Un organisme francophone met la clé sous la porte faute de financement
OTTAWA – La Société franco-ontarienne de l’autisme (SFOA) a annoncé ce vendredi cesser ses activités et mettre fin aux contrats de ses employés. Dans un courriel envoyé aux familles et à ses membres, la SFOA remercie les parents et offre la société à quiconque voudra la sauver. Depuis plusieurs années, l’organisme répond aux besoins des francophones sous le spectre de l’autisme dans la région d’Ottawa.
Plutôt cette semaine, des parents s’étaient émus lors de l’assemblée générale annuelle (AGA) de l’organisme de perdre des services essentiels pour leurs enfants : « Nous avons besoin de vous », « Il n’y a pas d’autres organismes qui offrent vos programmes », « Mon enfant va être très triste s’il n’a plus les services de la SFOA », « C’est catastrophique comme nouvelle »…
Plus de 40 membres de la société, le conseil d’administration (CA) et la direction ont fait part de leurs vives inquiétudes, mais ce vendredi, en plus d’avoir mis fin à l’emploi des deux directrices, les membres du CA ont annoncé leur démission qui sera effective à la prochaine assemblée générale extraordinaire (AGEX), ce 21 septembre.
La désormais ex-directrice générale, Yasmine Benotmane, en entrevue avec ONFR quelques jours auparavant, expliquait que son poste et celui de la directrice adjointe n’allaient plus être financés d’ici deux semaines si aucune solution n’était trouvée. En effet, dans les actifs de la société, il ne restait que 17 435 $, une somme qui ne pouvait plus sauver l’organisme dans un si petit délai.
Pour débloquer la situation, la SFOA aurait aussi besoin d’un conseil d’administration complet. Actuellement, les trois ou quatre personnes sur le conseil d’administration démissionnent et donc neuf personnes seraient requises pour reprendre l’association.
Yassmine Benotmane a été assaillie de questions durant l’AGA et reconnaît que des décisions auraient pu être prises différemment. Arrivée en 2020 et en congé maternité une grande partie de 2021, l’ex-directrice générale suppose que certains choix n’étaient pas réalisés sous sa gouverne.
Pourtant, la communication a été tardive et les familles ont regretté d’apprendre « trop tard » la nouvelle. Les parents préfèrent réfléchir à des solutions et qu’aucune décision ne soit prise afin d’entreprendre des démarches. Le vote pour déterminer des nouveaux membres du CA sera maintenu à la prochaine AGEX.
La SFOA existe depuis 20 ans, mais avant l’arrivée de la nouvelle directrice, la société était déjà en difficulté financière.
La firme d’audit comptable Marcil Lavallée a présenté les finances de l’organisme ce lundi, prouvant que la SFOA subissait un déficit important déjà en 2017.
« Nous n’avons pas réussi à engendrer assez de bénéfices pour combler le déficit qui existait déjà », a admis Mme Benotmane. « Nous avons des programmes qui s’autofinancent grâce aux inscriptions, mais d’autres étaient déficitaires. »
De plus, tout est plus cher avec l’inflation, explique-t-elle. « Les salaires augmentent, les thérapies ont un coût, alors avec la perte de nombreuses subventions c’est devenu impossible ».
Un organisme essentiel pour la communauté francophone
Cette organisation sans but lucratif (OSBL) offre des programmes très populaires durant l’année (Sam-dit-turbos, Samedi fou, etc.), mais ses plus gros projets sont les camps d’été.
Depuis la pandémie, l’organisme recevait plusieurs subventions lui permettant d’offrir des programmes extrêmement appréciés par la communauté. Grâce à ces investissements, la société a pu offrir une qualité de service nécessaire pour certains enfants autistes. C’est le ratio : un pour un, c’est-à-dire un intervenant pour un enfant. La société compte environ 70 enfants et entre 30 et 40 sous-traitants. D’ailleurs, l’augmentation de la sous-traitance et des salaires semble avoir creusé une partie du déficit qui a atteint 124 000 $.
Sophia Akl, mère d’un jeune enfant autiste, a appris la nouvelle cette semaine, comme beaucoup d’autres parents. Elle et sa famille vivent présentement à Kingston pour des responsabilités militaires, mais la jeune mère attendait avec impatience son retour à Ottawa pour que son enfant profite du camp d’été.
« Si nous n’avons plus le camp d’été, la seule chose que je vois maintenant, c’est de devoir prendre un congé sans solde pendant l’été et si on me le permet au travail. Ça ne profite à personne parce que là aussi, ce n’est pas du baby-sitting les camps d’été. C’est bénéfique pour mon fils d’aller là-bas et il aime y aller. »
« Je crois que la communication et le marketing ne sont pas très bons », constate-t-elle.
En 2020, Mme Akl a découvert la SFOA par hasard. « J’étais très contente de trouver cet organisme, mais je me suis rendu compte, lors de l’AGA ce lundi, que beaucoup de gens ont découvert tard qu’il existait », raconte-t-elle.
