Accès à la justice : des problèmes de traduction récurrents
OTTAWA – Les plaintes s’accumulent mais le problème persiste : il faut souvent attendre plusieurs mois, voire des années, pour avoir accès aux décisions des cours supérieures en français. Un problème d’accès à la justice que dénonce le commissariat aux langues officielles (CLO) du Canada et que le gouvernement semble peu pressé de régler.
« Nous avons fait ce que nous pouvions », lance la commissaire aux langues officielles du Canada par intérim, Ghislaine Saikaley. « Nous jugeons les plaintes reçues légitimes et continuons d’en recevoir, mais nous avons déjà fait un rapport et avons essuyé une fin de non-recevoir. Pourtant, si les gens ne peuvent pas consulter les décisions des tribunaux dans leur langue, notamment pour se préparer à un procès, ça devient un problème d’accès à la justice. Cela dure depuis au moins dix ans, mais aujourd’hui, nous avons les mains liées »
En février 2015, le CLO avait publié un premier rapport d’enquête dans lequel il concluait que le Service administratif des tribunaux judiciaires (SATJ), chargé d’afficher les décisions des cours supérieures sur internet, devait le faire simultanément dans les deux langues officielles. Une analyse remise en cause par le SATJ.
Dans les plaintes considérées par le commissaire, cinq sur six concernaient une absence de traduction vers le français, les délais pouvant atteindre plusieurs mois, voire plusieurs années, avant que les décisions ne soient disponibles dans la langue de Molière.
« L’ancien gouvernement conservateur a tabletté plusieurs rapports, mais aujourd’hui, il semble y avoir de l’ouverture pour améliorer l’accès à la justice, c’est le bon moment pour agir », analyse le critique aux langues officielles pour le Nouveau Parti démocratique (NPD), François Choquette, qui espère que cette question fera partie de l’étude sur la justice menée actuellement par le comité des langues officielles.
Réponse timide du gouvernement
Face à l’opposition de la SATJ, le CLO avait adressé un rapport au gouverneur en conseil, en avril 2016, recommandant au gouvernement de clarifier les obligations linguistiques des cours supérieures, soit en passant par une loi, soit en demandant à la Cour suprême du Canada de statuer sur cette question.
Deux options non considérées par le ministère de la Justice, qui malgré le changement de majorité au parlement entre les deux rapports, privilégie « une solution pratique et financièrement raisonnable », sans considérer aucune des deux recommandations du CLO.
« En bout de ligne, c’est avant tout une question financière et il est triste que ce soit le cas », note l’avocat et spécialiste des droits linguistiques, Michel Doucet. « Nous avons le même problème au Nouveau-Brunswick où aucun tribunal administratif, à l’exception du barreau, ne traduit simultanément ses décisions en français et en anglais. Sans dire que toutes les décisions devraient être traduites, au moins celles d’intérêt public devraient l’être. Mais la Loi sur les langues officielles reste souvent plus marquante par son non-respect. Si on respectait aussi peu le code de la route, on vivrait dans le chaos total! »
Dans un échange de courriels avec #ONfr, le ministère de la Justice indique que « le gouvernement vise une solution pratique respectueuse de la Loi sur les langues officielles qui améliorerait l’accès à la justice dans les deux langues officielles et démontrerait l’engagement ferme du gouvernement envers les langues officielles du Canada. Les fonctionnaires du ministère de la Justice continuent de collaborer avec les fonctionnaires d’autres ministères et le Service administratif des tribunaux judiciaires afin d’identifier une solution pratique et rentable à cet enjeu. »
Question de pouvoirs?
En attendant, le CLO s’est tourné directement vers le parlement en novembre dernier, usant d’un pouvoir « très rarement utilisé » selon le commissariat lui-même, afin de sortir de l’impasse.
« Ce que nous voulons, c’est qu’un comité se penche sur le rapport », explique Mme Saikaley.
Cette dernière passera devant le devant le comité du Sénat sur les langues officielles, le 3 avril, pour aborder cette problématique. M. Doucet ne se montre toutefois pas très optimiste.
« Tant que le commissaire aux langues officielles n’aura pas de pouvoirs accrus pour pénaliser ceux qui ne respectent pas la Loi sur les langues officielles, on risque de se retrouver encore dans ce genre de situation où les gens reçoivent les rapports, les déposent sur leurs bureaux et ne voient pas plus loin. »