
Accueil de Premières Nations à Kapuskasing : « On les évacue pour un feu, puis ils arrivent au milieu d’une inondation »

[ENTREVUE EXPRESS]
QUI :
Gérald Demeules est responsable de la gestion des incidents pour ISN Maskwa, une organisation autochtone mandatée pour coordonner l’accueil des évacués à Kapuskasing.
LE CONTEXTE :
La Première Nation de Sandy Lake, dans le Nord-Ouest ontarien, a dû être évacuée en raison d’un feu de forêt majeur. Des centaines de membres de la communauté ont été déplacés à Kapuskasing et dans les environs.
L’ENJEU :
Avec la multiplication des feux de forêt et des phénomènes extrêmes, les communautés isolées doivent être prises en charge rapidement. Selon M. Demeules, il faut une meilleure préparation et une plus grande coordination entre les trois leviers de gouvernements pour faire face à la crise climatique.
« Depuis quand Kapuskasing accueille-t-elle des membres de Sandy Lake?
Nous avons commencé à accueillir des membres de différentes Premières Nations le 13 avril. Pour Sandy Lake, ils sont arrivés ici depuis le 7 juin. Présentement, nous avons 341 résidents de Sandy Lake qui sont à Kapuskasing. On a aussi des personnes logées en ce moment dans des motels à Smooth Rock Falls et à Val-Rita.

Pouvez-vous expliquer comment se déroule l’arrivée des familles?
Une fois qu’une déclaration d’urgence est acceptée par le gouvernement fédéral, les vols commencent. Les évacués passent souvent par Thunder Bay, puis sont redirigés vers Kapuskasing. Une fois ici, on leur fournit des chambres, de la nourriture, de la sécurité, des soins de santé et des services de loisirs.
Quels sont les besoins les plus urgents à l’arrivée?
La nourriture, les médicaments, les articles pour bébés comme les couches et les préparations. Beaucoup de gens arrivent sans rien. On s’assure aussi qu’ils aient accès à des services essentiels comme les soins médicaux ou les documents gouvernementaux.
Quels types de fonds recevez-vous pour vos opérations?
Notre compagnie autochtone est soutenue par la Première Nation Missanabie Cree. Elle reçoit du financement du gouvernement fédéral pour organiser la logistique.

Concrètement, quel est votre rôle sur le terrain?
Je coordonne tous les jours avec les partenaires locaux – police, hôpital, pompiers, etc. – pour répondre aux besoins. On tient une réunion chaque matin. On opère 24 heures sur 24 pour garder tout le monde en sécurité et informé. On fait aussi en sorte qu’ils aient accès à de nombreux services de base qui ne sont pas nécessairement disponibles dans leur communauté d’origine.
Une fois arrivés ici, on leur facilite l’obtention de documents essentiels comme les certificats de naissance, les cartes de santé, les permis de conduire, les numéros d’assurance sociale ou encore les cartes de statut. On leur donne aussi accès à des soins de santé, notamment des services de dentiste, puisque ces professionnels ne se rendent pas régulièrement dans les communautés éloignées.

Avez-vous connu des imprévus depuis le début de l’accueil?
Oui. Par exemple, à cause des fortes pluies, un hôtel a été inondé. Une douzaine de personnes ont dû être relocalisées en urgence. Vous pouvez vous imaginer : on les évacue pour un feu de forêt, puis ils arrivent au milieu d’une inondation, avec de l’eau jusque dans leur chambre d’hôtel. Alors, il a fallu les transférer à d’autres chambres et s’assurer qu’ils se sentent en sécurité ici.
Qu’en est-il de la coopération de la communauté locale?
La solidarité est forte. Des gens nous aident spontanément : dons de nourriture, d’articles de première nécessité. On reçoit aussi du soutien logistique des organismes locaux.
Comment faites-vous pour les aider à se sentir épanouis, notamment les enfants?
C’est essentiel de penser aux loisirs, surtout que ces enfants passent toute la journée dans des chambres d’hôtel. On fait appel à un partenaire, Crew Emergency, pour organiser des activités chaque jour. Ils peuvent aller à la piscine à Cochrane, visiter l’Habitat des ours polaires ou encore s’amuser dans des parcs de trampolines à Timmins, pour alléger un peu le quotidien et réduire le stress.

Ils arrivent dans des communautés majoritairement francophones : cela constitue-t-il un enjeu particulier?
Pas vraiment. C’est sûr que les membres de Sandy Lake parlent anglais et cri. Le plus dur est de répondre aux questions, ils nous demandent tous les jours ‘’quand est-ce qu’on pourra rentrer chez nous?’’. On essaie de maintenir autant que possible le mode de vie auquel ils sont habitués dans leur communauté, pour ne pas bouleverser leurs repères. On veille, par exemple, à ce qu’ils puissent maintenir leurs pratiques culturelles : nourriture traditionnelle, cérémonies, tipis, etc.
Avez-vous une estimation pour la date de retour des évacués vers Sandy Lake?
Nous anticipons cela vers la fin de la semaine prochaine. Il n’y a que quatre avions de disponibles et avec les distances et le nombre d’heures que peuvent faire les pilotes, on estime que le rapatriement pourrait prendre entre sept et huit jours.

Avez-vous remarqué une augmentation des évacuations climatiques?
Oui. On évacue pour des feux, mais on fait face à des inondations et tornades en même temps. Ces dernières années, tout s’intensifie. Les changements climatiques rendent notre travail plus complexe. Je pense que c’est juste le début et qu’il faut vraiment réfléchir à une meilleure préparation en amont. C’est frustrant, parce que plusieurs municipalités disent vouloir aider, accueillir les évacués… mais en parallèle, il faut composer avec le fait que les hôtels ont d’autres réservations et d’autres considération, ce qui complique les choses sur le terrain.
Faut-il revoir la stratégie d’accueil au pays?
Absolument. Il est temps d’élaborer une véritable stratégie intégrée. Actuellement, chaque palier de gouvernement agit selon ses propres règles : les municipalités gèrent ce qu’elles peuvent, les provinces ont leurs priorités, puis tout est transféré au fédéral. C’est très difficile de naviguer entre ces trois juridictions pour arriver à une réponse cohérente.

Avez-vous des craintes par rapport au reste de la saison?
C’est un peu inquiétant pour les feux de forêt parce qu’on est qu’au commencement de la saison. La première vague de chaleur est arrivée seulement la semaine passée. On va être très occupés tout l’été, malheureusement. Je ne souhaite ça à aucune communauté, mais on sait qu’il y aura encore des évacuations. La situation ne fait qu’empirer.
C’est difficile de gérer tout ça et, en même temps, de maintenir l’espoir pour les gens touchés. Je ne veux pas paraître alarmiste, mais on voit bien que les conditions se détériorent rapidement. Quand on regarde l’ensemble de la province, les incendies sont déjà nombreux, et ça pourrait très bien s’étendre jusqu’ici. »