Breen LeBoeuf, le rocker de North Bay au destin plus grand que nature
[LA RENCONTRE D’ONFR]
En 1978, un Franco-Ontarien de North Bay a rejoint l’une des formations les plus importantes de l’histoire de la musique québécoise. Mais Breen LeBoeuf, c’est beaucoup plus que le bassiste d’Offenbach. Toujours passionné après 55 ans de carrière, il tient l’affiche de la 51e Nuit sur l’étang de Sudbury, ce soir, quelques jours après être rentré d’un voyage professionnel en Floride. C’est de là qu’il s’est entretenu avec ONFR.
« Qu’est-ce que vous faites en Floride?
J’ai été invité par un ami qui produit des spectacles pour la francophonie. En Floride, il y a beaucoup de francophones, particulièrement des Québécois. C’est agréable de jouer pour eux. C’est rare que je me permets de sortir de mon coin.
Donc, vous avez un côté tranquille?
Je suis rendu pantouflard, sauf quand je joue de la musique. La vie est tranquille et j’aime ça comme ça. Ça a été très actif, c’était même trop actif à un moment donné. Ça fait du bien de vivre à un rythme plus dégagé.
Retournons au début. Comment c’était, de grandir comme francophone à North Bay?
Il y avait beaucoup de noms francophones : Perron, Guillemette, LeBoeuf… mais beaucoup de gens avaient partiellement ou complètement perdu leur langue, à force de vivre dans une communauté où la langue du travail, des patrons et de l’argent était l’anglais.
Ma mère, d’origine irlandaise, occupait deux emplois pour nous payer notre éducation en français et nos leçons privées, comme mes cours de piano. Je suis chanceux.
Au secondaire, on avait seulement l’Académie de Notre-Dame-de-L’Assomption, une école privée tenue par les Sœurs de l’Assomption. Elles faisaient un très bon travail, mais elles n’avaient pas de budget.
Au primaire, on partageait l’école avec des anglophones, car il manquait de bâtisses. J’étais parmi les frogs. Il y avait souvent de la friction. J’étais parmi le groupe qui protégeait notre culture, notre nom de famille, notre langue.
Vous étiez déjà militant au primaire?
Quand le gars s’en vient pour te pousser dans la clôture et te traiter de niaiseux, il y a une réponse à ça, non?
Mais c’était ça, je représentais la francophonie dans la cour d’école, avec mes chums. Mais on parlait l’anglais chez nous, car ma mère était unilingue anglophone. Ma grand-mère paternelle, elle, était unilingue francophone. Mais le français était surtout un exercice académique. À l’époque, c’était rare d’être servis en français. Même les francophones se parlaient anglais entre eux.
Trouvez-vous que ça a changé?
Oui. J’y suis allé il y a quelques années, car ils m’ont fait une étoile dans le trottoir, sur la rue principale. Je suis très fier d’être de ce petit Hall of Fame de North Bay.
C’était incroyable pour moi de voir deux écoles secondaires francophones! Puis, on entend le français dans la rue, dans les restaurants… c’est loin d’être majoritaire, mais c’est présent.
Vous avez un début de parcours ancré dans le catéchisme. Est-ce qu’il reste une place à la spiritualité ou à la religion dans votre vie?
Je ne suis pas religieux. Je me considère spirituel. Je crois qu’on atteint différents niveaux de présence. Des fois, je suis superficiel à en être désagréable. D’autres fois, surtout quand je fais de la musique, je suis ailleurs. Je ne pense pas être assez intelligent pour comprendre ce que c’est, mais je peux en profiter grâce à cette activité que j’adore encore.
Comment avez-vous décidé d’en faire une carrière?
Tout le monde m’avait convaincu qu’il n’y avait pas d’avenir là-dedans. Ils voulaient que je sois enseignant et j’ai essayé. Ah, que je ne me sentais pas à ma place!
À Sudbury, un mercredi matin pluvieux, j’allais enseigner une leçon de catéchisme au primaire. J’étais tourmenté. J’avais refusé un contrat de disque à Toronto quelques mois auparavant.
La professeure titulaire a refusé mon plan de leçon, car il était bâclé. Alors, je l’ai envoyée promener. Ce n’était pas personnel, elle représentait quelque chose. Et là, dans ce couloir d’école, j’ai décidé d’être musicien.
Heureusement, Mort Ross, qui vous avait proposé un contrat de disque, vous a repris. Quelle importance a-t-il eu sur votre carrière?
Il n’avait pas le choix. J’ai pris un billet d’autobus pour Toronto et je me suis pointé chez lui à 22 h. Ça ne marche pas comme ça, normalement. Mais dans ma vie, les choses sont souvent arrivées comme dans les films.
Pendant quelques mois, je restais au bureau de la compagnie de disque. Je travaillais pour sa compagnie de jingles publicitaires et c’était mon baptême de feu de studio, avec les meilleurs en ville. J’étais vraiment out of my league.
Dans une entrevue accordée à Marcel Vaillancourt pour La Nuit sur l’étang, vous affirmez : ‘Si tu n’étais pas alcoolique avant de faire 10 ans dans les bars, tu avais de très bonnes chances de développer un problème.’ Quel est votre rapport avec l’alcool et les drogues aujourd’hui?
