Un tournant de la lutte ouvrière franco-ontarienne aux éditions Prise de parole

Une affiche de sensibilisation dans le but de former les gens aux relations ouvrières. Source: Hudon, Richard et André Villeneuve, Algonquin face à la formation des travailleurs et travailleuses en relations ouvrières, rapport final d’un projet de recherches commandité par le Comité des activités créatrices du département de l’Éducation permanente du Collège Algonquin, Hawkesbury, 1981, Fonds Richard Hudon, P126-1/2/5.

HAWKESBURY – Dans son œuvre Regards croisés sur la grève d’Amoco à Hawkesbury, Andréane Gagnon retrace cet événement éponyme, qui à bien des égards, évoque comment la communauté francophone a lutté pour un meilleur avenir, soutenue par la montée du syndicalisme dans la région de Prescott et Russell. 

L’histoire franco-ontarienne est faite de succès, d’échecs et de luttes souvent. Toutes ses luttes s’inscrivent dans un réservoir d’histoires, qui ont façonné, à différents niveaux, la mémoire collective des francophones en Ontario. Si le souvenir de certains soulèvements est encore bien présent, d’autres – pourtant décisifs – semblent oubliés. 

Pour Andréane Gagnon, comprendre la grève d’Amoco Fabrics est une façon de mieux appréhender les racines franco-ontariennes. Elle admet aussi que parler de cet évènement est un geste politique, susceptible d’engendrer du débat sur la situation actuelle des Franco-Ontariens. Dans cette discussion, il est question d’assimilation, de taux d’analphabétisme, de la réorientation des missions associatives et des institutions culturelles, mais aussi de l’accès aux services en français, etc. 

Dans son œuvre, l’autrice donne la parole à des personnalités franco-ontariennes, qui, de près ou de loin, ont été témoins de cette grève en 1980. Robert Hudon, Jean-Marc Dalpé et Serge Denis (Québécois et professeur à l’Université d’Ottawa) analysent ce mouvement social qui aura plus d’impact qu’il n’y paraît. 

Andréane Gagnon détient une maîtrise en sociologie de l’Université d’Ottawa. Gracieuseté

Finalement, ce livre s’inscrit dans un désir de transmettre l’histoire ouvrière et populaire, « nécessaire aux renouvellements de la conscience politique des communautés francophones ». 

D’un patronat méprisant jusqu’à l’éclatement d’une communauté

La grève survenue le 12 mai 1980 opposait plus de 500 employés à la société Amoco Fabrics, une entreprise américaine qui avait une production de textile à Hawkesbury. Cette mobilisation soulevait un problème très profond à l’époque : la dimension sociale et linguistique du conflit. Les dirigeants de l’industrie étaient en majeure partie des anglophones et la main-d’œuvre francophone.

Ce que les travailleurs demandaient, c’était une augmentation de salaire de 1 $ et l’indexation sur le salaire afin de survivre au coût de la vie, puisque de nombreux ouvriers vivaient en dessous du seuil de pauvreté. 

D’ailleurs, la paie de gréviste était très basse : 20 $ par semaine pour une personne célibataire et 35 $ par semaine pour un couple marié. 

De plus, « ils réclamaient une amélioration du salaire, mais aussi de pouvoir négocier en français les contrats et de pouvoir obtenir des copies en français », ajoute Andréane Gagnon en entrevue avec ONFR+.

« Il y avait une question nationale, d’identité franco-ontarienne et des droits relatifs à la langue en situation minoritaire », soutient l’écrivaine.

En juillet 1980, les grévistes ont manifesté devant la mairie d’Hawkesbury. Les gouvernements ont longtemps ignoré les travailleurs et travailleuses. Crédit image : Le Droit

Andréane Gagnon a découvert dans ses recherches que durant cette période, la région de Prescott et Russell était très dynamique en matière de mobilisation sociale. Même si cette grève a été en quelque sorte « une défaite sur le plan économique ». 

Richard Hudon, comme intervenant, explique qu’il y a pourtant des legs de la grève d’Amoco. Déjà, il y a le fait que les syndiqués aient obtenu une reconnaissance légale de leur contrat en français. 

« On peut considérer que la grève d’Amoco a été un événement catalyseur de l’adoption d’un nombre important de lois et de services en français en Ontario », explique Mme Gagnon. 

Des incidents sur la ligne de piquetage

Malgré tout, l’entreprise anti-syndicaliste, ripostait de façon très agressive. Les interventions de la police provinciale se faisant aussi de plus en plus musclées. 

Le 28 juillet 1980, après six heures de manifestation, les grévistes d’Amoco ont attaqué l’Hôtel de Ville. Bilan : six grévistes arrêtés, huit inculpés. Source : Le Droit

Retrouvées dans les archives du Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) à l’Université d’Ottawa, des entrevues du journaliste Fernan Carrière* avec les principaux protagonistes de la grève d’Amoco, nous plongent dans des discussions avec Jean Villeneuve. Le président du syndicat local 2-600 clamait haut et fort que cette grève était « celle de tout le monde », ou encore que les compagnies industrielles utilisaient leur sang (pour se faire de l’argent).

Dans ces enregistrements, plusieurs personnes parlent des maltraitances de la police. D’après des membres du syndicat de l’époque, les grévistes se « faisaient tabasser » par des agents sur les piquets de grève. Face à cette brutalité, près de 300 personnes avaient manifesté devant l’hôtel de ville, pour que le conseil municipal s’implique dans les négociations. 

L’esprit de combat des Franco-Ontariens s’est étiré pendant près de 134 jours. Le conflit a pris fin en septembre 1980 et a démontré la persévérance d’Amoco Fabrics qui voulait une main-d’œuvre peu exigeante. De l’autre côté, la classe ouvrière, francophone et déterminée, aspirait à des salaires plus élevés sans céder à l’injustice. 

Au terme de 134 jours de grève, la convention collective signée offrait une augmentation de 0,75 $ de l’heure, rétroactive au 31 décembre 1979, et une augmentation de 0,60 $ à partir du 31 décembre 1980. Enfin, un ajustement du coût de la vie de 0,10 $ de l’heure dès avril 1981. 

L’héritage de la pauvreté et l’absence d’héritage culturel

Cette population francophone et ouvrière d’Hawkesbury, bien qu’elle possède un « esprit de combat », a été reconnue par le gouvernement fédéral, à la fin des années 1970, comme un territoire « défavorisé ». 

« Cela est dû au fait de son taux élevé de décrochage à l’école secondaire et de son haut taux de prestataires des programmes d’aide sociale », raconte Mme Gagnon dans son livre.

En 1980, comme le relate l’autrice, la région de Prescott et Russell est constituée à 77 % de francophones dont 80 % sont dans le milieu industriel. À ce moment-là, la région compte 17 entreprises industrielles.

Cette recherche lui a aussi permis de comprendre ses origines, sa famille : « C’est en fait la culture ouvrière », conclut-elle. 

Dans Regards croisés sur la grève d’Amoco à Hawkesbury, Andréane Gagnon nous rappelle l’importance de la transmission de l’histoire et finalement les liens étroits qu’il existe entre l’histoire politique des Québécois et les conséquences sur les Franco-Ontariens. 

*Université d’Ottawa (U. d’O.), Centre de recherche sur les francophonies canadiennes (CRRCF). Fonds Fernan Carrière (P256). Grève Amoco Hawkesbury 1980, témoignages de syndiquées. S61/1/121.