Photo: Canva. Montage ONFR

Chaque samedi, ONFR propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, c’est Rym Ben Berrah qui évoque des enjeux de société et d’éducation qui rejoignent le quotidien.

31 décembre 1999. Je m’en souviendrai toute ma vie. C’est la journée où j’ai eu la cicatrice qui habille mon front depuis. C’est aussi une journée tant attendue et marquante pour le reste de l’humanité : le passage au nouveau millénaire. Cette journée-là, j’étais encore à Tunis. J’ai reçu une énorme barre de fer sur le front, dû à des vents violents qui balayaient la capitale tunisoise. Aucune polyclinique ou pharmacie n’étaient ouvertes, tout le monde se préparait pour les festivités du rite de passage. Les pâtisseries, boulangeries et épiceries étaient bondées et le reste des institutions étaient désertées. 

Nous nous sommes retrouvés, mes parents et moi, dans un petit hospice (un dispensaire où l’on fait des pansements rudimentaires) de 16 mètres carrés. Le monsieur qui y travaillait n’était même pas infirmier. Il m’a cousue à vif, sans anesthésie, sans rien. Un fil et une aiguille qui me transpercent la chair. J’avais tout de même le sourire aux lèvres. Les larmes de ma mère coulaient en regardant le tableau. C’était aussi la première fois de ma vie que je voyais une larme briller au coin des yeux de mon père.

Avec ma voix, je les rassurais : « Ne vous mettez pas dans cet état! C’est le Nouvel An, et ça ne fait même pas mal. » C’est comme ça que j’ai traversé de millénaire en millénaire, un énorme pansement de soldat de guerre épais et quadrillé au front (qualité d’hospice du quartier oblige). Pourtant, une photo de moi dansant aux coups de minuit, mangeant une part de gâteau à la crème de noisette, orne l’album de photos de famille dans la section « Enfance à Tunis ».

Le phénomène du fresh start

C’est comme ça que nous sommes tous un peu vers le 31 décembre, non? Résilients, téméraires, avec un espoir changé si on était blasé dans les derniers mois. Un élan de motivation nous habite. Nous croyons fortement que nous avons droit à une rédemption. Nouvel An : 365 pages blanches à écrire. J’ai toujours détesté cette phrase. Et les 365 précédentes, sont-elles des brouillons? Sont-elles à éradiquer? Avons-nous besoin de nous berner autant pour calmer l’acuité de nos échecs? Nous entrons tous dans une frénésie d’oubli, avec ce besoin viscéral d’oublier ce qui n’a pas bien été et de se donner une chance, ainsi que de donner aux autres une chance. En tous les cas, tout est bon pour enjoliver les sourires du 31 décembre. 

Photo de moi intacte, qui date d’avant le 31 décembre 1999. Photo : Rym Ben Berrah

Nous voici en 2025, en train de consolider nos espoirs envers cette année. Pourtant, avec la vague de nouvelles perçues à la fin de l’année dernière, très peu de bon est à présager pour le moment. Et pourtant… Le champagne a coulé pour les uns, le moût de pomme pour les autres. Les gens ont trinqué avec des sourires tout sauf lucides. Pas grave. Le phénomène du fresh start est un concept vieux de quelques décennies. Nous nous donnons les moyens de bien finir une année pour s’armer afin d’en commencer une autre. Un regain de passion et de motivation, une frénésie populaire palpable et un désir de consommation, comme lors de toute fête qui se respecte. 

Les résolutions

Viennent donc les fameuses résolutions annuelles. Nous dressons une liste de ce que nous voudrions améliorer, acquérir, compléter, avoir. Certains le font pour eux-mêmes, afin de se compléter, de s’améliorer, de s’approfondir. D’autres le font pour les autres, ou plutôt afin d’appartenir, avant même le fait de se faire plaisir. Des études démontrent que la majorité des résolutions sont oubliées par le mois de mars. Nous notons une constance dans les bonnes habitudes pour quelques semaines (ou jours, selon l’élan) du mois de janvier, qui se dissipent ensuite avec les élans de l’amour en février, et se font prendre par la frivolité de la vie au mois de mars. 

Au final, que voulons-nous? Perdre du poids, arrêter de boire/fumer, renouer avec certaines habitudes saines, renouer certains contacts (mal)sains, aller mieux, être mieux, se plaire, plaire en général. En fait, loin de moi l’idée de penser que je saisis le sens de tout cela, mais si je jauge la question, je dirais que les désirs intrinsèques sont plus aptes à perdurer et à être complétés si on les dissèque par petits accomplissements : « J’aimerais faire du sport le mardi et le jeudi après le travail » est plus réalisable que « j’aimerais me remettre en forme ». Ce qui vient de nous et nous touche de l’intérieur a plus intérêt à demeurer que ce qui vient des autres. De ce fait, les désirs extrinsèques -en majorité des phénomènes de mode ou des mouvements de meute- s’envoleraient dès que la lassitude de janvier s’empare de nous et qu’on se retrouve un jeudi 16 janvier à 23h devant une série, le frigo semi-vide, le portable qui ne sonne pas, éreinté par la journée passée entre le boulot, le froid et les enfants et la tête pleine de pulsions. C’est fou comment c’est individualiste le temps d’après les fêtes.

Pour 2025, je nous souhaite de la justice, de la solidarité, de la conscientisation sociale, de la douceur, et de l’amour, de l’amour, de l’amour, toujours.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.