Je suis sobre depuis 33 ans. J’ai fait des rencontres des Alcooliques anonymes pendant des années, parfois à raison de plusieurs par jour.
Je ne suis pas tombé malade du corps, mais de l’esprit. Ma personnalité, ma confiance, les pensées suicidaires… tu ne veux jamais retourner là. Alors, c’est la peur qui me tient. C’est une belle peur que je souhaite à tous ceux qui ont décidé de mettre une distance entre eux et leur mauvaise habitude.
Comment est arrivée l’idée de chanter en français?
J’avais un super bon groupe, mais on crevait de faim. Le guitariste Doug McCaskill et moi cherchions une opportunité.
Nous avions rencontré Offenbach un an auparavant, dans un bar de Toronto où nous étions allés dans le but de voler leur semaine de travail. Finalement, je m’étais fait ami avec Gerry (Boulet) et Johnny (Gravel). Doug et moi n’avions plus le cœur d’aller voir le gérant pour tenter de prendre leur place.
Un technicien m’a dit que le guitariste et le bassiste d’Offenbach s’en allaient. Doug et moi, on a appris deux de leurs albums avant d’auditionner. Quand on est arrivés dans le studio de répétition, ça a cliqué tout de suite.
Doug avait de la difficulté avec les chansons en français, car il était unilingue anglophone. Il n’est pas resté longtemps. J’ai recruté John McGale pour le remplacer.
Est-ce que le Québec s’est approprié Breen LeBoeuf et John McGale?
Encore aujourd’hui, il y a des gens qui ne savent pas. J’ai encore mon accent, alors ils se grattent la tête en se demandant d’où je viens. Mais on s’est approprié des deux bords, c’était un contrat mutuel.
Offenbach était plus culte que populaire. Ça tournait à la radio FM mais, à l’époque, le FM jouait toutes sortes de choses qui n’étaient pas grand public. On allait chercher notre monde grâce aux spectacles. Ce que j’aimais d’Offenbach quand j’ai commencé avec eux, c’est qu’ils n’étaient pas à la mode. Parce que ce qui est à la mode te donne du travail pour six mois.
Mais John écrivait souvent dans une formule radiophonique. Ça nous aidait à franchir cette barrière, à vendre plus de billets, pour éventuellement faire de grandes tournées, où l’on partait à 40 personnes sur la route. Pour le Québec, c’était du jamais vu.
Pourquoi les albums anglophones d’Offenbach n’ont-ils pas fonctionné?
Gerry avait un accent tellement fort! Je ne comprenais pas son anglais. Il s’est amélioré avec les années parce que John et moi parlions en anglais entre nous. Ça a formé son oreille. Un accent, c’est beau, mais il faut que ça soit compréhensible.
Quel souvenir gardez-vous de Gerry Boulet, 33 ans après son décès?
Il était une personne exceptionnelle. Il ne parlait pas beaucoup, même sur scène. Il communiquait autrement. Il avait une aura immense.
Je me suis senti à l’aise avec lui tout de suite. On ne s’est jamais chicané. Il me donnait ma place, je le soutenais dans ses décisions, on avait une façon de gérer nos désaccords qui n’étaient pas dans l’orgueil.
Je ne voulais pas être le chanteur d’Offenbach, je voulais chanter dans Offenbach. Ça m’a pris des années à oser chanter ses chansons. Je ne voulais pas les abîmer.
Comment avez-vous géré le fait d’entendre d’autres chanteurs les reprendre? Vous êtes aussi devenu ami avec Martin Deschamps…
J’étais content que Martin les chante, parce qu’on pouvait ramener, en quelque sorte, l’enveloppe musicale d’Offenbach. Il y avait Johnny, John, moi et Martin, dont la voix résonnait comme celle de Gerry.
J’étais content de voir que les gens voulaient posséder sa façon de livrer une chanson. Des Boom Desjardins, des Garou, des voix garnotte, on n’entendait pas ça avant lui.
Qu’avez-vous pensé du film biographique Gerry (2011), et de la façon dont vous y êtes interprété?
Au lieu de trouver un francophone qui parlait comme moi, ils ont trouvé un Italien anglophone qui parlait français, Eugene Brotto. On a traîné ensemble avant qu’il joue mon rôle. Je l’adorais, c’est juste qu’il était bien trop grand par rapport à moi.
J’ai été, d’une certaine façon, consultant pour le film. Mais j’étais sur la route avec April Wine et je n’étais pas toujours disponible.
Ils ont finalement fait quelque chose qui était acceptable pour Françoise Farlado-Boulet (sa femme), René Malo (ancien gérant d’Offenbach) et moi. On avait fait arrêter la production, car ça ne représentait pas notre Gerry.
C’est difficile de résumer une vie en 90 minutes. Donc oui, c’est romancé. Je trouve qu’ils ont raté une chose : il n’y a pas de fun dans le film, il y a de la chicane tout le long.
