Desjardins a toujours mis de l'avant sa proximité avec les gens, pourtant, ces dernières années, les succursales physiques disparaissent progressivement du paysage ontarien. Photo: Desjardins Ontario/ Facebook

EST ONTARIEN – Quatre nouvelles caisses Desjardins en Ontario ferment leurs portes ce mois de novembre, marquant une étape supplémentaire dans la restructuration du groupe coopératif dans la province. Ce phénomène n’est pas inédit : en 2019, 11 caisses Desjardins ontariennes avaient fusionné pour ne former qu’une seule entité. Historiquement ancré dans les communautés rurales et franco-ontariennes, Desjardins s’est toujours distingué par sa proximité avec sa clientèle. Cependant, ces fermetures successives illustrent un retrait progressif de l’institution du paysage financier local, même si sept succursales demeurent présentes.

Dans certains villages franco-ontariens et dans des communautés plus reculées, Desjardins s’éloignerait physiquement de sa clientèle, surtout pour ceux qui en dépendent. On pense notamment aux personnes âgées ou plus vulnérables.

L’expert en éthique et gouvernance de l’Université d’Ottawa, Marc Tassé, estime que le retrait de Desjardins de certaines communautés pourrait entraîner un détachement de ses membres. « Rien que pour les communautés où l’accès à Internet est limité et où les gens ne sont pas toujours à l’aise avec les technologies numériques, le changement ne sera pas positif », pense-t-il.

« Bien que Desjardins cherche à offrir des services adéquats en misant de plus en plus sur le numérique, dans ces régions, cette transition créera une certaine distance entre l’institution et ses clients. »

Avec une population franco-ontarienne vieillissante dans l’Est, le passage au numérique peut être déstabilisant. Retirer une succursale, là où, depuis des décennies, les gens allaient voir leur conseiller, peut instaurer un sentiment de délaissement. Au-delà de cette perception, les aînés sont aussi plus inquiets face aux fraudes. « Beaucoup préfèrent encore se rendre en personne pour s’assurer de parler à un employé fiable, ce qui les rassure davantage que les transactions en ligne », ajoute M. Tassé.

En entrevue avec ONFR, Stéphan Plante, vice-président Ontario, expérience membre et marché des particuliers chez Desjardins, croit que si l’heure est au changement, l’institution ne s’éloigne pas pour autant de sa clientèle.

Ce dernier affirme que l’institution n’a pas attendu pour accompagner sa communauté face aux risques de fraudes : « Je peux vous citer des exemples de notre travail dans certaines communautés et villages. Nous organisons des présentations en direct dans des foyers pour aînés et des formations. On met en place également des séances sur la planification successorale et l’accompagnement des personnes âgées, mais aussi plusieurs sujets essentiels pour garantir leur autonomie financière. »

Le risque d’un sentiment de perte d’appartenance

M. Plante insiste sur le fait que l’engagement communautaire reste inchangé. « Je peux vous assurer que notre implication ne faiblira pas. Nous restons présents et engagés envers toutes nos communautés dans l’Est ontarien. »

Historiquement, Desjardins joue un rôle essentiel dans le soutien de projets locaux, au-delà des services bancaires, mais au cœur d’événements culturels franco-ontariens, comme le concours LOL-Mort de rire à Cornwall ou encore dans des activités communautaires et en partenariat avec des organismes tels que les associations canadiennes-françaises de l’Ontario (ACFO) et l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO).

« Au fil des ans, nous avons prouvé cet engagement en finançant divers projets, comme l’aréna de Saint-Isidore et la revitalisation des bandes de la patinoire de St-Albert. »

Stéphan Plante, vice-président Ontario, Expérience membre et Marché des particuliers chez Desjardins Ontario. Photo : Caisse Desjardins Ontario

Il n’y a aucun doute pour M. Plante, bien que la présence physique du groupe financier ait évolué, Desjardins Ontario reste actif pour accompagner les communautés et jouer un rôle socio-économique.

Mais M. Tassé, lui, croit l’inverse. Pour l’expert en finance, cette situation risque de créer un sentiment de perte d’appartenance. « Les gens pourraient se dire que ce qui faisait la force de Desjardins, c’est cette proximité avec la communauté franco-ontarienne. »

D’après le professeur, si tout passe au numérique, certains membres pourraient se tourner vers d’autres institutions financières. La fidélité des clients pourrait être mise à mal, et Desjardins pourrait redoubler d’efforts pour expliquer ses choix et offrir des alternatives.

Bien que le virage technologique soit inévitable, une approche plus graduelle et inclusive serait essentielle, selon M. Tassé, pour éviter que cette décision ne soit perçue comme purement mercantile.

De son côté, M. Plante le réaffirme : « On ne s’éloigne pas de nos clients. » D’ailleurs, il estime que le message envoyé à la communauté démontre que depuis les dernières années, « les habitudes transactionnelles et les préférences des membres évoluent. »

Ce sont l’ensemble de l’industrie qui vivrait ces changements. Chez Desjardins, 96 % des transactions sont faites en ligne, soutient-il. « Quand on regarde cette transformation, on se doit d’évoluer et d’accompagner nos membres de façon personnalisée. »

Sept centres de services restants

La fermeture de plusieurs succursales dans l’Est ontarien est liée à l’achalandage, martèle M. Plante.

Avec raison, la population pourrait s’inquiéter de voir d’autres fermetures. À travers le pays, le Mouvement Desjardins a déjà amorcé une réduction de son offre de service et de ses guichets automatiques.

Alors évidemment, pour l’expert en éthique et gouvernance, « le message que les gens risquent de percevoir est que Desjardins cherche avant tout à optimiser ses opérations. Pourtant, en tant qu’institution à responsabilité sociale, elle a un devoir envers ses communautés. Le défi pour Desjardins sera de montrer que ces décisions sont éthiques. »

Il ajoute : « Les membres pourraient se demander si cette décision a été prise avec une analyse coûts-bénéfices uniquement, ou bien avec une considération pour la dimension sociale. »

Conférencier primé à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa et au programme de MBA pour cadres de l’École de gestion Telfer, Marc Tassé possède une expertise en éthique et gouvernance, en finance et en comptabilité. Sa compréhension du monde bancaire l’a amené à enquêter sur des cas de corruption et de fraude à travers le monde. Photo : Gracieuseté de Marc Tassé

M. Tassé considère que la banque de demain devrait équilibrer les gains en efficacité apportés par la numérisation avec les besoins réels de tous ses clients. À ce titre, Stéphan Plante considère que, malgré les grandes tendances de l’industrie bancaire, « il est crucial de conserver des succursales stratégiquement situées et il est vital que ce soit une expérience positive. »

À savoir si en Ontario d’autres succursales pourront fermer, rien n’est gravé dans le marbre, clarifie Stéphan Plante : « Nous avons d’abord concentré nos efforts sur l’Est ontarien, mais je suis très confiant avec les sept centres de services restants, qui sont stratégiquement répartis dans la région. »

Quant aux autres régions de la province, des décisions liées à une transformation et à une optimisation des services ne sont pas exclues.