Air Canada toujours dans la mire du commissaire aux langues officielles
OTTAWA – Le temps passe et les enquêtes se succèdent. Quatre ans après le rapport spécial de son prédécesseur sur la question, Raymond Théberge fait face aux mêmes défis pour faire respecter les obligations linguistiques d’Air Canada.
C’est un air de déjà vu qui émane de deux nouveaux rapports d’enquête du Commissariat aux langues officielles sur Air Canada dont ONFR+ a obtenu copie.
En mars 2019, à l’aéroport international de Vancouver, un plaignant a constaté des annonces non automatisées pour un vol à destination de Toronto uniquement en anglais et une offre active de service bilingue et un service en français au comptoir d’embarquement indisponibles.
En juin 2019, à bord d’un vol d’Air Canada en partance de Los Angeles, en Californie, et à destination de Montréal, un passager a quant à lui déploré l’absence d’offre active bilingue et de service en français de la part d’une agente de bord, ainsi que des consignes de sécurité de moins bonne qualité en français.
Deux plaintes fondées, selon les conclusions du commissariat, et qui s’ajoutent à la longue liste de celles enregistrées par le bureau de M. Théberge.
« C’est triste à dire, mais ce n’est pas surprenant », commente le professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en droits et enjeux linguistiques, François Larocque.
85 plaintes en moyenne par an
Une analyse que confirment les données fournies à ONFR+ par le Commissariat aux langues officielles. Déclinant la demande d’entrevue d’ONFR+, le chien de garde des langues officielles précise toutefois « recevoir en moyenne plus de 85 plaintes par année – moyenne des cinq dernières années – à l’encontre de cette institution qui font état de problèmes récurrents ».
En 2016, le commissaire aux langues officielles de l’époque, Graham Fraser, avait pourtant sorti les grands moyens en publiant un rapport spécial intitulé « En route vers une conformité accrue d’Air Canada grâce à un régime d’exécution efficace ».
« Le rapport spécial de 2016 était un dernier recours. C’était un bon rapport, avec de bonnes recommandations pour mieux encadrer Air Canada, comme notamment la possibilité d’amendes administratives en cas de manquements », souligne M. Larocque.
Mais force est de constater que l’exercice n’a pas eu les effets escomptés, constate le commissariat en conclusion des deux rapports d’enquête.
« Les enjeux ciblés s’apparentent grandement à ceux soulevés dans le rapport spécial au parlement publié en 2016 », écrit-il.
Air Canada assure faire des efforts
Jointe par ONFR+, Air Canada a refusé de commenter les deux nouvelles plaintes. Mais par la voix d’une de ses porte-paroles, la compagnie aérienne rappelle être « la seule entreprise privée assujettie au système de plaintes du Commissariat », tout en se disant « fière de fournir des services dans les deux langues officielles ».
« Au fil des années, nous avons mis en œuvre une série d’initiatives soutenues avec l’objectif d’améliorer la prestation des services offerts à nos clients dans les deux langues officielles, et nous continuons de déployer des efforts significatifs et systématiques à cet égard », explique son service médiatique dans un échange de courriels.
Des efforts que le commissariat ne nie pas, mais qui demeurent insuffisants, note-t-il.
« Malheureusement, force est de constater que les mesures mises en place par Air Canada ne semblent pas donner les résultats souhaités comme en témoignent l’absence d’offre active de service bilingue et de service de qualité égale dans les deux langues officielles dans le cas présent, le nombre de plaintes similaires déposées contre Air Canada au fil des ans et la nature répétitive des incidents soulevés dans ces plaintes », écrit la commissaire adjointe, Ghislaine Saikaley, dans le rapport d’enquête consacré à la plainte sur le vol Los Angeles-Montréal.
Quelles ressources pour le commissaire?
Aveu d’impuissance ou stratégie à long terme, le Commissariat ne formule aucune recommandation dans ses deux rapports d’enquête, mais assure que l’enjeu reste dans sa ligne de mire.
« Compte tenu de la nature persistante de ces enjeux, le commissaire entend se pencher davantage sur la question avant de formuler des recommandations adéquates qui seront axées sur les principales causes de la situation. »
M. Larocque estime que la démarche du commissaire aux langues officielles est cohérente.
« Il ne faut pas négliger l’importance de réitérer le message et de l’exprimer clairement sur la place publique. En faisant ainsi, il reprend le bâton de son prédécesseur. »
Le Commissariat explique étudier présentement « les correctifs compris dans le plan d’action [d’Air Canada] et leurs impacts en vue d’une meilleure conformité à la Loi sur les langues officielles » de la part de l’entreprise.
« Cela nous permet d’évaluer les efforts mis de l’avant par Air Canada. Cet exercice nous aidera à déterminer si nos recommandations continuent d’être le bon moyen pour guider l’institution vers une meilleure conformité et d’ajuster notre approche au besoin », explique l’institution fédérale, ajoutant qu’Air Canada fait partie des institutions identifiées pour prendre part au prochain exercice du modèle de maturité des langues officielles, un outil qui « permet aux institutions de déterminer dans quelle mesure les langues officielles sont intégrées dans toutes leurs activités ».
Pour M. Larocque, outre un éventuel nouveau recours judiciaire aux résultats et effets non garantis, la seule véritable solution passe par la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
« Actuellement, les pouvoirs du commissaire sont limités. La véritable solution, c’est la modernisation de la Loi qui pourrait aider à mieux encadrer et surveiller Air Canada pour que l’entreprise se conforme à ses obligations. »