
Le Droit n’aura plus de rédaction en chef à Ottawa-Gatineau

Après avoir déménagé sa salle de nouvelles à Gatineau en 2020, voilà que le journal historiquement franco-ontarien décentralise sa rédaction en chef à Trois-Rivières, au Québec. Cet éloignement de l’Ontario interroge dans la communauté.
« Comment un rédacteur en chef à Trois-Rivières, qui n’est pas franco-ontarien, va-t-il être capable de cerner les sujets chers aux francophones en Ontario? », s’interroge, le ton grave, Fabien Hébert, président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario.
« Si on n’a plus pied à terre pour juger quels sont les sujets importants de l’heure, ici en Ontario, ça va devenir compliqué », estime-t-il, jugeant cette « décision unilatérale extrêmement déplorable ».
En cause : l’annonce aux employés du journal vendredi soir de l’abolition du poste de rédaction en chef. Une information révélée dans un premier temps par le Journal Le Devoir et qu’a pu confirmer ONFR durant le week-end.
En poste depuis quatre ans, la rédactrice en chef Marie-Claude Lortie quittera ses fonctions le 7 juin prochain et la rédaction de la région d’Ottawa sera pilotée depuis un des journaux du groupe, Le Nouvelliste, basé à 300 kilomètres de là, à Trois-Rivières, au Québec.
« Ça a été des années très riches avec une équipe vraiment super au cours desquelles j’ai le sentiment d’avoir modernisé plusieurs aspects, mais la réalité financière des médias en général, et des régionaux en particulier, est vraiment très difficile », confie Mme Lortie, espérant que « cette restructuration permettra au journal de poursuivre sa route. »
Sous son mandat, les journalistes du Droit ont été à l’origine de nombreuses révélations, dont celle du retour des fonctionnaires au bureau à trois jours par semaine. Le quotidien a aussi intensifié sa présence dans les affaires municipales, renoué avec la Colline parlementaire et remporté plusieurs prix en journalisme.
« On a diversifié les types de sujet en montrant par exemple à quel point des enjeux internationaux étaient importants pour les journaux locaux, car on est tous interreliés ». En mars dernier, Le Droit a ainsi décroché le prix du reportage international de l’année remis par une émission québécoise pour un sujet sur la face cachée de l’industrie du chocolat et ses répercussions locales. Une récompense intervenue après le Prix d’Excellence générale pour la qualité éditoriale à Réseau Presse en 2024.
L’indépendance du journal préservée, assure la direction
Le directeur général du Droit, François Carrier, assure que la ligne éditoriale n’en sera pas affectée : « On comprend qu’il peut y avoir des craintes. On peut assurer que ça ne changera rien à la couverture franco-ontarienne ou régionale et les décisions se prendront toujours ici. Nous devrions avoir d’ailleurs des ajouts à présenter à cet effet d’ici l’automne. »
Et de marteler : « Ce changement n’enlèvera rien à l’indépendance de la salle de rédaction du Droit, qui préserve son autonomie et son identité propre. »
Cette annonce en interne fait partie d’un plan de restructuration plus vaste qui doit mener à la suppression de 30 postes à l’échelle de la Coopérative nationale de l’information indépendante (CN2I) qui gère Le Droit et six autres quotidiens numériques : Le Nouvelliste, Le Soleil, La Voix de l’Est, Le Quotidien, La Tribune et Les As de l’Info.
À la suite de la faillite en 2019 de leur propriétaire, Groupe Capitale Média, ces journaux s’étaient lancés dans un modèle coopératif, Le Droit perdant au passage son siège ottavien en 2020 pour déménager à Gatineau, au Québec, puis abandonnant le papier pour passer exclusivement au numérique en 2024, tandis qu’une tentative de fusion avec La Presse a avorté en avril dernier.
Alors qu’en interne des employés s’interrogent sur le modèle d’affaires et des revenus qui ne sont pas au rendez-vous, M. Hébert, lui, croit que c’est le temps d’arrimer à nouveau Le Droit à l’Ontario.
« Je crois que potentiellement des entrepreneurs franco-ontariens seraient intéressés d’acquérir Le Droit si c’est une question de finances. On avait déjà proposé d’acheter le nom de marque pour le mettre à l’abri, il y a quelques années. Il y a matière à voir si des entrepreneurs franco-ontariens seraient prêts à relever ce défi. »
« Cette situation met en lumière les défis structurels persistants, tels que la baisse des revenus publicitaires, qui concernent directement la pérennité de l’information locale en français », réagit pour sa part Maryne Dumaine, présidente de Réseau.Presse (dont fait partie Le Droit), qui appelle à « soutenir un écosystème médiatique pluraliste, composé de médias qui ont les deux pieds sur le terrain, qui parlent la langue des gens et dans lesquelles les communautés se reconnaissent. »
Contactée par ONFR, la directrice de la CN2I n’avait donné suite à nos sollicitations médiatiques au moment d’écrire ces lignes.