Il y a aussi une scène où Gerry et Françoise nous avaient invités, Claire (Mayer, la conjointe de Breen) et moi, à souper. Gerry voulait me vendre l’idée de son album Rendez-vous doux. À la maison, il m’a donné une cassette avec les chansons incomplètes. Je l’ai encore, et c’est la vraie cassette qu’on entend dans le film.
J’étais là lors du tournage. Gerry devait avoir deux pages de monologue. J’ai dit à Alain (DesRochers, le réalisateur) que ce n’était pas réaliste.
Dans la vraie vie, j’ai juste dit : ‘Pi Johnny, lui?’ Gerry m’a simplement regardé en faisant non de la tête. Il a dit : ‘Ça sonnerait trop comme Offenbach.’ Vous voyez comment on communiquait? Il y avait de l’émotion dans son visage. Il avait envie de pleurer, Johnny était comme son frère, mais il tournait la page. Ç’a été un moment important dans sa vie. Il fallait bien le représenter.
Vous avez aussi collaboré avec Céline Dion, sur sa tournée Incognito. Comment est-ce arrivé?
J’avais chanté à la télé avec elle quand elle avait 15 ans. On n’avait pas répété, on s’est regardé dans les yeux et elle avait été merveilleuse. Elle a un talent fou.
J’étais aussi ami avec Mégo (Claude Lemay, musicien en chef de Céline Dion pendant 28 ans), qui m’a approché pour que je me joigne à la tournée. J’étais entre deux projets, je n’avais pas d’entrée d’argent et mon fils Vincent allait naître bientôt. J’ai rapidement accepté. Et j’ai vécu une tournée très agréable.
Comment ça se passe quand on se lance en solo après avoir fait partie d’un groupe mythique?
C’est un saut dans le vide. J’avais d’autres expressions musicales que ce qu’on faisait avec le groupe.
Vous êtes de retour à La Nuit sur l’étang. Qu’est-ce que cet événement signifie pour vous?
J’ai surtout des souvenirs de La Brunante, où j’ai été formateur. J’étais tellement fan de cet événement. On martelait les jeunes d’informations. Mais ça n’avait pas l’air d’une salle de classe, c’était comme un party de musiciens.
Les jeunes s’amélioraient à vue d’œil. On essayait aussi de ne pas trop les guider, de les laisser expérimenter eux-mêmes.
Je pense que j’étais allé à La Nuit sur l’étang à l’époque de mon premier album solo, De ville en aventure. J’en ferai d’ailleurs quelques chansons cette année, que je ne fais plus nécessairement en spectacle.
Que pensez-vous de la relève artistique d’aujourd’hui?
Premièrement, un jeune qui ramasse une guitare au lieu d’une arme, c’est une bonne personne. Si l’intention est là de créer des expériences artistiques à partager, je suis gagné. Ça ne me donne pas le droit d’être un juge, ça me donne le droit d’être un fan.
J’ai déjà beaucoup jugé et j’ai arrêté. C’est gênant quand tu fais comme si tu avais raison, mais que tout le monde sait que tu as tort.
Avez-vous un artiste coup de cœur parmi les jeunes?
Je suis un grand fan de Ricky Paquette, de Gatineau. Maintenant, il fait des tournées mondiales avec les Sheepdogs, un groupe de Saskatchewan. Il leur apporte tellement de calibre. J’ai connu Ricky quand il avait 12 ou 13 ans. Il jouait comme s’il avait 40 ans d’expérience. En plus, c’est un gars adorable, le contraire d’une tête enflée.
Qu’est-ce que la chanson Mes blues passent pu dans porte a changé pour vous?
Tout. On l’a faite en 30 minutes, elle est tombée du ciel. C’est la seule chanson que j’ai écrite avec Gerry. Mais on ne savait pas à quel point les gens allaient l’adopter.
Gerry m’avait fait un petit coup de cochon. C’était la première chanson d’Offenbach chantée par moi, et je crois qu’il avait peur qu’elle prenne trop d’attention. À l’époque, on envoyait des 45 tours dans les radios, avec la chanson en promotion en face A, et une moins importante en face B.
Cette fois-là, la face A était Je chante comme un coyote, une de mes préférées. Gerry avait mis Mes blues sur la face B sans que je le sache. Mais les programmateurs musicaux ont décidé de la jouer elle aussi. Ça nous a coûté un hit. On n’a pas eu assez de rotation pour grimper dans les palmarès.
Mais les radios ont oublié d’arrêter de la jouer. Pendant des années, puis des décennies. Il n’y a rien de mieux que d’être sur scène et de n’avoir rien à faire, car la foule chante ta chanson. »
LES DATES-CLÉS DE BREEN LEBOEUF :
1949 : Naissance à North Bay
1969 : Il laisse tomber ses études en enseignement et débarque à Toronto pour faire carrière en musique.
1978 : Il intègre le groupe québécois Offenbach
1986 : Il rencontre la chorégraphe Claire Mayer, qui deviendra son épouse. Leur fils Vincent naît l’année suivante.
1990 : Sortie de son premier album solo, De ville en aventure.
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario, au Canada et à l’étranger.