Son fils de 10 ans participe aux camps de jours pendant l’été depuis trois années de suite. « C’est vraiment le seul programme qu’il peut faire. »
« Nous sommes bilingues, mais mon fils parle et comprend seulement le français. La communication avec les enfants autistes, c’est déjà compliqué en partant, alors il faut que ce soit en français. »
À la question « dans quel programme allez-vous aller s’il n’y a plus la SFOA ? », la mère de famille s’inquiète.
« Il y a un programme avec quasiment aucune place à la Ville d’Ottawa », explique-t-elle. « En théorie un accompagnant francophone pourrait être là pour l’enfant, mais on peut seulement participer deux semaines et ce programme est offert à tous les enfants qui ont un besoin, un quelconque handicap et donc ce n’est pas simplement pour les autistes. »
Le président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), Fabien Hébert, trouve déplorable que l’organisme se soit fait refuser des subventions.
Pendant la pandémie, l’AFO avait débloqué la somme de 11 000 $ pour soutenir l’organisme, mais leur prestation exceptionnelle s’est arrêtée en 2022.
« Il faut que les gouvernements reconnaissent ce groupe incroyable », croit-il.
« Une de mes nièces a un fils qui souffre d’autisme. Quand on lui rend visite, c’est incroyable le montant d’énergie, de temps et d’attention que ça nécessite. Ce type d’organisme joue un rôle primordial dans le maintien de la cellule familiale. »
L’AFO a contacté le gouvernement provincial et le fédéral. « Nous allons continuer nos interventions et essayer de leur trouver du support, mais nous ne pouvons malheureusement pas les financer, car nous n’avons pas les fonds. »
Lucy Lightbown, mère d’un enfant autiste et membre du conseil d’administration de la SFOA, trouve décevant cette situation. « Ce sont des services extraordinaires et les prix étaient abordables. C’est peut-être pour ça aussi que la société se retrouve dans cette situation. »
« Je pense aux parents qui travaillent pendant l’été, qui cherchent du répit, mais qui cherchent aussi une activité où ils savent que leurs enfants vont être bien encadrés. C’est vraiment une perte et ça m’inquiète pour les parents. »
Mme Lightbown pense que des dons et l’aide de fondations pourraient les sauver en partie.
Ce que soutient la directrice générale, qui cumule les refus de subventions. « Nous avons pensé à augmenter les prix, mais certaines familles ne pourraient plus bénéficier des services. Dans tous les cas, il y aurait un perdant. »
La perte des subventions a scellé le destin de l’organisme
La SFOA a perdu quatre subventions en un an, dont 87 200 $ de la Ville d’Ottawa. La plupart de ces investissements étaient offerts en réponse à la pandémie. Le total des subventions que recevait l’organisme représentait 221 477 $ en 2021-2022 et 160 950 $ en 2022-2023, alors que les charges d’exploitation s’élèvent à plus de 400 000 $ selon l’audit comptable.
À ce jour, la société a écumé les refus suivants : le ministère des Affaires francophones, la Fondation Trillium et Centraide en 2021, de nouveau le ministère des Affaires francophones, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario et le Programme ontarien des services en matière d’autisme (POSA) en 2022.
« De plus, nous avons déposé des demandes auprès des fondations Honda, IA assurances et ADOBE qui ont été refusées. »
Sharon Burgess travaille pour la SFOA depuis près d’une dizaine d’années comme orthophoniste. Elle offre des services et participe aux programmes Sam-dit-turbos et le Camp été fou. « Ce sont des services uniques, en français et on travaille sur des choses importantes pour les enfants, notamment les habiletés de communication sociale. »
Au camp d’été, Mme Burgess supervise des stagiaires de la maîtrise en orthophonie de l’Université d’Ottawa et qui viennent faire un stage intensif dans le camp. « Cela permet en même temps de former des orthophonistes en français qui vont ensuite avoir de l’expérience pour travailler avec cette clientèle-là dans le futur. »
L’orthophoniste est abasourdie, pour elle, c’est absolument terrible. « Il y a plusieurs choses que je ne comprends pas. Si la situation était tellement précaire et difficile, pourquoi ça n’a pas été annoncé avant ? » se demande-t-elle.
Une opportunité de sauvetage la semaine prochaine
Durant l’assemblée générale annuelle, Sharon Burgess a demandé à plusieurs reprises où va l’argent, quels sont les frais fixes et comment garder la société ouverte.
Malheureusement, les réponses offertes par l’ensemble du conseil d’administration et la direction n’ont pas été suffisantes pour elle.
La conclusion inévitable pour Mme Benotmane était la dissolution de la société. Malgré tout, les familles ont fait part de leur désir de trouver des solutions, ouvrir une plateforme de financement participatif, passer en télétravail et réduire les frais fixes de la société. Ce 21 septembre, il reste encore une chance pour la SFOA de renaître de ses cendres. Si des nouveaux membres veulent s’inscrire au conseil d’administration, un plan de sauvetage devra être envisagé.