Un changement « historique » pour les droits des francophones
OTTAWA – Les droits des francophones et des minorités linguistiques viennent d’être renforcés aujourd’hui, estiment des acteurs du milieu francophone après un vote des parlementaires concernant le projet de Loi C-13 en comité mercredi. C’est toutefois les tensions et divergences entre les députés libéraux qui ont retenu l’attention vendredi matin.
À l’exception des libéraux, les députés ont voté pour que le Conseil du Trésor soit le ministère fédéral chargé de mettre en application la Loi sur les langues officielles (LLO).
Dans la mouture présentée en mars, la ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor établissait des responsabilités partagées entre divers ministères tels que Patrimoine Canada, qui était auparavant chargé d’appliquer la Loi, mais qui aura désormais un rôle secondaire.
Le député libéral Darrell Samson a été le seul de sa formation politique à voter en compagnie des partis de l’opposition pour appuyer cette mesure. Cet amendement était demandé par les organismes fédéraux, qui déploraient que, depuis son entrée en vigueur il y a un demi-siècle, le partage des responsabilités affaiblissait le respect de la Loi par les organismes fédéraux.
Le commissaire aux langues officielles en avait fait un de ses chevaux de bataille dans ses propositions à la refonte de la LLO. Une autorité centrale pour « résoudre les nombreux enjeux de gouvernance » touchant les institutions fédérales était nécessaire, écrivait-il. Dans ses rapports annuels et ceux de ses prédécesseurs, Raymond Théberge notait souvent une sorte de laisser-aller des institutions fédérales à l’égard du respect des deux langues officielles.
« Il faut qu’on fasse un changement fondamental de ce qu’on a fait dans les 50 dernières années (…). Il nous faut un pilote dans l’avion, un capitaine dans le bateau », a imagé de son côté le député conservateur Bernard Généreux lors des débats.
L’opposition estime que les directives du Conseil du Trésor seraient plus entendues par les autres ministères que si Patrimoine Canada était en charge. « Ça permettra de rejaillir sur l’ensemble des ministères », a souligné M. Généreux.
Sur les banquettes libérales, le député Samson évoque qu’en tant qu’ancien surintendant des écoles du Conseil scolaire acadien provincial et acteur de la communauté acadienne, il a rencontré des « difficultés bien énumérées et évidentes » du manque de mordant de l’application de la LLO.
« Ça ajoute des dents à une loi qui a déjà du mordant. Selon moi, j’améliore le projet de loi, j’ajoute de plus belles dents », a-t-il affirmé après le vote avec un sourire en coin.
Un vote historique
Cette nouvelle modification adoptée pourrait changer la donne selon un expert juridique. « C’est un vote historique », a réagi l’avocat en droits linguistiques Mark Power.
« Ça va très très très mal en langues officielles et la modification donnera un nouveau souffle », poursuit-il. « On a des droits comme francophones partout au Canada depuis des décennies et on les ignore (…). Le changement d’aujourd’hui augmente les chances de façon majeure que nos droits soient respectés sans qu’on ait à en faire la demande. »
Depuis plusieurs années, les cas de manquements aux droits linguistiques des francophones se multiplient. On peut penser aux problématiques liées aux services en français dans le domaine du transport ou encore les manquements linguistiques dans la fonction publique. Ces problématiques risquent encore de survenir et le français nécessitera encore plus de protection, prévient toutefois M. Power.
« Mais est-ce qu’il y aura beaucoup moins de problèmes si on traite les langues officielles de façon vraiment importante en mandatant une agence centrale? 100 % », contrebalance-t-il.
C’était l’une des demandes de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA).
« Plus que jamais, on a besoin d’une Loi sur les langues officielles forte, moderne et respectée. Chaque réunion du comité permanent des langues officielles nous rapproche de cet objectif et nous encourageons tous les partis à continuer le travail pour qu’on y parvienne rapidement. L’avenir du français au pays en dépend », a déclaré la présidente de la FCFA, Liane Roy.
Tensions et divergences au sein des libéraux
Comme depuis le début de l’étude, article par article, la présence de la Charte de la langue française et l’impact de Loi 96 sur les anglophones du Québec ont occupé une bonne partie des débats.
En majorité dans le Comité, les députés de l’opposition ont notamment réussi à voter en faveur d’un amendement de Québec, qui mentionne la Charte de la langue française, ce que ne voulaient pas les députés anglophones. Une tentative distincte du député Anthony Housefather de retirer une référence à la Charte de la langue française a été rejetée.
On a notamment pu voir à l’extérieur de la salle, sous les yeux des journalistes présents dans la salle, une discussion houleuse entre ce dernier et le directeur des affaires parlementaires de la ministre des Langues officielles Matthew Pollesel. Le bureau de la ministre Petitpas Taylor n’a pas souhaité commenter. À un certain moment, Darrell Samson était le seul député francophone hors Québec présent au comité en mesure de voter, jusqu’à ce qu’en plein milieu de séances les députés franco-ontariens Marc Serré et Arielle Kayabaga arrivent à la rescousse pour participer à des votes.
Le comité était encore une fois représenté par un grand nombre de députés de circonscriptions anglophones du Québec, alors que cette fois-ci Emmanuella Lambropoulos et Fayçal El-Khoury, membres inhabituels du comité, ont fait acte de présence pour partager les doléances de leurs collègues sur la présence de la Charte de la langue française dans C-13.
« Ça fait trois comités où on a constamment entendu les libéraux sur la façon dont ils veulent changer leur propre projet de loi », a affirmé la députée néo-démocrate Niki Ashton en anglais, visiblement agacée. « Quelle est la vision du Parti libéral pour vraiment défendre, protéger et soutenir le français, pas juste au Québec, mais au Canada », a-t-elle interrogé.
« Il semble y avoir une stratégie de filibuster (obstruction) pour éviter les débats afin qu’on arrive à la proposition sur l’application de la Loi 101 aux entreprises fédérales », avait réagi quelques instants plus tôt le député du Bloc québécois Mario Beaulieu.
Cet article a été mis à jour pour la dernière fois à 15h42.