Élections ontariennes : le sentiment que tout est déjà joué

Doug Ford, chef du Parti progressiste-conservateur (Parti PC) lors du dévoilement du budget 2018 à Toronto. Crédit image: Archives

[ANALYSE]

TORONTO – Le déclenchement de la campagne électorale ontarienne n’est plus qu’une question d’heures. Les pancartes vont commencer à fleurir les parcs et bords des routes des 124 circonscriptions. Il s’en dégage pourtant l’impression que les jeux sont déjà faits. Que le Parti progressiste-conservateur va rafler toute la mise le 7 juin.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

En trois mois, la formation politique a déjoué les pronostics, résistant aux tempêtes annoncées. La démission surprise de son chef, Patrick Brown, après des allégations d’inconduites sexuelles, la prise de pouvoir du controversé Doug Ford, et pour finir, le budget fort « généreux » des libéraux; rien n’a tari l’attrait suscité par le Parti PC. Au contraire.

La semaine dernière, les libéraux ont sorti les gros canons pour dénoncer la volte-face de M. Ford dans le dossier de la ceinture verte à Toronto, et se sont engagés à investir des millions de dollars… Rien ne semble y faire.

Les sondages prédisent aujourd’hui un raz-de-marée bleu, et une défaite cuisante du Parti libéral. Il s’agirait d’un tournant politique majeur pour la province, dont le dernier changement de couleur remonte… à 2003. C’est un cas d’exception, puisque toutes les provinces ont connu une transition politique au cours des 15 dernières années.

 

Sentiment de ras-le-bol

Cette usure du pouvoir, ce sentiment que rien ne change, ce besoin d’une nouvelle aventure, sont à la base du désamour des libéraux, amplifié depuis 2014. Car le parti de Kathleen Wynne reste le même que celui qui avait obtenu la majorité à Queen’s Park, il y a quatre ans. Un parti résolument centriste, mais, dans la pratique, très interventionniste en économie.

Le discours des progressistes-conservateurs, lui, n’a guère varié : moins d’impôts, plus de responsabilité financière. À cela s’ajoute cette fois l’antiélitisme affiché de Doug Ford, lequel répond parfaitement au sentiment de ras-le-bol.

Prompt à taper sur les dépenses excessives du gouvernement, le chef du Parti PC est pour le moment resté très discret sur ses économies. Il n’a pas dit non plus comment son parti financerait le manque à gagner de la taxe carbone.

 

L’exemple des campagne de 1990 et de 2011

Assez paradoxalement, c’est peut-être le Nouveau Parti démocratique (NPD) qui a modifié le plus son discours. La chef Andrea Horwath l’a promis : c’est à gauche toute qu’elle mènera sa barque durant la campagne. Un changement de cap assumé par rapport à 2014, où la députée de Hamilton-Centre s’était placée au centre.

Le scénario catastrophe entrevu pour le parti orange et les libéraux est-il inéluctable? L’histoire montre parfois que les campagnes peuvent se perdre beaucoup plus vite qu’elles ne se gagnent.

En 2011, le chef progressiste-conservateur Tim Hudak avait abordé les élections avec une avance confortable dans les sondages, avant de s’écrouler en fin de campagne, rattrapé par son opposition à l’embauche de travailleurs étrangers. Un piège tendu par l’opposition.

Plus loin dans le temps, en 1990, le libéral David Peterson était quasi assuré d’un nouveau mandat à la tête de la province. Mais sa décision jugée arrogante de déclencher des élections plusieurs mois à l’avance lui a été fatale, le jour du scrutin. Il faudra alors attendre 13 ans pour voir les libéraux de retour aux affaires.

À partir d’aujourd’hui, il s’agira, pour Doug Ford, pas tant de convaincre, mais d’éviter les ruses des libéraux ou de verser dans l’arrogance. S’il réussit, l’aîné de la « Ford Nation » s’ouvrira sans doute les portes de Queen’s Park.

 

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 7 mai.