À Welland, un foyer francophone imperméable au virus

Dans une bulle sanitaire hermétique, le Foyer Richelieu affiche zéro cas de COVID-19 après dix semaines de pandémie. Crédit image: Rudy Chabannes

WELLAND – Depuis le début de la pandémie, le macabre compteur de Santé publique Ontario égrène les décès quotidiens dans les foyers de soins de longue durée. Dans ces centres surmédicalisés que l’on pensait à l’abri du pire, 1 400 résidents ont succombé au virus, partout dans la province. Près de la moitié ont, à un moment ou un autre, laissé entrer le virus. Mais l’unique foyer francophone du Niagara, qui a été l’un des premiers à interdire les visites, a réussi jusqu’à présent à déjouer l’éclosion.

Le téléphone sonne dans une des 65 chambres du Foyer Richelieu. Au bout du fil, une voix guillerette. Géraldine Blais vit ici depuis cinq ans. Cette native de Welland, qui ne communique plus avec ses proches que par téléphone depuis maintenant dix semaines, était loin d’imaginer souffler ses 86 bougies et passer la fête des Mères cloîtrée dans l’établissement du 655 rue Tanguay.

Depuis le 14 mars, le foyer fonctionne en quasi vase clos. Hormis le personnel – testé le matin en entrant et le soir en sortant – personne ne pénètre dans le bâtiment. Si un membre de l’équipe médicale présente une température anormale ou un rhume, l’entrée lui est refusée et il est redirigé vers le bureau de santé publique régional.

Géraldine Blais a célébré sa fête et la fête des Mères au sein de l’établissement. Gracieuseté : Foyer Richelieu

Livreurs et autres techniciens de maintenance sont persona non grata dans l’édifice. Les ambulanciers également, sauf si la situation l’exige et à condition d’être équipés d’une combinaison intégrale.

Les courriers, colis, bouquets de fleurs et autres cadeaux sont déposés à l’extérieur dans des bacs, avant d’être collectés, désinfectés et distribués aux résidents.

La loi du thermomètre

« On prend la température des résidents quotidiennement », rapporte Francine Yasko. L’infirmière et ses collègues épient le moindre symptôme suspect.

Les mesures de confinement contre la COVID-19 ont provoqué « beaucoup de changement », concède Mme Blais.

« J’avais l’habitude de faire de belles marches les fins de semaine et de fêter les moments importants avec mes enfants et petits-enfants, mais on verra ça plus tard », relativise la résidente. « On est bien entouré par le personnel médical. On a confiance. La vie continue. Un jour, il y aura une fin : on va revoir nos familles et s’apprécier encore plus qu’avant. »

Francine Yasko, infirmière, a adopté des gestes systématiques de prise de température des résidents. Gracieuseté : Foyer Richelieu

Tout comme Mme Blais, « la plupart des résidents qui ne souffrent pas de démence comprennent la situation », rapporte Francine Yasko, qui fait partie d’un effectif conséquent d’une soixantaine de travailleurs. Presque autant que de résidents, un ratio loin d’être atteint dans d’autres foyers de la région.

Une dizaine d’entre eux ont connu une éclosion. Quatre se sont produites dans la dernière semaine, à Lincoln, Grimsby, St. Catharines et Fort Érié. À Welland, la résidence pour aînés Seasons est sortie d’affaire, mais sa voisine, Royal Rose Place, lutte encore contre la plus grosse éclosion de la région.

La majeure partie des 58 décès proviennent de ces maisons de retraite et foyers de soins de longue durée. Sur les 615 cas recensés depuis le début de la pandémie, 111 sont toujours actifs et 446 se sont rétablis, à l’issue de leur quarantaine.

« Tout ce qui vient de l’extérieur est un risque potentiel » – Sean Keays, directeur général

« Tout ce qui vient de l’extérieur est un risque potentiel », pointe le directeur général Sean Keays qui, de concert avec la direction médicale, a fondé sa stratégie sur la rapidité d’exécution des mesures de protection.

« Quand le ministère a recommandé le dépistage passif le 3 mars, on l’a mis en place le jour même. On a devancé la directive suivante de six jours en mettant en place le dépistage actif et en fermant le foyer aux visites dès le 14 mars. »

Une réserve de masques pour un an

« On a embauché une douzaine d’employés additionnels, car on a augmenté les heures de travail dans certains secteurs comme l’entretien », ajoute M. Keays. « Tout est désinfecté. Ça fait partie d’une centaine de mesures qu’on a mises en place. »

Le Foyer Richelieu a-t-il mieux anticipé la vague épidémique que d’autres centres de soins de longue durée? « On avait une grosse réserve d’équipement, car on a beaucoup acheté en janvier », explique le directeur général. « Avec notre réserve de masques, on peut tenir un an. »

Dans le même temps, la générosité de la communauté n’a pas faibli. « On a reçu plus de 35 000 $ de dons au cours du dernier mois. »

Chaque année, plus d’un million rentre dans les caisses.

Le directeur général du Foyer Richelieu, Sean Keays. Crédit image : Rudy Chabannes

L’équipe de soins est en lien constant avec le bureau de santé publique du Niagara. Un rapport quotidien l’informe sur le niveau d’équipement et la santé de chaque résident.

« Lorsque la province a demandé de tester tous les foyers pour avoir un portait de la situation, on a testé 100 % de nos résidents et 99 % du personnel en moins de 48 heures », affirme M. Keays.

Derrière les murs, la vie continue

Dans l’atrium, l’espace de vie central du Foyer Richelieu, les jeux de cartes vont bon train.

« On joue ensemble mais pas plus de quatre, autour de grandes tables rondes », fait remarquer Mme Blais. La distanciation est de rigueur y compris lors du repas, par table de deux.

Pour dissiper l’ennui et compenser la suppression des spectacles venus de l’extérieur, le budget « animation » a doublé et des événements conçus depuis l’intérieur ont pris la relève.

Une infolettre hebdomadaire aux familles a été créée à l’intention des familles et un programme FaceTime avec iPad mis en place pour maintenir les liens familiaux.

Les visites se font par vitre interposée. La résidente Gabrielle Houde a fêté ses 96 ans de la sorte. Gracieuseté : Foyer Richelieu

Chaque jour, les proches qui le souhaitent se présentent devant une des vitres du foyer pour entrevoir leurs parents et s’assurer qu’ils sont en bonne santé. De part et d’autre de la fenêtre verrouillée, la communication se fait par téléphone. Des sièges sont installés dehors et un espace privatif permet au résident un minimum d’intimité.

La vie continue dans le foyer avec le sentiment d’être plus à l’abri, ici plus que dehors. Pourtant, plus que jamais, le virus tue dans les foyers de soins de longue durée de l’Ontario. Au total, 280 des 627 établissements de la province ont échoué à instaurer une quarantaine stricte.

Devant l’ampleur de la catastrophe, le gouvernement a lancé une commission d’enquête pour réviser le système de soins de longue durée, jugé défaillant dans la gestion de la pandémie.