 19 août dernier, les personnes désireuses d’embrasser la carrière de conseiller scolaire ne peuvent plus déposer leur candidature. Tant mieux pour les francophones parce qu’ils ne s’y bousculent pas!
Quelque 72 % des 130 sièges de conseiller scolaire francophone publics et catholiques ont déjà trouvé preneur par acclamation, c’est-à-dire sans vote, faute de candidats concurrents.
Le phénomène est géographiquement global, car la dispersion de ce pourcentage s’étale de 42 % pour le Conseil scolaire Viamonde à 100 % pour le Conseil scolaire public du Nord-Est de l’Ontario. Même constat dans les conseils catholiques : Franco-Nord affiche le plus bas taux de sièges élus par acclamation avec 50 % et le Conseil scolaire du district catholique des Aurores boréales fait carton plein avec 100 %.
« Le poste de conseiller scolaire est extrêmement important. Il devrait intéresser toute personne qui a, ou qui a eu des enfants à l’école. Malheureusement, on a beaucoup de difficultés à trouver des candidats parce que ce rôle est mal compris », déplore Denis Chartrand, président de l’Association des conseils scolaires publics de l’Ontario (ACÉPO).
Un phénomène beaucoup moins présent chez les anglophones
On pourrait penser que ce désintérêt est général chez la population ontarienne comme cela a pu être observé dans les scrutins politiques. Il n’en est rien, seuls 25 % des sièges de conseiller scolaire anglophone ont été remportés par acclamation avant l’échéance des élections municipales.
« Mieux » que cela, ce poste intéresse de plus en plus les anglophones. En 2018, ils étaient 31 % à être élus par acclamation, alors que la tendance est inversée chez les francophones qui n’enregistraient que 53 % en 2018 et 55% en 2014 de sièges pris d’office.
Autre indicateur tendanciel, la majorité des sièges francophones pour 2022 n’affichent que deux candidats en lice, alors que chez les anglophones, il n’est pas rare de voir plus de six candidats pour une seule place, comme cela est le cas pour la circonscription de Brampton qui compte 12 prétendants.
« De par mon expérience, la première fois que je me suis présentée pour le poste de conseillère scolaire, il y avait trois autres personnes qui s’étaient présentées contre moi. Quatre ans plus tard, je me suis représentée et ils n’étaient que deux. Puis, la fois d’après, j’étais toute seule », se rappelle Lucille Collard, députée provinciale d’Ottawa-Vanier et élue pour la première fois en 2010 comme conseiller scolaire.
De son côté, le directeur général de l’Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques (AFOCSC), Yves Lévesque note que « traditionnellement, le taux de conseillers scolaires élus par acclamation a toujours été plus élevé du côté francophone que pour les anglophones, ce qui est dû en partie au fait que le bassin des personnes investies dans la cause de la gestion de l’éducation catholique ou publique de langue française est plus restreint. »
Un constat toutefois atténué par le fait que l’écart entre francophones et anglophones s’agissant des élus par acclamation a fait plus que doubler entre les élections de 2018 et 2022 alors qu’il était beaucoup plus contenu entre 2014 et 2018. Aussi, si le nombre des anglophones est nettement plus élevé que celui des francophones, les sièges disponibles pour les premiers sont quatre fois plus nombreux que ceux dédiés aux seconds.
Peu connu et pas reconnu
Par ailleurs, l’un des éléments explicatifs à ce désintéressement et qui revient sur toutes les lèvres interviewées, c’est la méconnaissance du public francophone des fonctions de conseiller scolaire, ainsi que le manque de valorisation pour ces représentants locaux.
« D’une part, tout le monde semble comprendre ce que c’est un conseiller municipal, mais pas un conseiller scolaire pour des raisons qui m’échappent. D’autre part, on ne valorise pas du tout ce poste, et ça, ça m’attriste », regrette M Chartrand avant de poursuivre : « Il y a beaucoup de gens qui pensent que le conseiller scolaire n’est pas nécessaire, imaginez si tout était concentré entre les mains du ministère de l’Éducation, vous attendriez très longtemps avant de recevoir une réponse à votre question si vous êtes parent. »
Même résonnance chez Mme Collard qui pointe du doigt la non-connaissance et la non-reconnaissance du rôle de conseiller scolaire au sein de la population franco-ontarienne.
« C’est incroyable le nombre de personnes qui confondent conseiller scolaire et conseiller pédagogique. Beaucoup ne savent pas que c’est un poste élu. Je me rappelle qu’on m’avait demandé au conseil scolaire de mettre mon nom sur les sites des écoles en spécifiant bien que j’occupais un poste élu parce que les gens ne sont pas forcément au courant. Il y a certainement un travail de promotion à faire de ce côté-là », confirme celle-ci.
Quant aux principaux concernés, parmi la dizaine de candidats contactés, seule Emmanuelle Richez, candidate non élue par acclamation dans la circonscription d’Essex, l’une des rares circonscriptions francophones âprement disputées avec quatre prétendants, attribue les raisons de cet altruisme à un manque de moyens.
« Contrairement aux niveaux fédéral et provincial, le niveau scolaire ne possède pas de système partisan. Les candidats ne bénéficient pas de l’infrastructure que peut offrir un parti politique. Le fait de ne pas profiter des ressources humaines et financières qu’une affiliation partisane procure peut décourager plusieurs personnes à briguer le poste de conseiller ou conseillère scolaire », explique cette dernière.
Une fonction sous-rémunérée
Cette carence de ressources se reflète également dans les allocations touchées par les conseillers scolaires une fois élus.
« Certes, nos conseillers reçoivent une allocation pour leurs services, mais être conseiller scolaire dans les conseils de langue française tient plus du bénévolat qu’autre chose. C’est un autre facteur qui rend l’intérêt pour la fonction un peu plus difficile », relève M Lévesque.
Une opinion largement partagée par la députée d’Ottawa-Vanier : « L’allocation reçue par les conseillers scolaires diffère de façon assez importante entre les anglophones et les francophones. Un conseiller scolaire francophone peut recevoir par année environ 6 600 $, tandis que les anglophones touchent en moyenne 16 600 $. Ça fait une grosse différence. »
Dans les faits, qu’ils soient francophones ou anglophones, tous les conseillers scolaires perçoivent le même montant fixe fixé par le gouvernement de la province et qui est de 5 900 $ par an. En revanche, et c’est là où le bât blesse, ce montant est bonifié de 1,75 $ par élève, ce qui signifie que c’est la loi du nombre qui fait la différence.
Ceci écrit, au-delà des considérations pécuniaires, la valeur d’un conseiller scolaire réside dans son rôle civil qui n’est ni plus ni moins, que de contribuer à la réussite et au bien-être des élèves.